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La SELARL Philippe GONET, société d’avocat installée 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire, accompagne les particuliers et les professionnels dans des contentieux complexes où la procédure et le respect des droits fondamentaux conditionnent l’issue du litige (responsabilité, indemnisation, procédures devant le juge civil, pénal ou prud’homal).
Les problématiques soulevées par l’arrêt du 13 novembre 2025 – saisie pénale de sommes importantes sur un compte indivis, atteinte au droit de propriété du conjoint non poursuivi, articulation avec la procédure pénale et la Convention européenne des droits de l’homme – sont typiquement de celles pour lesquelles un accompagnement technique et stratégique d’un avocat rompu aux contentieux procéduraux est déterminant.
1. Résumé de la décision
Décision commentée
Cour de cassation, chambre criminelle, 13 novembre 2025
N° de pourvoi : 24-83.199, ECLI:FR:CCASS:2025:CR01355, publié au Bulletin Légifrance
Arrêt de renvoi après cassation de :
Cour de cassation, chambre criminelle, 23 novembre 2022, n° 22-80.659, publié au Bulletin
Décision attaquée : chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, 26 mars 2024
Parties impliquées
M. [Y] [K], avocat, mis en cause pour abus de biens sociaux, complicité et blanchiment au préjudice de la société [1].
Mme [W] [H], son épouse, co-titulaire du compte indivis saisi, non poursuivie pénalement, qui se présente comme tiers de bonne foi.
Ministère public et société [1], victime des détournements.
Nature du litige
Saisie pénale d’une somme de 1 110 875,81 € inscrite au crédit d’un compte indivis ouvert au nom des époux, sur le fondement du Titre XXIX “Des saisies spéciales” du code de procédure pénale (art. 706-141 et s., dans leur version applicable).
Contestation par l’épouse de la saisie pour la totalité du compte, au regard :
de son statut de tiers non poursuivi,
de son droit de propriété protégé par l’article 1er du Protocole n° 1 à la CEDH,
du droit à un recours effectif (art. 6 et 13 CEDH).
Effet direct sur la jurisprudence et les pratiques
L’arrêt du 13 novembre 2025 consacre deux idées fortes :
Le caractère indivis du compte bancaire justifie la saisie de la totalité des sommes, dès lors que le mis en cause y a la libre disposition des fonds.
Les droits du tiers co-indivisaire non poursuivi sont “réservés” : l’atteinte à son droit de propriété est regardée comme temporaire et compensée par la possibilité d’obtenir, ultérieurement, une restitution devant la juridiction de jugement.
La Cour confirme ainsi une ligne jurisprudentielle exigeante pour les conjoints de mis en cause : pas de libération automatique de la “moitié” des fonds, même pour un tiers de bonne foi, tant que le juge du fond n’a pas statué sur la confiscation.
2. Analyse détaillée
2.1 Les faits : chronologie complète
Début 2020
Le procureur de la République ouvre une enquête préliminaire sur des détournements commis au préjudice de la société [1] par sa présidente, Mme [F] [S], et son concubin, M. [E] [D], dirigeant du groupe [D].
Les investigations révèlent que l’un des avocats de Mme [S], M. [Y] [K], aurait conclu des conventions fictives destinées à dissimuler des flux financiers frauduleux au bénéfice de son cabinet et de M. [D].
23 février 2021 – Saisie pénale sur le compte indivis
Les enquêteurs procèdent à la saisie de la somme de 1 110 875,81 € créditant le compte indivis ouvert au nom de M. [K] et de son épouse, Mme [H], dans les livres de la banque [2].
26 février 2021 – Ordonnance de maintien de la saisie
Le juge des libertés et de la détention (JLD) ordonne le maintien de cette saisie, mesure contestée par les époux qui interjettent appel.
28 décembre 2021 – Première décision de la chambre de l’instruction
La chambre de l’instruction de Saint-Denis infirme l’ordonnance de maintien de la saisie, en se fondant notamment sur la situation de Mme [H], co-titulaire du compte, non mise en cause pénalement.
23 novembre 2022 – Première cassation (pourvoi n° 22-80.659)
La Cour de cassation casse cette décision :
Elle reproche à la chambre de l’instruction d’avoir statué sans exiger les pièces nécessaires de la part du ministère public, alors que l’article 706-154 CPP lui impose, le cas échéant, de le faire.
L’affaire est renvoyée devant la même cour d’appel autrement composée.
26 mars 2024 – Arrêt de renvoi de la chambre de l’instruction
Sur renvoi, la chambre de l’instruction de Saint-Denis confirme l’ordonnance de maintien de la saisie sur la totalité du compte indivis, en considérant :
que M. [K] a la libre disposition des sommes,
que les droits de Mme [H] sont réservés jusqu’à la décision du juge du fond.
Pourvoi en cassation de 2025
M. [K] et Mme [H] forment un pourvoi commun :
le moyen de M. [K] est jugé non admis (art. 567-1-1 CPP) ;
celui de Mme [H] devient le cœur de l’arrêt du 13 novembre 2025.
2.2 La procédure
1re instance
Enquête préliminaire sous l’autorité du parquet : mise en cause de dirigeants de la société [1] et de M. [K].
Saisie pénale sur le compte indivis en application du titre XXIX du CPP (saisies spéciales) pour garantir une éventuelle confiscation (art. 131-21 CP).
Ordonnance du JLD (26 février 2021) : maintien de la saisie de la totalité des fonds.
Appel
Les époux interjettent appel de l’ordonnance devant la chambre de l’instruction de Saint-Denis.
28 décembre 2021 : la chambre infirme l’ordonnance et prononce la mainlevée de la saisie, au moins pour partie, au bénéfice de Mme [H], considérée comme tiers de bonne foi.
Première cassation – 23 novembre 2022 (22-80.659)
Le procureur général forme un pourvoi contre l’arrêt de 2021.
La chambre criminelle casse :
elle rappelle qu’il appartient à la chambre de l’instruction, saisie d’un recours contre une ordonnance de maintien d’une saisie de compte, d’exercer un contrôle complet sur la légalité et le bien-fondé de la saisie, en obtenant, si nécessaire, tout élément utile auprès du ministère public (art. 706-154 CPP).
Arrêt de renvoi – 26 mars 2024
Sur renvoi, la chambre de l’instruction :
confirme l’ordonnance de maintien de la saisie,
retient que les sommes litigieuses figurent sur un compte indivis dont M. [K] a la libre disposition,
estime que les droits de Mme [H] sont réservés jusqu’à la décision de confiscation ou de restitution par la juridiction du fond.
Cassation du 13 novembre 2025 – 24-83.199
Le pourvoi de M. [K] est écarté comme n’étant pas de nature à permettre l’admission.
Le pourvoi de Mme [H] est rejeté au fond par l’arrêt commenté.
2.3 Contenu de la décision
2.3.1 Arguments de Mme [H] (tiers de bonne foi)
Dans son moyen unique, Mme [H] soutenait en substance que :
Elle est étrangère aux poursuites pénales,
En qualité de propriétaire de bonne foi d’une part indivise des sommes figurant sur le compte, elle ne peut faire l’objet d’une saisie pénale portant sur l’intégralité des fonds,
En refusant de lever la saisie au moins à concurrence de sa part indivise, la chambre de l’instruction :
porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété (art. 1er du Protocole n° 1 CEDH),
la priverait d’un recours utile (art. 6 et 13 CEDH),
Elle demandait donc la mainlevée immédiate de la saisie pour moitié.
2.3.2 Raisonnement de la chambre de l’instruction
La chambre de l’instruction (26 mars 2024), telle que lue par la Cour de cassation :
Constate que les sommes litigieuses sont inscrites au crédit d’un compte en indivision ouvert au nom des deux époux,
Relève qu’il n’est pas contesté que M. [K] dispose de la totalité des sommes figurant sur ce compte,
Retient que les droits de Mme [H] demeurent réservés jusqu’à ce que la juridiction du fond statue sur la confiscation ou la restitution.
Autrement dit, l’indivision et la libre disposition des fonds par le mis en cause suffisent à justifier le maintien de la saisie sur la totalité des sommes, sous la réserve – future – des droits de l’épouse.
2.3.3 Réponse de la Cour de cassation
La chambre criminelle approuve cette analyse en deux temps :
Sur la nature indivise du compte
Elle affirme que le caractère indivis du compte justifie la saisie de celui-ci dans sa totalité,
En se référant expressément à l’article 815 du code civil, elle souligne que tout indivisaire dispose du droit de provoquer le partage pour sortir de l’indivision.
Sur la protection du tiers de bonne foi
Elle qualifie l’atteinte aux droits de Mme [H] de “temporaire”,
Elle rappelle que l’intéressée conserve, à tout moment au cours de l’enquête ou devant la juridiction de jugement (qui doit statuer dans un délai raisonnable), la possibilité de demander la restitution des sommes versées sur le compte saisi.
Conclusion de la Cour
Le moyen de Mme [H] est jugé non fondé,
L’arrêt de la chambre de l’instruction est déclaré régulier et le pourvoi est rejeté. Légifrance
3. Références juridiques
3.1 Jurisprudence citée
Arrêt principal
Cass. crim., 13 nov. 2025, n° 24-83.199,
Arrêt de cassation antérieur dans le même dossier
Cass. crim., 23 nov. 2022, n° 22-80.659,
Compte joint et tiers de bonne foi – saisie pénale
Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-82.352, F-B (compte joint et examen de la position du co-titulaires tiers de bonne foi)
Saisie pénale de biens immobiliers indivis – portée de la confiscation
Cass. crim., 31 mai 2017, n° 16-86.870, F-D (saisie pénale d’un bien immobilier indivis et portée de l’article 131-21 CP)
3.2 Textes légaux (versions applicables)
Article 706-141 CPP (version en vigueur du 11 juillet 2010 jusqu’au 19 novembre 2025)
Ce texte encadre les saisies spéciales destinées à garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation définie à l’article 131-21 CP.
Article 706-141-1 CPP (version en vigueur depuis le 29 mars 2012, abrogé au 19 novembre 2025)
La saisie peut également être ordonnée en valeur ; les règles propres à certains types de biens s’appliquent aux biens sur lesquels la saisie en valeur s’exécute.
Article 131-21 du code pénal (confiscation)
Détermine la peine complémentaire de confiscation, applicable à des biens meubles ou immeubles, divis ou indivis, dès lors qu’ils appartiennent au condamné ou sont à sa libre disposition.
Article 815 du code civil (régime de l’indivision)
“Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué…” (version en vigueur depuis le 1er janvier 2007).
Convention EDH – Articles 6, 13, et article 1er du Protocole n° 1
Ces textes, invoqués par Mme [H], encadrent le droit au procès équitable, le droit à un recours effectif et la protection des biens.
4. Analyse juridique approfondie
4.1 Le pivot de la solution : indivision civile et saisie pénale
L’arrêt du 13 novembre 2025 se situe au croisement de deux ensembles normatifs :
D’un côté, le droit civil de l’indivision (art. 815 C. civ.) : chaque indivisaire a un droit sur la totalité du bien indivis et peut provoquer le partage ;
De l’autre, le droit pénal des saisies spéciales (art. 706-141 et s. CPP, art. 131-21 CP) : la saisie est un instrument de garantie de la confiscation.
La Cour raisonne selon une logique simple :
Le compte est indivis :
En indivision, chaque co-indivisaire est titulaire d’une quote-part abstraite, mais a pouvoir sur la totalité du compte vis-à-vis de la banque (sauf stipulation contraire).
Le mis en cause a la libre disposition des fonds :
Il suffit que M. [K] ait pu librement utiliser l’intégralité des sommes pour que ces fonds entrent dans le champ des “biens dont il a la libre disposition” au sens de la confiscation (art. 131-21 CP).
En conséquence, la Cour considère comme juridiquement cohérent que la saisie porte sur la totalité du compte, même si l’un des co-indivisaires est un tiers non poursuivi.
4.2 Le tiers de bonne foi : protection différée et non immédiate
La Cour ne nie pas l’existence ni l’importance des droits de Mme [H] :
Elle reconnaît que ses droits sont atteints par la saisie,
Mais elle insiste sur le fait que cette atteinte est temporaire et encadrée :
possibilité de demander une restitution à tout moment de l’enquête,
compétence de la juridiction de jugement pour statuer sur la confiscation et les droits des tiers,
exigence d’un délai raisonnable.
La protection du tiers de bonne foi est donc repoussée au stade du jugement, et non reconnue sous la forme d’un droit immédiat à la mainlevée de sa “part indivise” de compte.
Comparée à l’arrêt Cass. crim., 22 juin 2022, n° 21-82.352, qui sanctionnait une chambre de l’instruction n’ayant pas suffisamment vérifié la situation patrimoniale du co-titulaire tiers de bonne foi, la solution du 13 novembre 2025 :
Confirme l’obligation d’examiner la situation du tiers,
Mais admet que cet examen peut aboutir au maintien de la saisie intégrale, dès lors que :
la propriété indivise est reconnue,
les droits du tiers sont réservés,
ce qui est une solution moins protectrice en apparence pour le conjoint non poursuivi.
4.3 Continuités et inflexions par rapport à la jurisprudence antérieure
Avec l’arrêt de 2022 (Cass. crim., 23 nov. 2022, 22-80.659)
2022 : La Cour se concentre sur la méthode de contrôle de la chambre de l’instruction (effet dévolutif, obligation de demander les pièces nécessaires).
2025 : Elle se prononce sur le fond de la contestation du tiers et consacre la saisissabilité intégrale du compte indivis, sous réserve des droits futurs.
Avec l’arrêt de 2017 (Cass. crim., 31 mai 2017, 16-86.870)
2017 : la Cour admet la saisie (en vue de confiscation) d’un bien immobilier indivis lorsqu’il fait partie des biens dont le mis en cause peut disposer, même en présence d’autres indivisaires.
2025 : elle transpose cette logique au compte bancaire indivis, en considérant la pluralité de titulaires comme non obstacle à une saisie intégrale.
Effet de la réforme et de la censure partielle de l’article 131-21 CP
Le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de l’article 131-21 CP, avec abrogation différée, pour manque de garanties suffisantes offertes aux tiers (décisions QPC de 2021, rappelées par Légifrance dans les notes de codification).
L’arrêt 2025 s’inscrit dans ce contexte :
il renforce l’idée de contrôle ultérieur par le juge du fond,
mais ne va pas jusqu’à reconnaître un droit immédiat à la libération de la quote-part du tiers, ce qui peut être perçu comme une lecture minimaliste des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
4.4 Enjeux pratiques pour les justiciables et leurs conseils
Pour les conjoints ou co-titulaires de comptes indivis :
Pas de garantie de récupérer d’emblée “leur moitié” des fonds en cas de saisie pénale.
Nécessité de :
documenter précisément l’origine des fonds (revenus personnels, économies, apports propres, etc.),
saisir à nouveau le juge de l’enquête ou du jugement pour demander une restitution partielle ou totale,
articuler des moyens fondés sur le caractère disproportionné de l’atteinte aux biens (art. 1er Prot. n° 1 CEDH).
Pour les praticiens :
L’arrêt invite à anticiper l’argument “indivision” dans toute défense pénale ou patrimoniale :
démontrer que les fonds ne sont pas, en réalité, à la libre disposition exclusive du mis en cause ;
ou solliciter la conversion de la mesure (par exemple, partage judiciaire, consignation, substitution de sûretés) pour atténuer l’atteinte au droit de propriété du tiers.
5. Critique de la décision
Forces :
La Cour offre une construction cohérente avec le droit de l’indivision et l’économie des saisies spéciales.
Elle rappelle l’existence d’un recours ultérieur utile pour le tiers devant la juridiction de jugement, ce qui répond partiellement aux exigences de l’article 1er du Protocole n° 1.
Faiblesses et interrogations :
Le contrôle de proportionnalité reste très implicite : l’arrêt évoque la “temporaire” atteinte sans véritablement peser la durée effective de la saisie ni la situation concrète de l’épouse.
La solution peut laisser une impression de déséquilibre structurel :
le mis en cause, par sa seule qualité de co-indivisaire, expose l’ensemble du patrimoine commun ou indivis à la saisie,
le co-indivisaire de bonne foi supporte seul le poids de cette mesure en attendant le jugement.
On peut donc se demander si, à terme, la Cour de cassation n’aura pas à affiner cette jurisprudence, notamment à la lumière de la CEDH et des évolutions législatives en matière de confiscation.
6. Accompagnement personnalisé par la SELARL PHILIPPE GONET
Face à une saisie pénale de compte bancaire, de patrimoine indivis ou de biens communs, les enjeux sont à la fois :
pénaux (risque de confiscation, qualification des faits, stratégie de défense du mis en cause),
patrimoniaux (protection du conjoint, de la famille, de l’entreprise),
procéduraux (délais, voies de recours, articulation avec les droits fondamentaux).
La SELARL Philippe GONET, société d’avocat à Saint-Nazaire, peut :
Analyser la régularité et la proportionnalité des saisies pénales décidées par le parquet ou le juge,
Construire une stratégie de contestation (appel, pourvoi, demandes de restitution) intégrant les arguments tirés du droit de l’indivision et de la CEDH,
Protéger les intérêts du conjoint ou du co-indivisaire, notamment en préparant un dossier solide sur l’origine des fonds et leurs besoins financiers,
Coordonner la défense pénale et la défense patrimoniale, en lien avec d’éventuels contentieux civils (partage, liquidation de régime matrimonial, responsabilité bancaire, etc.).
En cas de saisie pénale sur un compte indivis, il est vivement conseillé de consulter rapidement un avocat pour ne pas laisser la situation se figer au détriment du tiers de bonne foi.
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