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1. Résumé
Parties
Demanderesse au pourvoi : Société nationale des chemins de fer français (SNCF).
Défendeur : M. [R], agent opérationnel SUGE.
Juridiction – décision commentée
Cour de cassation, chambre sociale
Arrêt du 13 novembre 2025
Pourvoi n° 24-14.084
Solution : rejet – publié au Bulletin
Nature du litige
Un salarié SNCF, victime d’un accident du travail, se voit refuser 13 jours de congés payés acquis au titre de l’année 2018, l’employeur considérant qu’ils sont prescrits à l’issue du délai de report de 15 mois prévu par le statut interne (GRH 00001). Le salarié soutient que ces droits ne peuvent s’éteindre, faute pour la SNCF d’avoir pris les mesures nécessaires pour lui permettre d’exercer ses congés pendant la période de travail.
Effet direct sur la jurisprudence et la pratique
La Cour de cassation transpose l’arrêt CJUE Fraport, 22 sept. 2022, aff. jointes C-518/20 et C-727/20, pour juger que :
Lorsque le délai de report des congés payés coïncide avec une période de travail, l’employeur ne peut invoquer l’extinction des droits à congés qu’à condition de prouver qu’il a, en temps utile, permis concrètement au salarié de les prendre.
C’est un tournant pratique majeur :
Le délai de report (ici 15 mois) ne joue plus mécaniquement si le salarié a effectivement travaillé pendant ce délai et si l’employeur n’a pas été proactif.
Les employeurs doivent désormais documenter les informations et relances adressées aux salariés pour sécuriser l’extinction des congés.
2. Les faits : chronologie complète
2.1. Situation professionnelle et accident du travail
17 avril 2000 : M. [R] est engagé par la SNCF comme « agent opérationnel SUGE ».
2 mai 2017 : il est victime d’un accident du travail.
3 mai 2017 – 3 mars 2019 : arrêt de travail ininterrompu pour accident du travail.
Pendant cette période, ses droits à congés se constituent, notamment pour la période de référence 2018, mais il ne peut pas matériellement les prendre en raison de son incapacité.
2.2. Reprise, nouvelle maladie et perte de congés
À compter du 4 mars 2019 : M. [R] reprend son activité.
Le statut GRH 00001 de la SNCF prévoit :
un droit annuel à congé de 28 jours ouvrés (période de référence : 1er janvier – 31 décembre),
et, pour les congés non pris pour raisons de santé, un report dans la limite de 15 mois après la fin de la période de référence.
Pour l’année 2018, le salarié dispose encore de 13 jours de congés à prendre.
L’employeur fixe la prise de ces congés du 13 au 31 mars 2020, autrement dit en toute fin de la période de report, qui expire le 31 mars 2020.
5 mars 2020 : nouveau arrêt de travail pour maladie, avant le début des congés programmés.
La SNCF considère alors que les 13 jours de congés sont perdus au 31 mars 2020, en application du délai de report de 15 mois.
2.3. Naissance du litige
21 septembre 2020 : le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour obtenir :
la restitution des 13 jours de congés payés perdus,
divers rappels et indemnités.
3. La procédure : du prud’homme à la Cour de cassation
3.1. Première instance – Conseil de prud’hommes
Le jugement de première instance n’est pas reproduit dans le texte de l’arrêt, mais on sait que le litige est porté en appel par l’une des parties. Le cœur du contentieux porte déjà sur :
la validité de la clause de report de 15 mois,
l’extinction ou non des droits à congés acquis en 2018.
3.2. Cour d’appel de Dijon (15 février 2024)
La cour d’appel de Dijon :
retient que le salarié disposait de 13 jours de congés payés au titre de 2018 ;
constate que :
le délai de report de 15 mois expirait le 31 mars 2020 ;
les congés avaient été programmés sur la période 13–31 mars 2020 ;
un nouvel arrêt de travail est intervenu dès le 5 mars 2020, empêchant toute prise effective.Légifrance
juge que, dans ce contexte, les 13 jours ne peuvent être réputés perdus :
le salarié n’a pas été en mesure d’exercer effectivement ses droits ;
l’employeur ne démontre pas avoir pris, en amont, des mesures concrètes pour lui permettre de les prendre pendant la période travaillée.
La SNCF est condamnée à restituer les 13 jours de congés payés.
3.3. Pourvoi en cassation
La SNCF forme un pourvoi en cassation (pourvoi n° 24-14.084), soutenant que :
Le délai de report de 15 mois est conforme à la directive 2003/88/CE et à la jurisprudence de la CJUE (arrêt KHS, aff. C-214/10) qui admet une telle limitation en cas d’incapacité prolongée.
Le salarié ayant été en arrêt de travail sur plusieurs périodes de référence et à nouveau malade avant la fin du délai de report, ses congés pouvaient légitimement être considérés comme éteints au 31 mars 2020.
La question posée à la Cour de cassation est donc :
Un employeur peut-il opposer à un salarié, atteint d’une nouvelle maladie, la perte de ses congés payés à l’expiration d’un délai de report de 15 mois, alors que ce délai coïncidait en grande partie avec une période de travail, sans avoir démontré qu’il lui a réellement permis de prendre ces congés ?
4. Contenu de la décision : arguments, raisonnement, solution
4.1. Arguments de la SNCF
La SNCF s’appuie sur le droit de l’Union tel qu’interprété par la CJUE :Légifrance+2Cour de Justice de l'Union Européenne+2
les congés payés ont une double finalité :
repos après le travail ;
période de détente et de loisirs ;
le cumul illimité de droits à congés, lorsqu’un salarié est en incapacité de travail pendant plusieurs années, ne répond plus à cette finalité ;
l’arrêt CJUE, 22 nov. 2011, KHS, C-214/10 admet qu’un État membre puisse instaurer une période de report de 15 mois au-delà de laquelle les droits s’éteignent, pour concilier la protection du salarié et les contraintes d’organisation de l’employeur.
Elle en déduit que :
la clause de report de 15 mois du statut GRH 00001 est compatible avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE ;
les 13 jours de congés payés de l’année 2018 étaient irrémédiablement perdus au 31 mars 2020, date d’expiration du délai de report, peu important l’interruption de travail à compter du 5 mars 2020.
4.2. Le cadre européen rappelé par la Cour
La Cour de cassation rappelle d’abord les principes européens :
Article 7 de la directive 2003/88/CE : tout travailleur a droit à au moins 4 semaines de congé annuel payé, sans possibilité de remplacement par une indemnité financière, sauf en cas de fin de la relation de travail.
Article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés ; ce droit a le rang de principe fondamental du droit social de l’Union.
Elle rappelle ensuite la jurisprudence de la CJUE :
KHS, 22 nov. 2011, C-214/10 :
en cas d’incapacité de travail prolongée, les droits à congés peuvent s’éteindre après une période de report de 15 mois, sans violer la directive.
King, 29 nov. 2017, C-214/16 :
si l’employeur n’offre pas au travailleur la possibilité réelle d’exercer ses congés, le droit à congé ne peut pas s’éteindre et donne lieu à indemnité.
Max-Planck, 6 nov. 2018, C-684/16 :
l’employeur doit inciter activement le salarié à prendre ses congés et l’informer clairement du risque de perte ; à défaut, le congé ne s’éteint pas.
Fraport, 22 sept. 2022, aff. C-518/20 et C-727/20 :
lorsque le droit au congé a été acquis pendant une période de travail, il ne peut s’éteindre au terme d’une période de report si l’employeur n’a pas, en temps utile, mis le salarié en mesure d’exercer ce droit, même si une invalidité ou une incapacité est intervenue par la suite.
4.3. La jurisprudence française antérieure
La Cour de cassation s’inscrit dans une ligne déjà nourrie :
Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-20.111 :
la Cour reconnaît la primauté de la directive 2003/88 sur des limitations nationales trop strictes en matière d’acquisition de congés payés, en cas d’arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Cass. soc., 15 sept. 2021, n° 20-16.010 :
la Cour admet qu’une période de report peut limiter le cumul de droits en cas de longue incapacité, mais seulement si cette période est substantiellement supérieure à la période de référence (par ex. 15 mois) et si elle n’organise pas la perte automatique de droits déjà acquis sans possibilité concrète d’exercice.
L’arrêt du 13 novembre 2025 ajoute une brique décisive :
Quand le délai de report couvre une période pendant laquelle le salarié a effectivement travaillé, l’employeur ne peut se retrancher derrière ce délai sans prouver sa diligence active pour permettre au salarié de prendre ses congés.
4.4. Application au cas d’espèce
La Cour de cassation relève que :
le salarié a repris le travail du 3 mars 2019 au 4 mars 2020, période pendant laquelle il pouvait théoriquement prendre ses 13 jours de congés 2018 ;
le délai de report de 15 mois expirait le 31 mars 2020, soit après une année de travail effectif ;
les congés ont été programmés au tout dernier moment, du 13 au 31 mars 2020, alors qu’un nouvel arrêt maladie est intervenu le 5 mars 2020 ;
la SNCF ne soutenait même pas, devant la cour d’appel, avoir mis le salarié en mesure de prendre ses congés plus tôt pendant la période de travail.
D’où la formule clé de l’arrêt :
« Lorsque le délai de report des congés payés coïncide avec une période de travail, l’employeur ne peut invoquer l’extinction des droits à congé payé au terme de ce délai qu’à la condition de justifier avoir accompli, en temps utile, les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé. »
La conclusion est limpide :
le salarié n’a pas pu, en pratique, exercer ses droits en raison du nouvel arrêt maladie ;
l’employeur n’ayant pas démontré une démarche proactive (information, relances, proposition de dates raisonnables), les 13 jours ne peuvent s’éteindre ;
la SNCF doit restituer ces droits à congés payés.
La Cour rejette donc le pourvoi et confirme l’arrêt de la cour d’appel de Dijon.
5. Références juridiques
5.1. Décision commentée
Cass. soc., 13 nov. 2025, n° 24-14.084, SNCF c. R.
Objet : congés payés – accident du travail – délai de report de 15 mois – nouvelle incapacité – obligation de diligence de l’employeur.
5.2. Jurisprudence française antérieure pertinente
Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-20.111
Congés payés, accident du travail, directive 2003/88 – remise en cause des limitations trop strictes à l’acquisition des droits.
Cass. soc., 15 sept. 2021, n° 20-16.010
Congés payés – maladie – périodede report – compatibilité avec la directive 2003/88 – rappel de la possibilité de limiter le cumul par un délai substantiel (15 mois).
5.3. Jurisprudence de la CJUE
CJUE, 22 nov. 2011, KHS, C-214/10
Validité d’une période de report de 15 mois pour un salarié en incapacité prolongée.
CJUE, 29 nov. 2017, King, C-214/16
Un employeur qui n’a pas permis au travailleur de prendre ses congés ne peut invoquer l’extinction des droits ; les congés donnent lieu à indemnité.
CJUE, 6 nov. 2018, Max-Planck-Gesellschaft, C-684/16
Obligation pour l’employeur d’inciter le salarié à prendre ses congés et de l’informer du risque de perte.
CJUE, 22 sept. 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, aff. jointes C-518/20 et C-727/20
Interdiction de l’extinction du droit à congé acquis pendant une période de travail lorsque l’employeur n’a pas mis le salarié en mesure de l’exercer en temps utile.
5.4. Textes applicables
Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, art. 7
Droit à au moins quatre semaines de congé annuel payé ; interdiction de substitution par une indemnité, sauf fin de relation de travail.
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 31 § 2
Droit de tout travailleur à une période annuelle de congés payés.
6. Analyse juridique approfondie et portée pratique
6.1. Doctrine dégagée : un double filtre
L’arrêt opère un double filtrage de la perte des droits à congés payés :
Filtre n° 1 : la situation d’incapacité prolongée
En cas de maladie ou d’accident empêchant durablement la prise de congés, un délai de report substantiel (15 mois) peut limiter le cumul de droits, conformément à KHS et à la jurisprudence française de 2016 et 2021.
Filtre n° 2 : la période de travail au cours du délai de report
Si le salarié retrouve sa capacité de travail pendant une partie du délai de report, l’employeur doit :
l’informer clairement de ses droits à congés ;
l’alerter sur le risque de perte à telle date ;
lui proposer des dates réalistes et suffisamment anticipées.
À défaut, il ne peut pas opposer une extinction automatique des droits à l’issue du délai de report, conformément à Fraport.
Dans le dossier SNCF, la période de report incluait presque une année pleine de travail effectif (mars 2019 – mars 2020), sans que la SNCF démontre une quelconque stratégie de gestion des congés.
6.2. Renforcement des obligations de l’employeur
L’arrêt impose en pratique :
une obligation de vigilance :
suivi précis des droits à congés, notamment après un long arrêt maladie ou AT ;
planification anticipée des congés reportés (et pas seulement sur les derniers jours du délai) ;
une obligation probatoire :
traces écrites des informations données au salarié (courriels, lettres, affichages individualisés, compte-rendus d’entretien) ;
preuves des propositions concrètes de prises de congés.
En clair : sans preuve de cette démarche active, l’employeur reste exposé à des condamnations en rappel de congés (ou indemnités compensatrices) même au-delà du délai de 15 mois.
6.3. Conséquences pour les salariés
Pour les salariés, l’arrêt offre des leviers concrets :
contester la perte de congés payés lorsque :
ils ont travaillé pendant une période de report ;
aucun avertissement clair sur la perte à venir ne leur a été adressé ;
les congés ont été programmés trop tardivement ou sur une période où ils étaient à nouveau en arrêt (comme ici, avec la programmation du 13 au 31 mars et l’arrêt dès le 5 mars 2020).
obtenir la restitution des congés ou une indemnité compensatrice en cas de rupture du contrat.
7. Critique de la décision
L’arrêt s’inscrit dans une construction cohérente :
continuité avec Cass. soc. 22 juin 2016, n° 15-20.111 et Cass. soc. 15 sept. 2021, n° 20-16.010, qui avaient déjà intégré l’idée de période de report pour limiter le cumul de droits.
approfondissement du dialogue avec la CJUE (KHS, King, Max-Planck, Fraport).
Analyse critique
Point fort :
la Cour de cassation évite le piège d’une lecture purement mécanique du délai de 15 mois, en exigeant la prise en compte de la conduite de l’employeur pendant la période de travail.
Zone de vigilance :
l’arrêt ne précise pas, en détail, quelles diligences exactes sont suffisantes (une simple note générale suffit-elle ? faut-il un courrier nominatif ?).
cette marge d’appréciation sera laissée aux juridictions prud’homales, ce qui peut générer une jurisprudence de fait selon les dossiers.
L’arrêt confirme cependant une tendance lourde :
Le droit à congés payés est un droit fondamental, dont la perte ne peut résulter que d’un comportement actif du salarié dûment informé, et non d’une passivité de l’employeur abritée derrière un délai de report.
8. Accompagnement par la SELARL PHILIPPE GONET
Basée à Saint-Nazaire, la SELARL PHILIPPE GONET accompagne salariés et employeurs dans tous les litiges de droit du travail, notamment en matière de congés payés, santé au travail et accident du travail.
Pour les salariés
La SELARL PHILIPPE GONET peut vous assister pour :
vérifier si la perte de vos congés payés est légale ou non ;
contester un bulletin de paie ou un solde de tout compte ne mentionnant pas tous vos droits ;
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la restitution de jours de congé ;
ou une indemnité compensatrice en cas de rupture ;
articuler ces demandes avec un litige lié à un accident du travail ou à une inaptitude.
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Le cabinet peut vous aider à :
auditer vos pratiques internes de gestion des congés (logiciel HR, règlements, accords collectifs) à l’aune de la jurisprudence CJUE/Cassation ;
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