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1. Présentation de l’arrêt
Décision analysée
Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale
Date : 13 novembre 2025
Numéro de pourvoi : 24-14.322
Parties : Mme B. c/ CARSAT Languedoc-Roussillon
Nature du litige
Une salariée, assistante sociale, placée en télétravail pour raisons de santé, voit l’employeur refuser de mettre en œuvre les préconisations du médecin du travail (télétravail à domicile) au motif qu’elle refuse une visite à son domicile pour contrôler la conformité de son installation. Elle invoque un manquement à l’obligation de sécurité et une discrimination en raison de son origine. La cour d’appel la déboute. La Cour de cassation casse l’arrêt.
Effet direct sur la pratique
Affirmation claire : le domicile du salarié est un espace relevant de la vie privée ; l’employeur ne peut imposer une visite domiciliaire comme condition au télétravail.
Rappel : l’employeur doit mettre en œuvre ou contester les préconisations du médecin du travail via l’article L. 4624-7 du code du travail – il ne peut simplement s’en écarter en exigeant l’accès au domicile.
SELARL Philippe GONET – accompagnement
La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, intervient en droit du travail et en droit de la santé au travail (obligation de sécurité, risques psychosociaux, télétravail, harcèlement, inaptitude). Elle assiste salariés et employeurs pour :
sécuriser les dispositifs de télétravail ;
contester les décisions contraires aux préconisations du médecin du travail ;
engager la responsabilité de l’employeur en cas d’atteinte à la santé ou à la vie privée.
2. Les faits : chronologie complète
22 mars 2010 : Mme B. est engagée par la CARSAT Languedoc-Roussillon en qualité d’assistante sociale.
Plusieurs années : la salariée exerce notamment des missions sur plusieurs sites géographiques, avec déplacements. (Éléments détaillés dans l’arrêt d’appel, non contestés devant la Cour de cassation.)
26 novembre 2021 : le médecin du travail recommande :
une organisation en télétravail à domicile deux jours par semaine (puis trois jours par semaine à compter du 15 janvier 2022) ;
des limitations géographiques de déplacement (sites déterminés).
La salariée produit un diagnostic de conformité de son domicile établi par un organisme spécialisé (type Bureau Veritas) attestant de la sécurité de son installation de télétravail.
L’employeur :
subordonne la mise en œuvre du télétravail à une visite du domicile par ses services pour vérifier la conformité du poste de travail ;
puis refuse la mise en œuvre effective du télétravail en raison du refus de Mme B. de cette visite à domicile.
Mme B. saisit la juridiction prud’homale pour :
manquement à l’obligation de sécurité ;
discrimination en raison de son origine, l’employeur ayant selon elle appliqué un traitement différent dans la mise en œuvre du télétravail.
3. La procédure
Première instance (conseil de prud’hommes)
La décision n’est pas détaillée par l’arrêt de cassation, mais la cour d’appel statue en appel du jugement prud’homal. On peut en déduire que Mme B. a été en grande partie déboutée, puis a interjeté appel.
Cour d’appel de Nîmes, 5 mars 2024
La cour d’appel :
considère que l’employeur ne peut voir reprocher de ne pas avoir réorganisé le service pour mettre en place le télétravail ;
retient que le télétravail ne pouvait être mis en œuvre du fait du refus de la salariée de laisser l’employeur visiter son domicile ;
souligne l’absence de certificat médical détaillant la pathologie, et en déduit l’impossibilité de caractériser un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
rejette en conséquence la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et la demande fondée sur la discrimination.
Pourvoi en cassation
Mme B. se pourvoit en cassation, invoquant notamment :
la violation des textes relatifs au respect de la vie privée et du domicile ;
la violation des articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4624-3, L. 4624-6 et L. 4624-7 du code du travail concernant l’obligation de sécurité et le rôle du médecin du travail ;
les conséquences de ce manquement sur la discrimination alléguée.
Arrêt de cassation, 13 novembre 2025
La Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Montpellier et casse par voie de conséquence la partie de l’arrêt relative à la discrimination (application de l’article 624 CPC).
4. Contenu de la décision : arguments, raisonnement, solution
4.1. Textes visés
La Cour de cassation vise notamment :
Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (droit naturel à la liberté, à la sûreté, à la propriété) –
Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et du domicile), rappelé dans de nombreuses décisions françaises.
Article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications) –
Article 9 du code civil (droit au respect de la vie privée)
Articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (obligation de sécurité de l’employeur – mesures de prévention, information et organisation)
Article L. 4624-3 du code du travail (préconisations du médecin du travail : aménagement du poste ou du temps de travail) – version santé travail
Article L. 4624-6 du code du travail (obligation de prise en considération des avis et propositions du médecin du travail)
Article L. 4624-7 du code du travail (recours devant le conseil de prud’hommes pour contester les avis médicaux) – version en vigueur depuis le 31 mars 2022
Article 624 du code de procédure civile (cassation par voie de conséquence en cas de lien de dépendance nécessaire)
4.2. Arguments des parties
Mme B. (salariée)
Fait valoir que :
le médecin du travail a préconisé un télétravail à domicile, organisation qui ne nécessite pas une intrusion de l’employeur dans la sphère privée ;
l’employeur refuse la mise en œuvre des préconisations en exigeant une visite du domicile, condition non prévue par les textes ;
elle a fait réaliser un contrôle par un organisme agréé attestant de la conformité de son installation ;
ce refus de l’employeur caractérise un manquement à l’obligation de sécurité ;
le refus de télétravail participe d’une discrimination en raison de son origine.
CARSAT (employeur)
Soutient que :
la mise en œuvre du télétravail suppose la vérification de la conformité du poste au domicile ;
le refus de la salariée de laisser accéder l’employeur à son domicile fait obstacle à cette vérification ;
en l’absence de certificat médical détaillant la pathologie, la preuve d’un manquement à l’obligation de sécurité n’est pas rapportée ;
l’organisation du service et la répartition des charges de travail relèvent de son pouvoir de direction, qu’il a exercé sans discrimination.
4.3. Raisonnement de la Cour de cassation
Reconnaissance du domicile comme espace de vie privée protégé
La Cour articule les textes constitutionnels, conventionnels et légaux pour en déduire que le domicile du salarié relève pleinement de la vie privée.
Elle affirme qu’aucun texte n’autorise l’employeur à pénétrer au domicile du salarié pour y effectuer des vérifications, même sous couvert de sécurité du poste de travail.
Articulation entre obligation de sécurité et rôle du médecin du travail
L’employeur est tenu, en vertu des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, d’une obligation de sécurité (de moyens renforcés dans la jurisprudence la plus récente), l’obligeant à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’article L. 4624-3 autorise le médecin du travail à proposer des mesures individuelles d’aménagement du poste ou du temps de travail, comme le télétravail.
L’article L. 4624-6 impose à l’employeur de prendre en considération ces avis et, en cas de refus, d’en motiver les raisons par écrit à la fois à l’égard du salarié et du médecin du travail.
L’article L. 4624-7 prévoit un recours spécifique devant le conseil de prud’hommes pour contester les avis médicaux.
Conséquence pour le télétravail à domicile
La Cour en déduit :
que l’usage du domicile à des fins professionnelles ne retire pas au domicile son caractère de lieu relevant de la vie privée ;
que le salarié peut légitimement refuser une visite domiciliaire de l’employeur ;
que l’employeur, s’il estime les préconisations du médecin du travail inadaptées ou excessives, doit utiliser la voie de contestation prévue par l’article L. 4624-7, et non poser l’accès au domicile comme condition préalable.
Erreur de la cour d’appel sur la charge de la preuve et la pertinence des éléments médicaux
La cour d’appel a reproché à la salariée de ne pas produire de certificat détaillant la pathologie.
Or, la Cour de cassation rappelle que les préconisations du médecin du travail, qui tiennent compte des éléments médicaux, suffisent à caractériser la nécessité de mesures adaptées, sans qu’il soit exigé de la salariée qu’elle divulgue sa pathologie. circulaire.
La cour d’appel a donc inversé la charge de la preuve en faisant peser sur la salariée la démonstration détaillée de son état de santé pour caractériser le manquement de l’employeur.
Cassation de la discrimination par voie de conséquence (article 624 CPC)
La discrimination alléguée par la salariée se fondait notamment sur le refus de télétravail et le traitement qui en découlait.
La cassation de l’arrêt sur le manquement à l’obligation de sécurité entraîne, en application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation de la partie de l’arrêt statuant sur la discrimination, en raison du lien de dépendance nécessaire entre les deux chefs.
4.4. Solution
L’arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 5 mars 2024 est cassé en toutes ses dispositions.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Montpellier.
La Cour de cassation pose deux principes majeurs :
Le domicile du salarié, même en télétravail, relève de sa vie privée : il peut refuser une visite domiciliaire de l’employeur.
L’employeur qui n’utilise pas le recours de l’article L. 4624-7 ne peut justifier le refus de mettre en œuvre les préconisations du médecin du travail par le seul refus de visite du domicile.
5. Références juridiques – vérification et statut des liens
5.1. Jurisprudence citée ou en lien direct
Arrêt commenté
Cass. soc., 13 nov. 2025, n° 24-14.322, Mme B. c/ CARSAT Languedoc-Roussillon
Construction jurisprudentielle sur l’obligation de sécurité et le médecin du travail
Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 08-42.629 (obligation de sécurité et prise en compte des propositions du médecin du travail – reclassement)
Cass. soc., 14 oct. 2009, n° 08-42.878 (portée des avis médicaux et obligation de l’employeur de prendre en considération les propositions)
Cass. soc., 11 juin 2025, n° 24-13.083 (employeur et contestation des préconisations du médecin du travail, recours L. 4624-7)
5.2. Textes légaux et conventionnels
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 2
Convention européenne des droits de l’homme, article 8 (rappelé notamment par CE, 19 avr. 1991, n° 117680 ; et par de nombreuses décisions de cassation, ex. 3e civ., 4 juill. 2019, n° 18-17.119)
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, article 7
Code civil, article 9 – droit au respect de la vie privée
Code du travail :
art. L. 4121-1 et L. 4121-2 (obligations de sécurité de l’employeur)
art. L. 4624-3 (préconisations du médecin du travail)
art. L. 4624-6 (prise en considération des avis du médecin du travail
art. L. 4624-7 (recours devant le conseil de prud’hommes en contestation des avis médicaux) – version en vigueur au 31 mars 2022
Code de procédure civile, article 624 (cassation par voie de conséquence)
6. Analyse juridique approfondie et comparaison avec la jurisprudence antérieure
6.1. Le domicile en télétravail : un prolongement de la vie privée
L’arrêt du 13 novembre 2025 franchit un pas important : il transpose la protection du domicile garantie par l’article 8 CEDH et l’article 7 de la Charte au contexte du télétravail.
En pratique :
Le salarié ne perd pas la protection de sa vie privée du seul fait qu’il travaille chez lui.
L’employeur ne dispose d’aucun droit général d’accès au domicile pour vérifier le poste de travail.
Les impératifs de sécurité du poste ne peuvent être poursuivis qu’avec des moyens respectueux de la sphère privée : attestation du salarié, diagnostics réalisés par un organisme extérieur mandaté, guides de prévention, etc.
6.2. Continuité avec l’obligation de sécurité et la ligne 2009–2025
Depuis 2009, la chambre sociale a progressivement décrit la méthodologie que doit suivre l’employeur lorsqu’un avis médical impose des aménagements :
Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 08-42.629 : l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, doit assurer l’effectivité des mesures recommandées par le médecin du travail (mutations, transformations de postes, aménagements).
Cass. soc., 14 oct. 2009, n° 08-42.878 : la Cour précise que l’employeur ne peut ignorer ou requalifier un avis médical à sa convenance ; il doit se conformer au cadre fixé par le médecin du travail ou engager les voies légales de contestation.
Cass. soc., 11 juin 2025, n° 24-13.083 : la Cour rappelle que l’employeur qui conteste la pertinence des préconisations doit recourir au mécanisme de l’article L. 4624-7 du code du travail ; à défaut, il demeure lié par ces préconisations et engage sa responsabilité s’il ne les met pas en œuvre.
L’arrêt du 13 novembre 2025 prolonge cette construction :
il transfère cette logique au cadre du télétravail, confirmant que l’obligation de sécurité s’applique aussi pleinement lorsque le poste est situé au domicile ;
il hiérarchise les instruments : d’abord les préconisations du médecin du travail, ensuite le recours L. 4624-7 en cas de désaccord, jamais l’exigence unilatérale d’une intrusion dans la vie privée.
6.3. Vie privée, santé au travail et secret médical
La cour d’appel avait exigé de la salariée la production de certificats détaillant sa pathologie pour apprécier la réalité du manquement. La Cour de cassation s’y oppose :
Le secret médical et la protection de la vie privée impliquent que l’état de santé du salarié ne soit pas exposé dans le détail devant l’employeur ou la juridiction ;
La médiation du médecin du travail est précisément conçue pour éviter cette exposition directe : l’employeur connaît les aménagements nécessaires, pas le diagnostic.
L’arrêt renforce ainsi une ligne protectrice du salarié :
l’état de santé est traité via les préconisations techniques (jours de télétravail, limitation des déplacements, aménagement du poste) ;
le contenu médical reste couvert par le secret ;
l’employeur qui estime ces préconisations excessives doit saisir le conseil de prud’hommes (L. 4624-7), non solliciter des informations médicales supplémentaires.
6.4. Lien avec la discrimination
Même si la Cour ne se prononce pas encore au fond sur la discrimination, la cassation par voie de conséquence ouvre la possibilité, devant la cour de renvoi :
de relire l’ensemble des faits (refus de télétravail, comparaisons avec d’autres salariés, propos éventuels…) à la lumière d’un manquement établi à l’obligation de sécurité ;
d’examiner si ce manquement s’inscrit dans un traitement différencié lié à l’origine de la salariée (article L. 1132-1 du code du travail, non visé mais nécessairement mobilisable par la cour de renvoi).
En d’autres termes : si la cour de renvoi constate un manquement grave et répété malgré les préconisations médicales, ce manquement pourra prendre une dimension discriminatoire si la salariée démontre une différence de traitement fondée sur un critère prohibé. Légifrance
7. Conséquences pratiques pour les employeurs et les salariés en télétravail
7.1. Pour les employeurs
Ne pas conditionner le télétravail à une visite domiciliaire
Il n’est pas possible d’exiger systématiquement une visite du domicile de l’agent ou du salarié, même pour des raisons de sécurité.
Utiliser les préconisations du médecin du travail comme référence principale
Le médecin du travail doit être au centre du dispositif de prévention : nombre de jours en télétravail, aménagement du poste, limitation des déplacements.
Motiver par écrit tout refus d’appliquer un avis médical
En cas de refus, l’employeur doit :
expliquer par écrit, au salarié et au médecin du travail, les raisons précises ;
vérifier que ces raisons ne masquent pas un refus de principe du télétravail ou un traitement discriminatoire.
Contester par L. 4624-7 plutôt que par voie de fait
En cas de désaccord sérieux, l’employeur doit saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure prévue à l’article L. 4624-7, et non simplement ignorer les préconisations.
Mettre à jour le DUERP et la politique de télétravail
Le document unique d’évaluation des risques professionnels doit intégrer les risques spécifiques au télétravail (isolement, ergonomie, risques psychosociaux).
7.2. Pour les salariés
Droit de refuser une visite du domicile
Vous pouvez refuser l’accès à votre domicile à votre employeur sans perdre la protection offerte par les préconisations du médecin du travail.
Importance des visites médicales et du dialogue avec le médecin du travail
Il est essentiel de :
participer aux visites ;
exposer les difficultés réelles (douleurs, fatigue, contraintes familiales, trajets) ;
demander expressément un aménagement (télétravail, réduction des déplacements, adaptation du poste).
Conserver tous les écrits
Conservez : avis du médecin du travail, mails demandant le télétravail, réponses de l’employeur, attestations sur votre poste de travail à domicile.
Recours en cas de refus injustifié ou de discrimination
Vous pouvez saisir la juridiction prud’homale pour demander :
la reconnaissance d’un manquement à l’obligation de sécurité ;
une indemnisation de votre préjudice ;
le cas échéant, la reconnaissance d’une discrimination si un critère prohibé (origine, sexe, handicap, etc.) entre en jeu.
8. Accompagnement personnalisé par la SELARL Philippe GONET
La SELARL Philippe GONET, société d’avocat à Saint-Nazaire, peut vous assister si :
vous êtes salarié en télétravail et que votre employeur refuse d’appliquer les mesures préconisées par le médecin du travail (télétravail, adaptation du poste, limitation des déplacements) ;
vous subissez une atteinte à votre vie privée ou à votre dignité (demande de visite à domicile, pression en lien avec votre situation de santé ou votre origine) ;
vous êtes employeur et souhaitez sécuriser juridiquement votre politique de télétravail et vos relations avec les services de santé au travail.
Contact : la SELARL Philippe GONET analyse vos documents (avis du médecin du travail, courriers, mails, contrats de télétravail) et construit avec vous une stratégie : négociation, mise en demeure, saisine prud’homale, ou défense en justice.
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