Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Droit du travail > Propos sexistes au travail et faute grave : l’arrêt Cass. soc. 5 nov. 2025

Propos sexistes au travail et faute grave : l’arrêt Cass. soc. 5 nov. 2025

Aujourd'hui
Propos sexistes au travail et faute grave : l’arrêt Cass. soc. 5 nov. 2025
obligation-de-sécurité-du-salarié – article-L4122-1-code-du-travail – propos-sexistes-au-travail – propos-racistes-au-travail – santé-psychique-des-salariés – faute-grave-du-salarié – licenciement-disciplinaire – vie-personnelle-et-vie-professionnelle

La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat inscrite au barreau de Saint-Nazaire, accompagne ses clients en contentieux prud’homal, notamment lorsque se posent des questions de licenciement disciplinaire, de santé au travail et d’atteinte à la dignité des salariés. Intervenant déjà en indemnisation du préjudice corporel (y compris après accident du travail) et en responsabilité professionnelle, le cabinet offre une approche transversale des situations mêlant souffrance au travail, harcèlement et rupture du contrat. 


1. Résumé de la décision

Parties :

M. [C], directeur commercial, salarié licencié pour faute grave
Société Kolsquare (anciennement Brand and Celebrities), spécialisée dans l’influence marketing, employeur

Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale, formation de section
Arrêt du 5 novembre 2025, n° 24-11.048, publié au Bulletin,

Décision attaquée : CA Paris, pôle 6, ch. 11, 28 nov. 2023, n° 21/06764 

Nature du litige :

Contestation d’un licenciement pour faute grave notifié à un directeur commercial pour avoir tenu, sur le temps et le lieu de travail, des propos à connotation sexuelle, sexiste, raciste et stigmatisants en raison de l’orientation sexuelle de certains collaborateurs, dans des échanges internes présentés comme de « l’humour » mais vécus comme dégradants par plusieurs salariés.

Question centrale :

Ces propos, parfois diffusés dans des groupes de messagerie interne, relèvent-ils de la vie personnelle (et seraient alors malaisément sanctionnables disciplinairement) ou constituent-ils un manquement à l’obligation de sécurité du salarié posée par l’article L. 4122-1 du code du travail, justifiant un licenciement pour faute grave ?

Effet sur la jurisprudence et les pratiques :

La Cour confirme et prolonge la ligne ouverte par les arrêts Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404 et 23 juin 2010, n° 09-41.607, qui avaient déjà admis qu’un manquement du salarié à son obligation de sécurité (port du casque, stabilité d’une mezzanine) pouvait caractériser une faute grave. Désormais, cette obligation couvre clairement les atteintes à la santé psychique et à la dignité des collègues, par des propos sexistes, racistes ou humiliants tenus au travail. 

2. Analyse détaillée de la décision

2.1. Les faits

M. [C] était directeur commercial de la société Kolsquare.

Plusieurs collaborateurs signalent des propos répétitifs :

Diffusion via la messagerie interne d’images à caractère pornographique ou sexuel à un stagiaire.
Réflexions à connotation sexiste sur l’apparence physique ou la vie intime de salariées.

Propos racistes visant des sous-traitants étrangers (notamment malgaches) ou des personnes non blanches.

Remarques stigmatisantes en raison de l’orientation sexuelle d’un collègue, qui explique d’abord accepter cet « humour », tout en reconnaissant que certains propos ont choqué d’autres salariés, avant d’essayer de minimiser ultérieurement les faits dans un second témoignage.

Les éléments matériels proviennent :

De captures de messages diffusés sur des messageries internes.

De témoignages écrits de salariés (certains confirmant le caractère déplacé et blessant des propos, d’autres tentant ensuite de les relativiser).

De mails internes, dont un courrier d’alerte transmis à la direction, signalant le malaise créé par ces comportements.

Les propos étaient tenus :

Sur le lieu de travail, pendant le temps de travail,

avec l’outil de communication fourni par l’employeur,

dans un contexte hiérarchique : le salarié était directeur commercial, donc figure d’autorité.

La cour d’appel caractérise des propos dégradants à connotation sexuelle, sexiste, raciste et homophobe, répétés, heurtant certains salariés et portant atteinte à leur dignité et à leur santé psychique, dans un environnement professionnel.

2.2. La procédure

Devant le conseil de prud’hommes

M. [C] conteste son licenciement pour faute grave, invoquant notamment :

Le caractère prétendument « privé » des échanges (groupe restreint, ton humoristique).
L’absence de trouble avéré dans l’entreprise.

L’employeur invoque un manquement grave à l’article L. 4122-1 du code du travail : le salarié, cadre, aurait participé activement à un climat de dénigrement et de sexualisation des échanges, incompatible avec les exigences de santé et sécurité au travail.

Devant la cour d’appel de Paris (28 nov. 2023)

La cour :

Retient la matérialité des propos litigieux.

Constate qu’ils ont été tenus sur le lieu et au temps de travail, dans le cadre de relations professionnelles.

Qualifie ces propos de dégradants et de nature à porter atteinte à la dignité et à la santé psychique de certains salariés.

Elle juge que ce comportement est incompatible avec le maintien du salarié dans l’entreprise et confirme la faute grave, privative des indemnités de rupture.

Pourvoi en cassation (4 moyens)

Les trois premiers moyens, non détaillés dans l’arrêt, sont écartés par application de l’article 1014, al. 1er, du CPC (moyens non susceptibles d’entraîner la cassation). 

Le quatrième moyen (central) invoque :

Une atteinte au respect de la vie personnelle (échanges dans un groupe clos, assimilation à des conversations privées).

L’absence de lien avec les fonctions et de trouble professionnel caractérisé.

Une remise en cause de la faute grave.

2.3. Le contenu de la décision de la Cour de cassation

a) Argument principal du salarié

Le salarié soutient que les échanges incriminés :

S’inscrivent dans un groupe restreint,
Relèvent d’un registre humoristique partagé,
N’avaient pas vocation à être diffusés au-delà du cercle des destinataires,
Relèveraient ainsi de sa vie personnelle au sens de la jurisprudence qui, depuis l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023, protège strictement les conversations privées non destinées à être rendues publiques. 

Dès lors, un licenciement disciplinaire fondé sur ces propos violerait, selon lui, son droit au respect de la vie privée.

b) Réponse de la Cour : qualification de comportement professionnel

La Cour rappelle d’abord l’article L. 4122-1 du code du travail, aux termes duquel il incombe à chaque travailleur, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou omissions au travail.

Puis elle approuve la cour d’appel, qui a constaté que :

Les propos ont été tenus sur le lieu et au temps du travail, via les outils professionnels mis à disposition par l’employeur.

Ils étaient réitérés, à connotation sexuelle, sexiste, raciste et stigmatisante en raison de l’orientation sexuelle.

Ils portaient atteinte à la dignité des collaborateurs et étaient de nature à porter atteinte à leur santé psychique.

Certains salariés ont effectivement été heurtés par ces propos, même si d’autres tentaient de les minimiser.

En conséquence, la Haute juridiction considère que ces faits relèvent pleinement de la sphère professionnelle, et non de la vie personnelle, car ils sont :

liés au fonctionnement de l’entreprise,
produits par un cadre en situation d’autorité,
susceptibles d’impact direct sur l’environnement de travail et la santé des collègues.

c) Application de l’article L. 4122-1 et caractérisation de la faute grave

À partir de ces constatations, la Cour juge que :

Le salarié a manqué à son obligation de sécurité, en ne prenant pas soin de la santé psychique de ses collègues.

Ce manquement, compte tenu de la nature des propos et de leur répétition, est d’une gravité telle qu’il rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

La qualification de faute grave est donc légalement justifiée.

Le moyen tiré de la vie personnelle est déclaré inopérant : la Cour valide le fait que la sanction repose non sur l’expression d’opinions privées, mais sur un comportement fautif au travail, constitutif d’un manquement contractuel grave.

3. Références juridiques 

3.1. Jurisprudence
Arrêt commenté

Cass. soc., 5 nov. 2025, n° 24-11.048, FS-B, formation de section, publié au Bulletin

Obligation de sécurité du salarié – dangers physiques

Cass. soc., 23 juin 2010, n° 09-41.607, publié au Bulletin

Manquement d’un chef magasinier à la sécurité d’une mezzanine instable, faute grave retenue sur le fondement de l’article L. 4122-1. 

Cass. soc., 23 mars 2005, n° 03-42.404, publié au Bulletin

Refus répété de porter le casque de sécurité ; faute grave retenue (ancien art. L. 230-3, devenu L. 4122-1). 
Vie personnelle, preuves et propos « privés » (pour la ligne de partage)

Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 21-11.330, publié au Bulletin :
conversation Facebook privée, non destinée à être rendue publique ; impossibilité de fonder un licenciement disciplinaire sur ce seul motif, sauf manquement à une obligation contractuelle. Légifrance


Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-11.016 :
messages racistes envoyés par messagerie professionnelle mais restés dans un cercle privé, sans incidence prouvée sur les relations de travail ; confirmation que le simple contenu de propos privés ne suffit pas à justifier un licenciement disciplinaire, sauf manquement à une obligation contractuelle.


3.2. Textes légaux

Article L. 4122-1 du code du travail

Version en vigueur depuis le 1ᵉʳ mai 2008, applicable à la date des faits.
Il impose à chaque travailleur, conformément aux instructions de l’employeur, de prendre soin, selon sa formation et ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou omissions au travail ; les instructions précisent les conditions d’utilisation des équipements et moyens de protection et sont adaptées aux tâches. Légifrance
 

4. Analyse juridique approfondie

4.1. De la sécurité physique à la santé psychique : continuité jurisprudentielle

En 2005, la Cour admet qu’un chef de chantier refusant de porter un casque de sécurité commet une faute grave, car il manque à l’obligation, alors posée à l’article L. 230-3, de prendre soin de sa sécurité et de celle d’autrui. 

En 2010, elle consacre de façon plus nette l’article L. 4122-1 pour sanctionner un chef de magasin qui laisse une mezzanine instable sans mesures de prévention adéquates : le manquement à la sécurité des autres salariés justifie là encore la faute grave. 

L’arrêt du 5 novembre 2025 s’inscrit dans cette continuité, mais transpose cette logique à la santé psychique :

Ce ne sont plus des risques d’accident matériel (chute, choc, effondrement) qui sont en cause, mais les atteintes à la dignité, au respect et à l’intégrité psychologique de collègues exposés à des propos sexistes, racistes ou homophobes, répétés dans le cadre professionnel.

En rattachant ces propos à l’article L. 4122-1, la Cour :

Consacre juridiquement l’idée que le salarié est co-acteur de la prévention des risques psychosociaux, pas seulement des risques physiques.

Donne aux employeurs un fondement clair pour qualifier de faute grave les comportements (même prétendument humoristiques) qui dégradent l’ambiance de travail et portent atteinte à la santé mentale d’autrui.

4.2. Articulation avec la vie personnelle et les propos « privés »

Les arrêts récents ont durci les conditions dans lesquelles un employeur peut se fonder sur des propos privés :

Ass. plén. 22 déc. 2023, n° 21-11.330 : un licenciement disciplinaire ne peut être fondé sur des conversations strictement privées, non destinées à être publiques, sauf si elles révèlent un manquement à une obligation contractuelle. 

Cass. soc. 6 mars 2024, n° 22-11.016 : même des propos racistes, échangés dans un groupe fermé sans incidence avérée sur le travail, relèvent de la vie personnelle et ne peuvent fonder un licenciement disciplinaire dès lors qu’aucun lien concret avec l’exécution du contrat de travail n’est démontré.

L’arrêt du 5 novembre 2025 précise la ligne de partage :

Lorsque les propos sont tenus :

sur le temps et le lieu de travail,
via les outils de communication professionnels,
dans le cadre de relations hiérarchiques,
et qu’ils créent un risque réel pour la santé psychique des collègues,
ils relèvent de la sphère professionnelle et tombent sous le coup de l’article L. 4122-1.

Autrement dit :

Les conversations vraiment privées, hors travail et sans incidence sur l’entreprise restent protégées par la jurisprudence de 2023-2024.
Les propos dégradants tenus au travail, même dans un groupe interne restreint, engagent la responsabilité disciplinaire du salarié si leur contenu ou leur répétition portaient atteinte à la santé ou à la dignité d’autrui.

4.3. Portée pratique pour les entreprises et les salariés

Pour les employeurs :

Cet arrêt renforce l’idée que la prévention du harcèlement et des risques psychosociaux est partagée entre employeur et salariés. 

Il légitime des sanctions disciplinaires sévères, y compris la faute grave, lorsque :

les faits sont documentés (messages, témoignages, mails),
ils s’inscrivent dans un contexte de travail (réunions, messageries internes, espaces de travail collaboratif),
ils sont répétés et créent un environnement délétère.

Pour les salariés, particulièrement les cadres ou managers :

L’arrêt souligne qu’ils ont un rôle exemplaire dans la prévention des risques psychosociaux.
L’argument du « simple humour » ou de la convivialité ne protège pas un salarié :

si les propos sont objectivement dégradants ou discriminatoires ;
si certains collègues se déclarent heurtés, même si d’autres relativisent la situation.
Le fait que certains témoins atténuent ensuite la portée de leurs déclarations n’empêche pas la Cour de se concentrer sur l’effet objectivement constaté sur la santé psychique et la dignité.

5. Regard critique sur la décision

Sur le plan juridique, l’arrêt est cohérent avec la construction antérieure :
il applique à la santé psychique une logique déjà admise pour les risques physiques, sans bouleverser le régime de la preuve ni celui de la vie personnelle.

Sur le plan pratique, la décision :

donne un levier clair aux services RH pour sanctionner des comportements verbaux qui, jusqu’alors, pouvaient être minimisés comme de « l’humour de bureau » ;
renforce la nécessité pour les entreprises de formaliser des chartes de comportement, de sensibiliser et de former les salariés sur la dimension psychologique de la sécurité au travail.

On peut toutefois regretter que la Cour ne développe pas davantage :

la distinction précise entre harcèlement moral ou sexuel, discrimination, et manquement à l’obligation de sécurité du salarié ;
la méthode d’appréciation du caractère « privé » ou non des échanges dans les espaces numériques internes (groupes de messagerie, canaux Slack, Teams, etc.).
Pour la pratique contentieuse, l’arrêt offre néanmoins un outil très opérationnel : dès lors que des propos dégradants sont tenus dans le cadre du travail, l’angle de l’article L. 4122-1 devient un fondement solide pour la qualification de faute grave.


6. Accompagnement par la SELARL PHILIPPE GONET

La SELARL PHILIPPE GONET peut vous assister :

Côté salarié :

contestation d’un licenciement disciplinaire fondé sur des propos tenus au travail ou en ligne ;
actions en réparation en cas de harcèlement moral ou sexuel, de propos sexistes ou racistes subis au travail, avec évaluation précise des préjudices (dont préjudice moral et atteinte à la santé psychique). 

Côté employeur :

sécurisation des procédures disciplinaires et des licenciements pour faute grave ;
rédaction et mise à jour de règlements intérieurs, chartes éthiques ou de bonnes pratiques numériques ;

accompagnement en contentieux prud’homal devant les juridictions du ressort de la cour d’appel de Rennes.

Cette actualité est associée aux catégories suivantes : Droit du travail