Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Droit judiciaire > Appel relevé à 10 000 € ? Sauver l’effet des revirements en armant les avocats

Appel relevé à 10 000 € ? Sauver l’effet des revirements en armant les avocats

Hier
Appel relevé à 10 000 € ? Sauver l’effet des revirements en armant les avocats
procédure-civile — appel — seuil-10000 — rivage — filtrage — irrecevabilité — revirement — jurisprudence — cassation — consorts-cruz — promesse-unilatérale — cass-com-15-mars-2023-21-20-399 — cass-3e-civ-23-juin-2021-20-17-554 — coj-r211-3-24 —

Préambule

L’appel n’est pas un totem constitutionnel ; il est, plus modestement, un instrument d’égalisation du droit vivant. Là où la première instance façonne la matière litigieuse, la cour d’appel lisse, harmonise, actualise. C’est souvent en appel que les revirements de jurisprudence – sans modulation – trouvent leur première respiration utile dans le dossier ordinaire. Réduire drastiquement l’appel, c’est resserrer la fenêtre d’entrée du droit prétorien dans la vie des justiciables.

En droit positif, le taux de ressort fixe déjà une frontière : ≤ 5 000 €, le tribunal judiciaire statue en dernier ressort (COJ, art. R. 211-3-24). La règle est claire, les transitions connues, les pratiques stabilisées. 


I. État du droit : un paysage déjà contraint, un contexte officiellement réformé

Dernier ressort à 5 000 €
Le COJ, art. R. 211-3-24 organise la compétence « à charge d’appel »/« en dernier ressort » par le seul prisme de la valeur. Sous 5 000 €, l’appel se tait ; au-delà, il s’ouvre. 

Amiable et instruction conventionnelle
L’année 2025 a installé des rails procéduraux nouveaux :
– Décret n° 2025-619 du 8 juill. 2025 (simplification, dématérialisation, compétence « immeuble » pour les 145 CPC). 

– Décret n° 2025-660 du 18 juill. 2025 (principe directeur de coopération, recodification du Livre V CPC au profit des MARD et de l’instruction conventionnelle). 

Ces textes n’entament pas le droit d’appel ; ils rechargent en amont la dynamique probatoire et transactionnelle, et préparent – si l’on n’y prend garde – un transfert de la « correction » du droit depuis l’appel vers des mécanismes amiables ou exécutoires.


II. Le cœur du sujet : sans appel, le revirement respire moins

La démonstration est devenue classique mais demeure actuelle.

Hier : Consorts Cruz (3e civ., 15 déc. 1993) : la rétractation du promettant avant levée d’option empêchait la vente ; seules des D-I réparaient l’inexécution. 

Puis : grand revirement (3e civ., 23 juin 2021) : la rétractation est inefficace ; la vente parfaite peut être ordonnée, y compris sous l’ancien droit (antérieur à 2016). Aucune modulation. 

Enfin : harmonisation (com., 15 mars 2023) : la chambre commerciale s’aligne, confirme l’exécution forcée, toujours sans modulation. 

Dans le flux d’une instance ordinaire, ces inflexions sont absorbées par la cour d’appel – juridiction de droit et de fait – lorsque le revirement survient après le jugement et avant la clôture. Si l’appel est fermé par le jeu d’un seuil relevé, la partie est renvoyée devant la Cour de cassation, juridiction de pur droit, à la temporalité plus longue et aux exigences factuelles plus strictes.

III. Le projet « RIVAGE » : recentrer l’appel… au risque de l’asphyxie

Ce qui est annoncé 

Relèvement du seuil à 10 000 € ; filtrage des appels manifestement irrecevables par ordonnance ; extension du MARD préalable jusqu’à 10 000 € ; phase-in évoquée mi-2026. Statut : éléments communiqués par la Chancellerie et repris dans la presse spécialisée ; aucun texte officiel publié à ce jour. 


L’effet systémique redouté

Rétraction de la fenêtre d’intégration in itinere des revirements ;

Report mécanique vers le pourvoi, inadapté aux corrections factuelles ;

Risque de “sans-appel de l’appel” si le filtre se double d’une motivation sommaire et d’un recours inopérant.

À l’heure où les décrets 2025-619 et 2025-660 appellent à la coopération et à l’amiable, rétrécir l’appel sans garde-fous revient à tarir la principale capillaire par laquelle les revirements pénètrent la pratique contentieuse courante. 

IV. Propositions normatives pour sauver l’effet utile des revirements tout en armant les avocats

A. Assurer l’accès au revirement pendant l’instance

Clause de “revirement majeur” (CPC, art. nouveau)

Dispositif : « Nonobstant tout seuil de dernier ressort, l’appel est ouvert lorsque, entre le prononcé du jugement et l’expiration du délai pour interjeter appel, est publiée au Bulletin une décision opérant un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation ».

Effet : l’appel renaît de plein droit dans la brève fenêtre où se joue l’actualisation du droit.

Référé d’alignement jurisprudentiel (1er président)

Objet : permettre à l’avocat de saisir en urgence pour obtenir soit la réouverture ciblée de l’appel, soit une injonction de réexamen obligeant la formation à intégrer le revirement sans attendre le pourvoi.

Note RPVA “alerte revirement”

Principe : jusqu’à la clôture, une note d’actualisation déclenche une obligation de réponse motivée de la juridiction d’appel ; traçabilité et contrôle aisé en cas de filtre.

B. Donner force exécutoire aux solutions négociées par avocats

« Titre exécutoire d’avocat » (≤ 10 000 €)

Chaîne : acte contresigné + dépôt RPVA/e-Barreau → formule exécutoire du greffe (contrôle formel) → opposition JEX sous 1 mois.

Cible : créances non sérieusement contestables (B2B, consommation, charges courantes de copropriété).

Procédure participative → exécutivité automatique

Chaîne : accord contresigné → dépôt dématérialisé → titre exécutoire sans audience (contrôle de consentement/mandat/OP par le greffe).

Socle : Livre V recodifié (décret n° 2025-660)

C. Canaliser le probatoire hors juge, mais contradictoirement

Expertise amiable contradictoire opposable (AECA)

Contenu : désignation/mission/calendrier contradictoire, appel des tiers par notification, suspension de prescription, registre d’horodatage.

Coordination 145 CPC : irrecevabilité d’un 145 si une AECA se déroule loyalement (sauf urgence).
Pre-action protocols (construction ≤ 100 k€, voisinage, conso ≤ 10 k€, petites copropriétés)

Outils : listes de pièces, échéanciers, gabarits RPVA, barémisation indicative.

D. Encadrer le filtre d’appel

Ordonnance motivée + recours bref suspensif

Exigences : motivation substantielle (moyens visés) ; recours dédié (15 jours) sous ministère d’avocat, effet suspensif ; canal RPVA.

Exceptions légales au seuil

Listes ciblées : exécution provisoire aux effets manifestement excessifs ; droits fondamentaux ; questions nouvelles de principe ; décisions fondées sur une jurisprudence déjà fragilisée (avis, publications au Bulletin).

E. Passerelles techniques et soutiens financiers

Passerelle e-Barreau ↔ greffes

Fonctions : dépôt/horodatage « titre d’avocat » ; « alerte revirement » dans le dossier ; traçabilité des AECA.

Financement MARD/AJ

But : rendre effectifs les MARD pilotés par avocats (forfaits AJ/part AJ, barèmes clairs).

Conclusion

Réduire l’appel au seul motif de célérité est une illusion d’optique : on gagne du temps au prix d’une perte de souffle du droit. La circulation immédiate des revirements – 3e civ. 2021, com. 2023 – est l’oxygène de l’égalité devant la loi. Préserver cette respiration passe moins par l’abaissement du degré que par l’outillage du rôle des avocats : ouverture conditionnelle de l’appel en cas de revirement, référé d’alignement, titres exécutoires d’avocat, AECA, filtres motivés et contrôlables. C’est le chemin d’une justice rapide, fiable, vérifiable.

Cette actualité est associée aux catégories suivantes : Droit judiciaire  -  Billet d'humeur