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Worldpay & options binaires : vigilance du PSP et loi française

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Worldpay & options binaires : vigilance du PSP et loi française
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1. Résumé juridique & littéraire

Parties. Worldpay AP Ltd (prestataire de services de paiement – PSP – de droit anglais) c/ M. [F] [X] (investisseur domicilié en France) & Seroph Holding BV (société néerlandaise) – Procureur général.

Juridiction. Cour de cassation, chambre commerciale, formation de section, arrêt n° 486 FS-B du 1er octobre 2025 

Nature du litige. Démarchage en France pour placements en ligne (Forex/options binaires) ; virements depuis un compte BNP Paribas (France) vers un compte Worldpay ouvert en France et mis à disposition de Seroph ; action en responsabilité contre le PSP pour manquement à l’obligation de vigilance. 

Effet sur la pratique.

1) Loi applicable (Rome II) : quand le préjudice purement financier se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur en France, la loi française peut s’appliquer si d’autres circonstances du dossier convergent (cohérence avec Bruxelles I et CJUE Universal Music/Löber).

2) Obligation de vigilance du PSP : existence d’anomalies apparentes (client « PSP » non régulé, liste noire AMF, flux) justifiant la condamnation in solidum (avec Seroph) – tout en retenant une faute de la victime à 50 % maintenue par la CA. 

2. Analyse détaillée

Les faits 

2013 : des sites de courtage (dont BanQ of Broker et 50 Option) figurent sur la liste noire AMF (placements à haut risque / arnaques).

2014 : M. X, démarché en France, effectue des virements depuis son compte BNP Paribas (France) vers un compte Worldpay tenu chez NatWest en France, mis à disposition de Seroph. Les fonds transitent par ce compte en vue d’investissements en ligne (Forex/options binaires).

2017 : M. X assigne Worldpay et Seroph en responsabilité (manquement à l’obligation de vigilance) pour obtenir indemnisation. 

La procédure

TGI/ TJ : non repris dans l’arrêt de cassation (fondement de l’appel).

CA Paris (pôle 5, ch. 16), 18 oct. 2022, RG 20/18229 : retient la loi française, le manquement de Worldpay et de Seroph à l’obligation de vigilance ; partage de responsabilité 50 % pour faute de la victime ; condamnation in solidum. (Synthèse officielle disponible via le site de la Cour de cassation.) 

Pourvoi Worldpay (5 moyens).

Cass. com., 1er oct. 2025 (rejet) : confirme la loi française et le manquement du PSP aux vues d’anomalies apparentes.

Contenu de la décision 

Arguments des parties 

Worldpay : (i) le dommage financier du demandeur ne se matérialise pas « directement » en France au sens de Rome II ; (ii) pas d’obligation générale de vigilance du PSP (devoir de non-immixtion), absence d’anomalie apparente ; (iii) le demandeur a volontairement émis les virements. 

M. X : (i) dommage direct sur son compte français ;

(ii) anomalies apparentes : Seroph se présente comme « PSP » sans justifier d’agrément, clients sur liste noire AMF ;

(iii) Worldpay rend les placements possibles par la mise à disposition du compte et sa technologie. 

Raisonnement de la Cour

Loi applicable (art. 4, § 1, Rome II) – cohérence avec Bruxelles I : la Cour rappelle la jurisprudence CJUE (Universal Music C-12/15 et Löber C-304/17) : le lieu de matérialisation du préjudice purement financier peut fonder la compétence / loi applicable si d’autres circonstances particulières y concourent.

La CA a constaté que l’investisseur, domicilié en France, détient un compte en France depuis lequel les virements ont été ordonnés après démarchage en France ; elle en a déduit que le dommage est survenu en France et que la loi française s’applique. Cassation : appréciation légalement justifiée (aucune incohérence avec les règlements). 

Obligation de vigilance du PSP (fond de droit interne) : la CA a caractérisé des anomalies apparentes :

Seroph se présentait comme un prestataire de services de paiement (activité réglementée) sans justifier des informations/agréments requis ;

Communication par Seroph à Worldpay de l’identité de sites (dont BanQ of Broker et 50 Option) déjà sur la liste noire AMF (2013) ;

Les ordres de virement mentionnaient 50 Option et une référence Seroph (ACxxxx) renvoyant au bénéficiaire final ;

Les flux transitaient en France via le compte Worldpay chez NatWest mis à la disposition de Seroph.

De ces éléments, la CA a pu déduire que Worldpay ne pouvait ignorer la nature régulée de l’activité & les alertes AMF : manquement à l’obligation de vigilance, responsabilité in solidum avec Seroph. La Cour approuve.

Solution retenue

Rejet du pourvoi ; confirmation : loi française applicable et faute de vigilance du PSP au regard d’anomalies apparentes ; condamnation in solidum (avec Seroph) maintenue (avec partage de responsabilité 50 % pour la victime retenu par les juges du fond). 

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 
Cass. com., 1er oct. 2025, n° 22-23.136 (FS-B), rejet,

CA Paris (ch. com. internationale, pôle 5 ch. 16), 18 oct. 2022, RG 20/18229

CJUE, 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C-12/15

CJUE, 12 sept. 2018, Löber, C-304/17


3.2 Textes 

Règlement (CE) n° 864/2007 (Rome II), art. 4, § 1 – « loi du lieu où le dommage survient ». (Rappel par la Cour de cassation, cohérence avec Bruxelles I.

Règlement (CE) n° 44/2001 (Bruxelles I), art. 5, 3 (aujourd’hui 7, 2 Bruxelles I bis) – point de contact avec CJUE Universal Music/Löber. Cour de justice de l'Union européenne

Code monétaire et financier, L. 133-18 s. (pour mémoire, non directement appliqués ici car opérations autorisées ; utilité pour la frontière avec le régime spécial). 


4. Analyse juridique approfondie

4.1 Portée sur la loi applicable (Rome II)

La chambre commerciale aligne son raisonnement sur la CJUE : un préjudice financier peut localiser le dommage en France si (i) il se matérialise directement sur un compte français du demandeur et (ii) des circonstances particulières convergent (ici : démarchage en France, compte bancaire en France, virements initiés en France, compte PSP en France où les fonds disparaissent). La Cour confirme que la loi française régit l’action délictuelle contre le PSP de droit anglais. 

4.2 Obligation de vigilance du PSP (contenu & seuil)

La Cour valide l’analyse de la CA : il ne s’agit pas d’imposer une « enquête générale », mais de détecter les anomalies apparentes accessibles au PSP :

Client professionnel se présentant comme PSP sans justifier de conformité/agrément ;

Bénéficiaires figurant sur la liste noire AMF ;

Tracabilité des virements (libellés renvoyant au bénéficiaire final).

Ces indices cumulés suffisent à déclencher la vigilance et à retenir la faute en cas d’inaction. Ce cadre s’inscrit dans la ligne « anomalie apparente » déjà connue pour les banques (prudence/vigilance) – mais transposée ici au PSP dans un contexte d’opérations autorisées (hors L. 133-18 s.).

4.3 Articulation avec la jurisprudence 2024–2025 sur le régime spécial des paiements

Depuis 2024, la Cour impose l’application exclusive des articles L. 133-18 s. CMF pour les opérations non autorisées/mal exécutées (phishing, etc.). Mais l’arrêt du 1er oct. 2025 se situe hors de ce périmètre : opérations autorisées par le payeur ; l’action délictuelle vise le comportement fautif du PSP ayant maintenu des services malgré des alertes. Cohérence donc : régime spécial quand il s’agit de paiements non autorisés/mal exécutés ; responsabilité délictuelle (1240 C. civ.) possible hors de ce champ, sous réserve d’anomalies apparentes établies.

4.4 Convergence européenne (CJUE Universal Music/Löber)

La solution sur la localisation du dommage épouse la ligne CJUE : le domicile du demandeur ne suffit pas ; mais la matérialisation directe sur son compte + circonstances convergentes rendent pertinent le droit français ici. Les juridictions françaises (Civ. 1re, 15 juin 2022) ont déjà relayé ce standard. 

5. Critique de la décision

L’arrêt sécurise la qualification d’« anomalies apparentes » à partir d’indices concrets (profil du client professionnel, documentation incomplète, listes AMF, libellés des virements).

Frontière nette avec le régime L. 133-18 s. (opérations autorisées ≠ non autorisées) ; prévisibilité accrue pour les PSP opérant en France. 


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