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Provision ad litem et appel immédiat : analyse de l’arrêt Cass. civ. 2e, 11 sept. 2025

Le 06 novembre 2025
Provision ad litem et appel immédiat : analyse de l’arrêt Cass. civ. 2e, 11 sept. 2025
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La SELARL Philippe GONET, société d’avocat inscrite au barreau de Saint-Nazaire, intervient notamment en droit du dommage corporel, en responsabilité médicale et en droit judiciaire. Elle accompagne les victimes d’accidents, d’erreurs médicales ou d’accidents médicamenteux dans leurs contentieux devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel, en particulier devant la cour d’appel de Rennes.

Dans un contentieux aussi technique que celui d’Androcur (acétate de cyprotérone) et des actions de groupe en matière de médicament, la maîtrise de la procédure d’appel, des incidents devant le juge de la mise en état et des règles d’appel immédiat est déterminante. L’arrêt commenté illustre précisément cette articulation entre défense des victimes et maîtrise des voies de recours.


I. Résumé de la décision

1. Parties et juridiction
Demanderesse au pourvoi :
Société Bayer HealthCare (SAS), fabricant du médicament Androcur.
Défenderesse au pourvoi :
Association d’Aide aux victimes des accidents du médicament (Aaavam).
Juridiction : Cour de cassation, deuxième chambre civile 11 septembre 2025, n° 22-23.162,
Arrêt attaqué : CA Douai, 3e ch., 15 sept. 2022, n° 22/00776.


2. Nature du litige

Au fond, le litige porte sur une action de groupe introduite par l’Aaavam à la suite de dommages imputés au médicament Androcur. Sur le terrain procédural, l’arrêt de cassation ne tranche pas la responsabilité de Bayer, mais une question incidente :

La décision du juge de la mise en état qui alloue une provision pour le procès (provision ad litem) est-elle susceptible d’appel immédiat en application de l’article 795, 4° du code de procédure civile ?

3. Effet direct de la décision sur la pratique

La Cour de cassation décide que :

Oui, l’ordonnance du juge de la mise en état qui a trait aux provisions accordées au créancier au titre de l’obligation principale (article 795, 4° CPC) peut faire l’objet d’un appel immédiat.

Non, l’ordonnance qui se borne à allouer une provision pour le procès (frais d’instance, provision ad litem sur le fondement de l’article 789, 2° CPC) n’est pas susceptible d’appel immédiat ; elle ne pourra être contestée qu’avec la décision sur le fond.
L’arrêt vient donc consolider et unifier une pratique déjà largement admise par plusieurs cours d’appel : la provision ad litem suit le régime de droit commun des ordonnances du juge de la mise en état (appel différé), tandis que la provision accordée au créancier au titre d’une obligation non sérieusement contestable entre dans le champ de l’appel immédiat.


II. Analyse détaillée
A. Les faits :

une action de groupe Androcur et une provision pour frais de procès

Origine du litige

L’Aaavam fait valoir l’existence de dommages résultant de l’administration d’Androcur.


Elle assigne devant un tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) les sociétés Bayer HealthCare, Delpharm [Localité 3], ainsi que :

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM),
L’ONIAM,


afin d’exercer une action de groupe en matière de responsabilité du fait des produits de santé.

Incident devant le juge de la mise en état

L’association saisit le juge de la mise en état (JME) d’un incident aux fins d’expertise et sollicite notamment une provision pour frais d’instance (provision ad litem) afin de financer les coûts du procès (honoraires, expertise, etc.).

Ordonnance du 29 avril 2021

Le juge de la mise en état :

Accorde à l’Aaavam une provision pour frais d’instance de 10 000 €,

Rejette une demande de Bayer (notamment une demande de garantie),

Réserve certains autres points.

La question sensible, pour le défendeur industriel, est donc la possibilité de contester immédiatement cette provision ad litem.


B. La procédure : du juge de la mise en état à la Cour de cassation

Appel de l’ordonnance du JME par Bayer (1er juin 2021)

Le 1er juin 2021, Bayer interjette appel de l’ordonnance du 29 avril 2021, uniquement en ce qu’elle :

la condamne à payer une provision pour frais d’instance de 10 000 €,

rejette sa demande (notamment de garantie).

Ordonnance du conseiller de la mise en état de la cour d’appel

Le conseiller de la mise en état de la CA Douai déclare cet appel irrecevable, estimant que l’ordonnance attaquée n’entre pas dans les cas d’appel immédiat prévus par l’article 795 du CPC.

Requête en déféré (article 916 CPC)

Bayer forme une requête en déféré pour faire réexaminer cette ordonnance par la formation collégiale de la cour d’appel.

Par arrêt du 15 septembre 2022, la CA Douai (3e chambre) confirme l’irrecevabilité de l’appel :

La provision allouée n’est pas, selon la cour, une « provision accordée au créancier » au sens de l’article 795, 4° CPC, mais une provision pour le procès, relevant de l’article 789, 2° CPC.

Pourvoi en cassation de Bayer

Bayer forme un pourvoi unique, articulé en plusieurs branches, reprochant essentiellement à la cour d’appel d’avoir :

restreint indûment le champ de l’article 795, 4° CPC ;

méconnu, selon elle, l’unité des « provisions » visées par les textes.

Arrêt de rejet de la Cour de cassation (11 septembre 2025)

La deuxième chambre civile rejette le pourvoi, après avis du procureur général, et confirme la non-recevabilité de l’appel immédiat contre l’ordonnance allouant la provision ad litem.

C. Le moyen du pourvoi : un plaidoyer de l’unification des « provisions »

Le moyen unique de Bayer développe deux arguments centraux (les deux premières branches, les deux dernières n’étant « pas de nature à entraîner la cassation » et donc non examinées au fond) :

Premier argument (1°/)

Bayer soutient que les ordonnances du JME sont susceptibles d’appel immédiat lorsque, le montant de la demande dépassant le taux du dernier ressort, elles « ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ».

Selon elle, toutes les provisions que le JME peut prononcer – qu’il s’agisse d’une provision à valoir sur la créance principale ou d’une provision ad litem destinée à couvrir les frais de procès – supposent l’existence d’une obligation non sérieusement contestable (obligation principale ou obligation de supporter les frais).

Dès lors, la provision pour le procès devrait elle aussi suivre le régime de l’appel immédiat.


Second argument (2°/)

Bayer insiste sur le fait que l’article 795 ne distingue pas la nature de l’obligation non sérieusement contestable (obligation au fond ou obligation de contribuer aux frais)

Elle en déduit que l’appel immédiat doit être ouvert aussi bien pour les provisions sur le fond que pour les provisions ad litem lorsque le montant dépasse le taux du dernier ressort.

En résumé, le pourvoi plaide pour une lecture extensive et indifférenciée de la notion de « provisions accordées au créancier » de l’article 795, 4° CPC.


D. Le raisonnement et la solution de la Cour de cassation

1. Rappel du cadre textuel par la Cour

La Cour opère un rappel méthodique des textes :

Article 789, 2° CPC (rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 déc. 2019) :

Le juge de la mise en état, à compter de sa désignation et jusqu’à son dessaisissement, est seul compétent pour, notamment, « allouer une provision pour le procès ».

Article 795 CPC (version 1er janv. 2021 – 1er sept. 2024, puis version issue du décret n° 2024-673) :
Les ordonnances du JME ne sont, en principe, pas susceptibles d’appel immédiat, sauf dans certains cas limitativement énumérés, dont le 4° :

Lorsqu’elles ont trait, dans la limite du taux de compétence en dernier ressort, aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

La Cour souligne ainsi que le code distingue déjà, dans la structure des textes, entre :

d’une part la provision pour le procès (article 789, 2°),
d’autre part la provision accordée au créancier sur une obligation principale non sérieusement contestable (article 789, 3° ancien / aujourd’hui 789 combiné à 795, 4°).


2. Distinction décisive : provision pour le procès vs provision au créancier

La Cour formule la clé de voûte de sa solution :

La décision du JME qui a trait aux provisions accordées au créancier (créance principale, obligation au fond) est susceptible d’appel immédiat si le montant excède le taux du dernier ressort.
En revanche, « il n’en est pas de même de la décision qui alloue une provision pour le procès » (provision ad litem).

Autrement dit :

La provision ad litem, même si son octroi suppose de caractériser une obligation « non sérieusement contestable » de contribuer aux frais du procès, ne relève pas du 4° de l’article 795 CPC. Elle ne peut donc pas être frappée d’appel immédiat.

3. Application au cas d’espèce

La Cour constate que les chefs d’ordonnance attaqués :

ne concernent ni une expertise, ni un sursis à statuer,
ne mettent pas fin à l’instance et n’en constatent pas l’extinction,
ne statuent pas sur une exception de procédure ni sur une fin de non-recevoir,
ne portent pas sur des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps,
et n’ont pas trait à une provision accordée au créancier sur une obligation au fond non sérieusement contestable.

Dès lors, la provision ad litem ordonnée :

est qualifiée comme telle,

ne relève ni de l’article 789, 2° en tant que fondement d’un appel immédiat, ni du 4° de l’article 795,
et ne peut être attaquée qu’avec la décision au fond.

La Cour juge ainsi que la CA Douai a exactement appliqué les articles 789 et 795 CPC en déclarant l’appel irrecevable et en rejetant la requête en déféré. Le moyen n’est pas fondé et le pourvoi est rejeté.


III. Références juridiques 

1. Jurisprudence
1.1. Décision commentée
Cass. civ. 2e, 11 sept. 2025, n° 22-23.162, ECLI:FR:CCASS:2025:C200819 – Rejet – Publié au Bulletin.

1.2. Décision attaquée
CA Douai, 3e ch., 15 sept. 2022, n° 22/00776 – Rejet du déféré et confirmation de l’irrecevabilité de l’appel.


1.3. Jurisprudence antérieure sur les provisions et l’appel immédiat

Cass. civ. 1re, 17 mars 2016, n° 14-26.968,  Rejet.

La Cour reconnaît que l’appel immédiat est ouvert contre les ordonnances du JME « ayant trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier », non seulement lorsqu’elles accordent une provision, mais également lorsqu’elles la refusent (ancienne combinaison des articles 771 et 776 CPC).

2. Textes légaux

2.1. Article 789 CPC (rôle du juge de la mise en état)

Version issue du décret n° 2019-1333 du 11 déc. 2019 (applicable au litige) :

L’article 789 CPC prévoit que le JME est seul compétent, notamment, pour :

« allouer une provision pour le procès » (2°) et « accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable » (3° ancien).

2.2. Article 795 CPC (régime de l’appel des ordonnances du JME)

Version du 1er janv. 2021 au 1er sept. 2024 (décret n° 2020-1452) – applicable à la décision de la CA Douai :
L’article 795 dispose que les ordonnances du JME ne peuvent, en principe, être frappées d’appel qu’avec le jugement sur le fond, mais qu’elles sont néanmoins susceptibles d’appel immédiat, dans les 15 jours, notamment lorsqu’

« [...] elles ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable » (4°).

Version depuis le 1er sept. 2024 (décret n° 2024-673) :
La numérotation et la structure sont légèrement remaniées, mais le 4° relatif aux provisions au créancier est maintenu dans des termes analogues.

IV. Analyse juridique approfondie

1. Une construction en deux étages : texte et doctrine de la Cour de cassation

Les textes, dès l’origine (anciens articles 771 et 776 puis 789 et 795 CPC), organisent un double régime :

Provisions au créancier (créance principale non sérieusement contestable)

Relèvent du mécanisme de l’appel immédiat (ancien article 776, 4°, puis article 795, 4°).

Provisions pour le procès (ad litem)

Ne sont visées que dans l’article attribuant compétence au JME (ancien article 771, 2°, et maintenant article 789, 2°), sans être expressément mentionnées dans la liste des cas d’appel immédiat.
L’arrêt du 17 mars 2016 avait déjà adopté une lecture large de l’expression « ordonnances ayant trait aux provisions » : l’appel immédiat vaut aussi pour l’ordonnance qui refuse la provision au créancier.

L’arrêt du 11 septembre 2025, au contraire, resserre le champ en distinguant non pas selon le contenu de la décision (octroi ou refus) mais selon la nature de la provision :

Pour les provisions au créancier :

La jurisprudence de 2016 demeure valable : tout ce qui « a trait » à ces provisions (octroi ou refus) reste susceptible d’appel immédiat.
Pour les provisions pour le procès :

La Cour consacre une différence de nature : ce type de provision relève d’un financement du procès, non de l’exécution anticipée d’une obligation principale ;
Dès lors, elles échappent au 4° de l’article 795 CPC et restent soumises au principe de l’appel différé.

2. Alignement avec la jurisprudence des cours d’appel

Avant 2025, plusieurs cours d’appel avaient déjà tiré cette conclusion :

CA Poitiers, 11 avr. 2023 : la provision pour le procès, visée à l’article 789, 2°, ne relève pas de l’appel immédiat de l’article 795.
CA Paris, 15 nov. 2024 et CA Paris, 22 janv. 2025 : même solution, insistant sur la différence entre provision de fond et provision ad litem.
CA Nîmes, 4 sept. 2025 : confirme la lecture stricte de l’article 795, 4° au seul profit des provisions au créancier, excluant la provision ad litem.
L’arrêt du 11 septembre 2025 consacre cette ligne et apporte une autorité suprême à une distinction déjà pratiquée par de nombreuses cours, sécurisant ainsi la pratique.

3. Logique de la distinction : enjeu matériel et économie de la procédure

La distinction retenue par la Cour est cohérente avec l’économie générale de la mise en état :

La provision au créancier constitue une exécution anticipée (partielle) de la créance au fond ; elle suppose un examen assez poussé de la situation au regard de l’obligation principale.

Il est logique qu’une telle décision puisse être immédiatement contrôlée par la cour d’appel.

La provision pour le procès n’est qu’un aménagement provisoire du financement de l’instance (frais, honoraires, éventuellement coûts d’expertise).

Elle renvoie à la logique d’accès au juge et d’égalité des armes, mais ne tranche pas, même partiellement, le sort de l’obligation de fond.
Lui appliquer l’appel immédiat ouvrirait la voie à des stratégies dilatoires de la part du défendeur, notamment dans des contentieux complexes (médicament, construction, accidents de masse).
La Cour choisit donc un équilibre : sécurité des débitrices/débiteurs pour les provisions au fond, et fluidité de la mise en état pour les provisions ad litem.

4. Portée pratique pour les victimes et les défendeurs

Pour les victimes (ici, victimes de médicaments)
La provision ad litem permet de sécuriser le financement du procès (expertise, frais, assistance de l’avocat), sans que le défendeur puisse bloquer la procédure par un appel immédiat.
Le risque de « guerre de procédure » sur les seules questions de financement est réduit.

Pour les défendeurs (industriels, assureurs, constructeurs, etc.)
Ils ne sont pas privés de tout recours :

ils pourront contester la provision ad litem devant la cour d’appel, mais en même temps que l’appel sur le fond ;
ils conservent la possibilité de discuter du bien-fondé et du quantum de cette provision au stade de l’instance principale.

En revanche, ils devront intégrer dans leur stratégie que :

la marge de manœuvre immédiate est plus limitée,
l’évaluation du risque financier lié au procès (provisions ad litem récurrentes, expertises onéreuses) doit être anticipée plus en amont.

V. Critique de la décision

L’arrêt se situe dans le prolongement de la jurisprudence de 2016 sur les provisions au créancier, qu’il ne remet pas en cause ; il la complète en traçant une frontière claire avec la provision ad litem.
Il met fin à toute ambiguïté pouvant résulter d’une lecture « maximaliste » de la notion de « provisions qui peuvent être accordées au créancier ».

On peut toutefois discuter deux aspects :

Rigidité de la distinction

Dans certains contentieux, la distinction entre provision de fond et provision ad litem n’est pas toujours nette (par exemple, lorsque la provision pour le procès est fondée sur une obligation d’assurance de protection juridique ou de prise en charge contractuelle des frais).

La solution de la Cour pourrait inviter les parties à requalifier des demandes de provision ad litem en provisions au créancier, pour bénéficier de l’appel immédiat.

Accès au juge et égalité des armes

Pour de gros défendeurs (laboratoires, assureurs), la solution est neutre ou légèrement défavorable.

Pour de petites entreprises ou des professions libérales mises en cause, la charge immédiate d’une provision ad litem importante, sans possibilité d’appel immédiat, peut être lourde.

La Cour privilégie néanmoins la stabilité de la mise en état et la prévisibilité des voies de recours.


VII. Accompagnement personnalisé par la SELARL Philippe GONET

Face à une décision du juge de la mise en état – qu’il s’agisse d’une provision au créancier, d’une provision ad litem, d’une mesure d’expertise ou d’un incident de procédure – la question de la recevabilité de l’appel est cruciale.

La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut :

analyser la recevabilité d’un appel contre une ordonnance du JME (article 795 CPC),
sécuriser la stratégie contentieuse en matière de responsabilité médicale, d’actions de groupe, d’accidents ou de construction,
vous assister dans la rédaction d’incidents de procédure (demande de provision, contestation de provision, expertise, sursis à statuer),
anticiper les risques financiers liés aux provisions (ad litem ou au fond) et aux frais de procès.
En pratique, si vous êtes victime d’un médicament (comme Androcur) ou d’une erreur médicale, ou si vous êtes professionnel mis en cause, il est essentiel de faire valider votre stratégie de recours par un avocat rompu à la procédure civile d’appel.

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