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Action du sous-acquéreur contre le fabricant : Rome II confirmé (Cass. 28-05-2025)

Le 11 septembre 2025
Action du sous-acquéreur contre le fabricant : Rome II confirmé (Cass. 28-05-2025)
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1. Résumé succinct

Parties :

• Demanderesse au pourvoi principal : HD Hyundai Infracore Europe SRO (ex-Doosan Infracore Europe), fabricant.

• Défenderesses à la cassation : TVM Verzekeringen NV (assureur néerlandais) et TVM Belgium (succursale belge), Swib (Luxembourg), Wilbois (Belgique), Vigneau matériels forestiers (France), Nouvelle FCE TP (France).

Juridiction : Cour de cassation, 1re chambre civile, 28 mai 2025, n° 23-13.687, arrêt n° 346 FS-B+R, cassation partielle, renvoi CA Paris. 

Nature du litige : action en indemnisation fondée sur les vices cachés/défaut et subrogation de l’assureur du sous-acquéreur contre le fabricant.

Effet direct sur la jurisprudence/pratiques : la Cour qualifie l’action directe du sous-acquéreur contre le fabricant d’obligation non contractuelle et impose l’application du règlement Rome II (art. 4) ; une clause de choix de loi stipulée dans le contrat initial fabricant–premier acheteur est inopposable au sous-acquéreur (art. 14 Rome II).

2. Analyse détaillée

Les faits 

2014 & 2016 : Swib conclut deux crédits-bails sur du matériel Doosan auprès de Bil Lease.
Chaîne de contrats : Fabricant (Doosan/Hyundai) → FCE TP (concessionnaire) → Vigneau matériels forestiers (revendeur & modifications) → Bil Lease (acquéreur) → Swib (crédit-preneur).

Les CGV du fabricant comportent une clause de choix de la loi belge.

2016 : destruction du matériel par incendie.

14 janv. 2019 : TVM Verzekeringen, subrogée dans les droits de Swib, assigne devant un tribunal de commerce français Vigneau, FCE TP et Doosan Holdings France (vices cachés). Swib & Wilbois forment demandes propres (vices cachés/défaut de conformité/obligation de conseil). Doosan Infracore Europe (devenue Hyundai) intervient volontairement.

La procédure

T. commerce Châlons-en-Champagne, 10 déc. 2020 : dit le droit français applicable à l’action TVM contre Doosan/Hyundai ; rejette prescription opposée par le fabricant ; diverses condamnations in solidum (franchises/dépens/700 CPC).

CA Reims, 5 avr. 2022 : confirme, retient droit français ; estime inopposables aux sous-acquéreurs les clauses contractuelles dont la preuve du consentement n’est pas rapportée.

Pourvoi principal (Hyundai) & incident (FCE TP). Audience à la Cour de cassation le 1er avr. 2025 ; PG av. gén. M. Salomon.

Cassation partielle (28 mai 2025) : casse seulement les chefs disant droit français applicable et absence de prescription, + certaines condamnations corrélatives ; renvoi CA Paris.

Contenu de la décision

Arguments 

Hyundai : conteste l’application du droit français ; invoque clause de loi belge dans le contrat initial fabricant–premier acquéreur ; soutient, en substance, une qualification contractuelle.

TVM/Swib/Wilbois : action fondée sur garantie des vices cachés du fabricant non vendeur ;

Inopposabilité des clauses au sous-acquéreur ; compétence loi du lieu du dommage.

Raisonnement de la Cour de cassation

Qualification du lien juridique : en cohérence avec la jurisprudence CJUE Handte et Refcomp, aucun lien contractuel ne lie le sous-acquéreur (ou son assureur subrogé) au fabricant ; l’action directe est délictuelle/quasi-délictuelle. Conséquence : la loi applicable se détermine par le règlement Rome II et non par Rome I. ;

Règle de conflit applicable : application prioritaire de l’art. 4 Rome II (pays où le dommage survient ; rattachements des §2 et §3) ; art. 14 Rome II : un choix de loi n’est possible qu’entre les parties à l’obligation non contractuelle (accord postérieur au fait générateur, ou antérieur entre professionnels librement négocié) — non rempli ici. La clause de loi belge dans le contrat initial fabricant–premier acquéreur n’est pas un choix valable à l’égard du sous-acquéreur.

Erreur de la CA : en retenant le droit français sans appliquer Rome II art. 4, la CA a violé l’art. 3 C. civ., Rome II (art. 1, 4, 14) et Rome I (art. 1 — pour délimiter son champ). Cassation partielle et renvoi.

Solution retenue

Cassation partielle des chefs : droit applicable et prescription (avec conséquences accessoires) ; renvoi CA Paris pour déterminer in concreto la loi applicable via Rome II art. 4.

3. Références juridiques

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 1re, 28 mai 2025, n° 23-13.687 – Publié au Bulletin – Cassation partielle.

Cass. civ. 1re, 28 mai 2025, n° 23-20.341 – décision jumelle confirmant le même principe (qualification Rome II pour l’action directe du sous-acquéreur ; inopposabilité du choix de loi initial).

Cass. civ. 1re, 11 sept. 2013, n° 09-12.442 – post-Refcomp : clause attributive/juridiction convenue entre fabricant et acquéreur initial inopposable au sous-acquéreur (règl. Bruxelles I, logique transposable à la loi applicable).

CA Versailles, 13 déc. 2016, n° 16/050981 – application Refcomp : la clause du contrat initial fabricant–acquéreur ne lie pas le sous-acquéreur.


CJCE, 17 juin 1992, Handte, C-26/91 — nature non contractuelle de l’action du sous-acquéreur contre le fabricant


CJUE, 7 févr. 2013, Refcomp, C-543/10 — inopposabilité au sous-acquéreur d’une clause attributive de juridiction du contrat initial ; inférence sur la qualification non contractuelle. )

CJUE, 16 janv. 2014, Kainz, C-45/13 — exigence de cohérence entre textes (Bruxelles I / Rome I / Rome II). 

3.2 Textes légaux 

Code civil, art. 3 (version en vigueur) :
« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »

Règlement (CE) n° 864/2007 (Rome II), art. 1, 4, 14 – citations mot à mot reprises par l’arrêt (points 12–14 & 13, 14) :

• Art. 4 §1 : « … la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient… » ; §2–3 (résidence habituelle commune ; liens manifestement plus étroits).

• Art. 14 : choix de loi par accord postérieur au fait générateur ou antérieur librement négocié entre professionnels.

4. Analyse juridique approfondie

Qualification : L’action du sous-acquéreur / assureur subrogé contre le fabricant non vendeur est délictuelle (absence d’engagement/obligation de nature contractuelle du fabricant envers le sous-acquéreur) — ligne Handte/Refcomp ; conséquence : Rome II gouverne la loi applicable. Cour de cassation

Inopposabilité du choix de loi : la clause de loi belge des CGV fabricant–premier acquéreur ne peut régir l’obligation délictuelle envers le sous-acquéreur (art. 14 Rome II).

Méthode de détermination (art. 4 Rome II) :

Lieu du dommage (survenance du dommage direct) ;

Résidence habituelle commune (fabricant / lésé) ;

Clause d’exception (liens manifestement plus étroits).

La Cour renvoie à l’appréciation in concreto de la CA de renvoi (CA Paris) pour arrêter la loi applicable (pouvant conduire à une loi autre que française selon les rattachements).

Prescription : cassation corrélative du chef ayant écarté la prescription sur la base du droit français ; la loi applicable (Rome II) déterminera le régime de prescription (via lex causae / règles matérielles).

Comparaison avec la jurisprudence antérieure (synthèse)

Avant 2025, la Cour se prononçait surtout sur la compétence (Bruxelles I) et l’inopposabilité au sous-acquéreur des clauses du contrat initial (Refcomp) ; l’arrêt du 28 mai 2025 transpose expressément cette qualification non contractuelle au plan des conflits de lois (Rome II) et stabilise la solution.

Une décision jumelle du même jour (n° 23-20.341) confirme la portée normative de l’arrêt, contribuant à une ligne ferme : Rome II pour l’action directe du sous-acquéreur contre le fabricant. 

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