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Cumul affichage et diffusion pour les personnes morales : l’arrêt du 28 octobre 2025

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Cumul affichage et diffusion pour les personnes morales : l’arrêt du 28 octobre 2025
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Par un arrêt publié du 28 octobre 2025, la chambre criminelle confirme qu’une personne morale peut être condamnée à la fois à l’affichage de la décision au siège social et à sa diffusion, notamment sur son site internet, en application de l’article 131-35 du code pénal.

La SELARL Philippe GONET, société d’avocat à Saint-Nazaire, accompagne les entreprises et leurs dirigeants dans la gestion de leurs risques juridiques, notamment en matière de responsabilité pénale, d’accidents du travail et d’obligations de sécurité. Elle intervient tant en défense des personnes morales poursuivies qu’aux côtés des victimes pour optimiser la réparation de leurs préjudices.Philippe Gonet Avocat


1. Résumé

Parties impliquées

Demanderesse au pourvoi : la société [1], personne morale condamnée pour blessures involontaires avec violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité.

Défendeur : ministère public.

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle 28 octobre 2025 N° de pourvoi : 24-86.438
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, chambre 2-13, 6 septembre 2024Légifrance

Nature du litige
La société [1] est déclarée coupable de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, ayant causé une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à trois mois, pour des faits commis le 2 mai 2017. Elle est condamnée à 50 000 € d’amende et à la peine complémentaire d’affichage de la décision pendant deux mois à son siège social et sur son site internet.

La question juridique est de savoir si, pour une personne morale, les textes qui prévoient l’« affichage ou la diffusion » de la décision permettent néanmoins de cumuler ces deux modalités de publicité.

Effet direct sur la jurisprudence et les pratiques

La Cour de cassation décide que, en raison de la rédaction de l’article 131-35 du code pénal, combiné avec l’article 131-38, l’affichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement à l’encontre des personnes morales.

Cet arrêt :

Rompt avec une ligne jurisprudentielle antérieure qui refusait le cumul lorsque le texte spécial prévoyait « l’affichage ou la diffusion » (Cass. crim., 2 sept. 2003, n° 02-81.292 ; Cass. crim., 23 juin 2015, n° 14-80.213 ; et décisions ultérieures).

Renforce considérablement la portée symbolique et réputationnelle des condamnations pénales des personnes morales.

2. Analyse détaillée

2.1. Les faits : rappel chronologique

2 mai 2017 : la société [1] commet des blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causant une ITT ≤ 3 mois.
Les circonstances matérielles précises de l’accident (lieu exact, nature de l’activité, description technique des manquements) ne sont pas détaillées dans l’arrêt de la Cour de cassation. Aucun élément complémentaire ne peut donc être ajouté sans sortir du champ des sources officielles.

2.2. La procédure

Première instance – tribunal correctionnel

Le tribunal correctionnel déclare la société [1] coupable du délit de blessures involontaires aggravées et la condamne :

à 50 000 € d’amende ;
à la peine complémentaire d’affichage de la décision pendant deux mois à son siège social et sur son site internet.
La date du jugement n’est pas indiquée dans l’arrêt de cassation.

Appel – Cour d’appel de Paris (6 sept. 2024)

La société [1] et le ministère public interjettent appel du jugement.

La cour d’appel de Paris, chambre 2-13, confirme la culpabilité et maintient la peine complémentaire consistant en :

l’affichage de la décision au siège social ;
sa publication sur le site internet de la société pendant deux mois.

Pourvoi en cassation

La société [1] forme un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel.
Un mémoire est produit au soutien du pourvoi.

Arrêt de la Cour de cassation (28 oct. 2025)

La chambre criminelle, après avis de l’avocat général et audience publique du 23 septembre 2025, rejette le pourvoi.

2.3. Contenu de la décision

2.3.1. Arguments de la société [1] (second moyen)

La société critique l’arrêt d’appel en ce qu’il ordonne :

« l’affichage de la décision au siège de la société [1] et sur son site internet pour une durée de deux mois »,

en faisant valoir que :

L’article 131-39, 9° du code pénal, auquel renvoie l’article 222-21 pour les personnes morales, prévoit « l’affichage ou la diffusion de la décision », non leur cumul ;
En combinant une mesure d’affichage au siège et une mise en ligne sur le site internet (assimilée à une diffusion), la cour d’appel aurait prononcé une peine non prévue par la loi, en violation du principe de légalité des peines posé à l’article 111-3 du code pénal.

2.3.2. Raisonnement de la Cour de cassation

La Cour répond en deux temps :

Rappel du cadre légal applicable aux personnes morales

L’article 131-38 du code pénal, relatif aux peines applicables aux personnes morales, renvoie, pour la peine d’affichage ou de diffusion de la décision, aux conditions prévues à l’article 131-35.
L’article 131-35, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, prévoit désormais que :

« l’affichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement » (formule reprise par la Cour, que l’on peut citer sans excéder la limite de citation).Légifrance+1

Application au cas d’espèce

En combinant ces textes, la Cour en déduit que les peines d’affichage et de diffusion peuvent être cumulées à l’encontre d’une personne morale lorsque le texte spécial renvoie au régime général de l’article 131-35.Légifrance+1
En conséquence, la cour d’appel n’a pas créé une peine nouvelle, mais a fait exacte application de la loi pénale.
Le moyen tiré de la violation du principe de légalité est donc rejeté.

3. Références juridiques 

3.1. Jurisprudence citée
Décision commentée

Cass. crim., 28 oct. 2025, n° 24-86.438, publié au bulletin

Jurisprudence antérieure restrictive (cumul interdit en cas de « ou »)

Cass. crim., 2 sept. 2003, n° 02-81.292, publié au bulletin

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle
Objet : injures publiques à caractère racial – impossibilité de cumuler l’affichage et la diffusion lorsque l’article 33, al. 4, de la loi de 1881 ne prévoyait que « l’affichage ou la publication » de la décision.Légifrance


Cass. crim., 23 juin 2015, n° 14-80.213, inédit

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle
Objet : homicide involontaire – personnes morales – la Cour casse en retenant que les articles 221-7 et 131-39, 9° ne prévoient que « l’affichage ou la diffusion » de la décision ; le cumul est alors jugé contraire à l’article 111-3.

Jurisprudence illustrant le cumul lorsque le texte spécial l’autorise expressément

Cass. crim., 24 oct. 2012, n° 11-85.790, inédit (fraude fiscale)

L’article 1741 du CGI prévoit lui-même l’« affichage et la diffusion » : la Cour admet le cumul, tout en réglant la question de la rétroactivité des peines nouvelles.
(D’autres arrêts de 2019 et 2021 confirment encore la position restrictive antérieure, mais ils ne sont pas indispensables pour la compréhension du revirement actuel. Ils peuvent être ajoutés en complément si nécessaire.)

3.2. Textes légaux


Article 131-35 du code pénal – « Du contenu et des modalités d’application de certaines peines »

Contenu pertinent : prévoit l’affichage et la diffusion de la décision ou d’un communiqué, et précise, depuis la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, que l’affichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement.Légifrance+1

Article 131-38 du code pénal – Peines applicables aux personnes morales

Contenu pertinent : renvoie, pour les peines d’affichage ou de diffusion de la décision prononcées contre les personnes morales, aux conditions de l’article 131-35.Légifrance+1

Article 131-39 du code pénal – Peines complémentaires encourues par les personnes morales

Contenu pertinent : le 9° prévoit l’affichage ou la diffusion de la décision.

Article 222-21 du code pénal – Atteintes involontaires à l’intégrité de la personne – personnes morales

Contenu pertinent : les personnes morales responsables des infractions de la section encourent, outre l’amende, les peines prévues aux 2°, 3°, 8° et 9° de l’article 131-39.Légifrance

Article 111-3 du code pénal – Principe de légalité des incriminations et des peines

Contenu pertinent : nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ; ce principe a fondé la solution restrictive de 2003 et 2015.Légifrance+1


4. Analyse juridique approfondie

4.1. L’articulation des textes : du « ou » au « et »

L’originalité de l’arrêt du 28 octobre 2025 tient au jeu combiné des textes :

L’article 222-21 renvoie aux peines de l’article 131-39, dont le 9° mentionne « l’affichage ou la diffusion de la décision » ;
L’article 131-38 dispose que ces peines sont prononcées dans les conditions prévues à l’article 131-35 ;
L’article 131-35, dans sa version postérieure à la loi du 17 mai 2011, prévoit expressément que l’affichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement.
Autrement dit, le terme « ou » du 9° de l’article 131-39 se trouve « corrigé » par la règle de portée générale posée par l’article 131-35. La chambre criminelle consacre, pour les personnes morales, une lecture systémique du code pénal : l’énumération des peines (art. 131-39) est distincte du régime de leur prononcé (art. 131-35).

L’arrêt de 2025 opère ainsi une réconciliation entre la lettre de l’article 131-39, 9°, et l’intention du législateur de 2011, qui avait voulu renforcer l’impact des peines de publicité des décisions pénales.

4.2. Rupture avec la jurisprudence antérieure

Avant la réforme de 2011, mais aussi après, la chambre criminelle était restée très attachée à la lettre des textes spéciaux :

En 2003, elle refuse le cumul affichage + diffusion en matière d’injures raciales, considérant qu’aucune peine autre que celle prévue par la loi ne peut être prononcée.

En 2015, en matière d’homicide involontaire et de responsabilité pénale des personnes morales, elle casse l’arrêt qui avait ordonné à la fois l’affichage et la diffusion de la décision, au motif que les textes applicables (221-7 et 131-39, 9°) ne prévoyaient que l’affichage ou la diffusion.

La particularité de l’arrêt de 2015 tient au fait qu’il est rendu après l’entrée en vigueur de la loi de 2011 : la Cour, à l’époque, n’avait pas tiré toutes les conséquences de la nouvelle rédaction de l’article 131-35.

L’arrêt du 28 octobre 2025 marque un tournant :

Il assume pleinement la portée de l’article 131-35 : l’énoncé « l’affichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement » n’est plus considéré comme purement théorique.
Il consacre une lecture dynamique du principe de légalité : dès lors que la loi a prévu, dans un texte de portée générale, la possibilité du cumul, la référence au « ou » dans un texte spécial n’interdit plus cette combinaison, dès lors que ce texte renvoie au régime général.
On peut parler de revirement partiel de la jurisprudence antérieure, au moins en ce qui concerne les personnes morales et les infractions pour lesquelles le texte spécial renvoie expressément à l’article 131-35 via l’article 131-38.

4.3. Conséquences pratiques pour les personnes morales

Exposition renforcée au « risque réputationnel »

Pour les entreprises et autres personnes morales, le risque ne se limite plus à un affichage ponctuel dans les locaux ou à une simple notice dans un journal officiel :

affichage physique aux portes ou dans les locaux ;

diffusion numérique, en particulier via le site internet de l’entreprise, potentiellement relayée par les moteurs de recherche.

La combinaison des deux crée un effet amplificateur d’atteinte à l’image, d’autant plus sensible dans un contexte de compliance et de RSE.

Stratégie de défense pénale

En défense :

L’argument tiré de la lettre « affichage ou diffusion » du 9° de l’article 131-39 perd une grande partie de sa force, du moins pour les personnes morales ;

Il devient plus pertinent de plaider sur :

la proportionnalité de la peine de publicité (durée, modalités, visibilité sur le site web) ;
la nécessité d’adapter la peine aux mesures internes de mise en conformité déjà engagées (formation, audits, procédures internes).
En demande (victimes ou ministère public) :

L’arrêt de 2025 offre un appui clair pour solliciter des mesures de publicité renforcées à l’encontre des personnes morales fautives, notamment en matière d’accidents du travail et d’atteintes involontaires à l’intégrité physique.
Portée au-delà des atteintes involontaires

Même si l’arrêt vise l’article 222-21 (atteintes involontaires), le raisonnement repose sur la combinaison 131-38 / 131-35, applicable à l’ensemble des infractions pour lesquelles la personne morale encourt l’affichage ou la diffusion de la décision. Il est donc très probable que la solution soit transposable à d’autres domaines (droit du travail, santé publique, environnement, etc.), tant que le texte spécial renvoie au régime général des peines applicables aux personnes morales.


5. Critique de la décision


L’arrêt du 28 octobre 2025 est cohérent avec l’évolution législative : il tire les conséquences de la réforme de 2011.
On peut toutefois regretter l’absence d’un motif explicite sur l’abandon de la solution de 2015 : la Cour ne mentionne pas expressément ce revirement, ce qui peut compliquer la lecture pour les praticiens.

6. Accompagnement personnalisé par la SELARL PHILIPPE GONET

La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut intervenir :

Pour les entreprises et personnes morales poursuivies :

évaluation du risque de publicité de la décision (affichage, diffusion numérique) ;
stratégie de défense visant à limiter la portée et la durée des peines de publicité ;
intégration de ces risques dans une démarche globale de compliance et de prévention des accidents (notamment du travail).

Pour les victimes d’accidents (salariés, tiers, proches) :

analyse de la décision pénale et de ses effets sur l’action civile ;
mise en œuvre d’une stratégie de réparation intégrale des préjudices (patrimoniaux et extrapatrimoniaux) devant les juridictions civiles ou pénales ;
dialogue avec les assureurs et les institutions sociales.
Dans les deux cas, l’enjeu est de transformer cette jurisprudence en un levier stratégique : pour les victimes, un instrument de reconnaissance et de réparation ; pour les entreprises, un rappel à l’ordre incitant à une véritable culture de sécurité.

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