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Assignation d’opposabilité = interruption (art. 2241) : Cass. civ. 3e, 26 juin 2025

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Assignation d’opposabilité = interruption (art. 2241) : Cass. civ. 3e, 26 juin 2025
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1. Résumé succinct
Parties :
– Demanderesse au pourvoi principal : SAS Mufraggi Matériaux (fournisseur).
– Défendeurs : SAS A Citadella (entrepreneur), M. [B] [X] ès qualités de liquidateur de Mader Colors (fabricant), M. [H] [R], syndicat des copropriétaires [Adresse 7], SMABTP (assureur de l’entrepreneur), Allianz IARD (assureur du fournisseur et du fabricant), AXA France IARD. Cour de cassation

Juridiction : Cour de cassation, 3e civ., 26 juin 2025, n° 23-20.274

Nature du litige : ravalement de façades – désordre de teinte – responsabilités en chaîne (entrepreneur/fournisseur/fabricant) – prescription/forclusion et effet interruptif d’une assignation en déclaration de jugement commun/opposable (art. 2241 C. civ.). Cour de cassation

Effet direct sur la pratique : la Cour pose clairement que l’assignation visant seulement à rendre un jugement opposable à un tiers constitue une “demande en justice” interruptive au sens de l’article 2241 C. civ. (solution publiée au Bulletin). 

2. Analyse détaillée

Faits

1er juill. 2011 : le syndicat des copropriétaires (immeuble [Adresse 7], bât. B) confie à A Citadella des travaux de ravalement (assurée à la SMABTP). A Citadella achète la peinture à Mufraggi Matériaux (fournisseur), elle-même fournie par Mader Colors (fabricant, ensuite en LJ). Fournisseur et fabricant sont assurés par Allianz IARD. 

29 nov. 2012 : lors des opérations préalables à la réception, l’expert de chantier constate une différence de teinte. Cour de cassation

1 févr. 2013 : rapport d’expertise amiable (à l’initiative de l’assureur de l’entrepreneur, contradictoire avec fournisseur/fabricant). Cour de cassation

28 mai & 4 juin 2013 : A Citadella assigne le fabricant et le fournisseur pour voir déclarer opposable au fournisseur le jugement à intervenir contre le fabricant. 30 mai 2016 : sursis à statuer. Cour de cassation

1er, 4 & 22 avr. 2016 : le syndicat assigne entrepreneur, assureur décennal, fournisseur, fabricant et leur assureur en indemnisation. Cour de cassation

Procédure (déroulement intégral)

CA Bastia, 28 juin 2023 (n° 21/00033) : la cour retient notamment que la prescription quinquennale a commencé à courir les 2 nov. 2011 et 4 juin 2012 (dates de livraison/teinte) et statue sur responsabilités et garanties. Cour de cassation

Cassation : pourvoi principal (Mufraggi), pourvois incidents (liquidateur de Mader Colors et A Citadella). La Cour de cassation rejette tous les pourvois (dispositif). Cour de cassation

Contenu de la décision

Arguments des parties 

Fournisseur (Mufraggi) : soutient que l’assignation de 2013 visant l’opposabilité ne manifesterait pas la volonté de rechercher sa responsabilité → pas d’interruption de prescription (art. L. 110-4 C. com., 2224 C. civ.). Cour de cassation

Liquidateur (Mader Colors) : critique les livraisons/quantités et la causalité du désordre. Cour de cassation

Sur Allianz IARD : griefs tirés de la prescription et des points de départ débattus par les moyens. Cour de cassation

Raisonnement de la Cour

Principe rappelé (art. 2241 C. civ.) : « une demande en justice, même en référé, interrompt les délais de prescription et de forclusion ». 


Qualification décisive : l’assignation tendant à rendre un jugement opposable à une partie permet à la partie appelée de se défendre et permet au demandeur d’invoquer à son encontre l’autorité de la chose jugée ; elle constitue donc une demande en justice interruptive de prescription.  

Point de départ retenu par la CA : prescription quinquennale courant à compter des 2 nov. 2011 et 4 juin 2012 (→ moyens sur Allianz « manquent en fait »). 

Solution

Rejet des pourvois ; application de l’art. 2241 C. civ. ; confirmation de l’effet interruptif de l’assignation en déclaration de jugement commun/opposable. 


3.  Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 3e, 26 juin 2025, n° 23-20.274 

Cass. civ. 3e, 29 juin 2023, n° 21-25.390 – (art. 2241 ; rappel de principe)

Cass. civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868 – (art. 2241 ; même en référé l’action interrompt)

Cass. civ. 1re, 7 juill. 2021, n° 19-11.638 – (extension de l’interruption quand les actions tendent aux mêmes fins)

Cass. civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-20.316 – (art. 2241, rappel)

3.2 Textes légaux 

Code civil, art. 2241 (version applicable – réforme 2008) :
« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsqu’elle est viciée par un vice de procédure. »

Code civil, art. 2224 (délai quinquennal – point de départ connaissance du droit) – utile pour le contexte de la prescription quinquennale discutée :

Code de commerce, art. L. 110-4 (délai quinquennal en matière commerciale) – évoqué dans les moyens ; utile pour le contexte :

4. Analyse juridique approfondie

Portée de principe

La Cour consacre que l’assignation en déclaration de jugement commun/opposable est une véritable demande en justice au sens de l’article 2241 C. civ., peu importe qu’elle ne contienne pas (encore) de prétention indemnitaire contre la partie appelée : elle ouvre le contradictoire et préfigure l’autorité de la chose jugée à son encontre. Dès lors, elle interrompt la prescription.  

Articulation avec la jurisprudence antérieure

Continuité avec la ligne constante sur 2241 : toute demande en justice, même en référé, est interruptive (v. 2e civ., 6 févr. 2020). 


Cohérence avec la construction sur l’extension de l’interruption à des actions différentes tendant aux mêmes fins (1re civ., 7 juill. 2021). 


Actualisation : la 3e chambre avait déjà réaffirmé le régime 2241 (29 juin 2023) ; l’arrêt 2025 précise expressément le cas, fréquent en contentieux technique, de la déclaration de jugement opposable. 

Conséquences pratiques

Stratégie procédurale : lorsqu’un maître d’ouvrage ou un entrepreneur agit d’abord contre un seul maillon (p. ex. le fabricant), appeler rapidement en déclaration de jugement commun le fournisseur (ou un autre intervenant) interrompt la prescription à son égard.

Sécurisation des délais : la fixation par la CA du point de départ (ici 2 nov. 2011 et 4 juin 2012) demeure décisive pour apprécier la recevabilité des demandes contre assureurs/tiers. 

Assurances : la décision ne modifie pas les régimes de garantie (décennale/RC, post-réception, etc.), mais rappelle que la prescription se joue en amont, au stade des actes introductifs (dont l’assignation en opposabilité).

Intégration jurisprudentielle

L’arrêt s’insère dans une construction cohérente :

Portée large de la “demande en justice” (2241), y compris référé et actes visant le contradictoire ;

Protection de l’accès au juge par l’interruption même en cas de vice de procédure ou d’incompétence ;

Affinement des hypothèses d’extension lorsque actions tendent aux mêmes fins (1re civ. 2021). 

5. Accompagnement personnalisé

Pour sécuriser vos dossiers (construction/immobilier/assurance) et piloter les délais de prescription, la SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos contrats/actions en cours pour repérer les actes interruptifs nécessaires ;

Structurer vos procédures (appels en déclaration de jugement opposable, référés) pour préserver vos droits ;

Gérer le contentieux (responsabilités croisées, recours en garantie, assurances).

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