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Prise illégale d’intérêts & prescription : cassation (Cass. crim., 25 juin 2025)

Le 11 septembre 2025
Prise illégale d’intérêts & prescription : cassation (Cass. crim., 25 juin 2025)
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1. Résumé succinct

Parties : Ministère public c/ Mme [Z] [L] (élue régionale).

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle (formation de section).
Date : 25 juin 2025 — Pourvoi n° 23-81.08

Nature du litige : Prise illégale d’intérêts (art. 432-12 CP) — prescription de l’action publique (point de départ) et motivation des juges du fond (art. 593 CPP)

Effet direct sur la jurisprudence / pratique : la Cour casse l’arrêt d’appel pour avoir fixé le point de départ de la prescription à la fin de la jouissance du logement sans caractériser la persistance, pendant toute cette période, du double cumul exigé par l’art. 432-12 (pouvoir de surveillance sur l’opération + intérêt personnel). Elle invite en outre à rechercher la dissimulation (art. 9-1 CPP). Renvoi devant la CA de Paris autrement composée.

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits 

1er janv. 2004 – juin 2014 : Mme [L], vice-présidente du conseil régional (administration générale/personnel/marchés publics), préside la commission qui désigne les candidatures d’agents de la région à soumettre aux bailleurs sociaux au titre du quota réservataire de logements financés par la région.

2 déc. 2004 : Mme [L] prend à bail un appartement relevant de ce quota, hors procédure régulière de la commission (recours à l’« urgence sociale », candidature adressée directement au bailleur, sans information a posteriori de la commission). Ses revenus excèdent les plafonds.
Jouissance du logement jusqu’au 31 janv. 2022.

Après dépôt d’une plainte : enquête préliminaire — un mandement du ministère public du 7 sept. 2016 est mentionné par les juges du fond comme acte interruptif (point discuté en cassation).

2.2 La procédure 

T. corr. : déclaration de culpabilité pour prise illégale d’intérêts.
Appel (CA Paris, ch. 2-14, 7 févr. 2023) :

Rejet de l’exception de prescription au motif d’une infraction continue : la prescription ne commencerait à courir qu’à la fin de la jouissance (1er févr. 2022).

Peine : 1 an d’emprisonnement avec sursis probatoire, 70 000 € d’amende, 3 ans d’inéligibilité ; statuant aussi sur les intérêts civils.

Pourvoi de Mme [L].

Cassation (25 juin 2025) : cassation totale et renvoi à la CA de Paris autrement composée.

2.3 Contenu de la décision de cassation

A) Arguments des parties (moyen n° 1)

La défense soutient que :

la prise illégale d’intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif par lequel l’agent prend ou reçoit un intérêt, et non au jour où cesse l’avantage ;

la CA n’a pas caractérisé que Mme [L] avait un pouvoir sur le maintien du bail après sa conclusion (défaut de conservation illégale d’un intérêt sous l’angle des textes).

B) Règle de droit rappelée par la Cour

Art. 432-12 CP : réprime le fait de prendre, recevoir ou conserver un intérêt dans une opération dont l’auteur a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration ; la conservation réprimée suppose que perdure le cumul des qualités (pouvoir de surveillance et intérêt personnel).

Art. 8 CPP : la prescription des délits est de six ans à compter du jour de la commission (avec les régimes spéciaux).

Art. 593 CPP : nullité des décisions sans motifs suffisants permettant le contrôle de la Cour de cassation. 

Art. 9-1 CPP (dissimulation) : est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit une manœuvre caractérisée tendant à empêcher sa découverte (incidence sur le point de départ). 

C) Raisonnement de la Cour de cassation

La CA a retenu une infraction continue jusqu’à la fin de la jouissance (1er févr. 2022) sans établir que, après la prise de possession, Mme [L] détenait toujours des pouvoirs de surveillance ou d’administration sur l’opération pendant toute la période de jouissance. Or l’art. 432-12 exige que perdure le double cumul (pouvoir de surveillance + intérêt). Motivation insuffisante au regard de l’art. 593 CPP.

En outre, au vu des mentions de prévention faisant état d’un contournement (procédure d’urgence sociale, non-information de la commission), la CA devait rechercher si une dissimulation était caractérisée (art. 9-1 CPP), ce qui aurait pu décaler le point de départ de la prescription à la date d’apparition de l’infraction dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. Omission de base légale. 

D) Solution
Cassation de l’arrêt du 7 févr. 2023 en toutes ses dispositions ; renvoi devant la CA de Paris autrement composée.


3.  Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 
Cass. crim., 25 juin 2025, n° 23-81.084, FS-B, ECLI:FR:CCASS:2025:CR00813 — 

Cass. crim., 4 avr. 2001, n° 00-82.534, Publié au Bull.
(Principe : prise illégale d’intérêts et point de départ de la prescription.) 

Cass. crim., 16 déc. 2014, n° 14-82.939, Publié au Bull.
(Principe : en cas de dissimulation, prescription à compter du jour d’apparition de l’infraction dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.) 

3.2 Textes légaux

Code pénal — art. 432-12 (version en vigueur depuis le 24 déc. 2021) :
« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt […] dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 €… »
CPP — art. 8 (version en vigueur depuis le 12 mai 2024) :
« L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. »

CPP — art. 593 (version en vigueur depuis le 1er janv. 2001) :
« Les arrêts de la chambre de l’instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s’ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants… »

CPP — art. 9-1 (version applicable, création par loi n° 2017-242) :
« Est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte. »

Le moyen visait l’art. 8 CPP dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 févr. 2017 ; la décision se fonde sur l’art. 8 et exige, en outre, une recherche au regard de l’art. 9-1 (dissimulation), désormais textuel. 

4. Analyse juridique approfondie

4.1 Décryptage du raisonnement

Infraction continue vs. instantanée : La chambre criminelle ne consacre pas une automaticité de la « continuation » pour toute conservation d’un avantage. Elle resserre l’analyse autour de l’exigence cumulative posée par l’art. 432-12 : **l’intérêt conservé n’est réprimé que si, pendant cette conservation, l’agent conserve encore un pouvoir de surveillance sur l’opération concernée. À défaut, on retombe sur un acte consommé dont la prescription court dès la commission (art. 8 CPP). 

Dissimulation : La Cour reproche à la CA de ne pas avoir vérifié si la manœuvre (contournement de la commission, recours à l’« urgence sociale », absence d’information) caractérisait une dissimulation au sens de l’art. 9-1 CPP, susceptible de reporter le point de départ au jour d’apparition. Légifrance
Motivation (art. 593 CPP) : défaut de caractérisation = insuffisance de motifs, d’où cassation. 

4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Crim., 4 avr. 2001, n° 00-82.534 : rappels structurants sur la nature de l’infraction et la prescription en matière de prise illégale d’intérêts. 

Crim., 16 déc. 2014, n° 14-82.939 : la Cour admet, en cas de dissimulation, un décalage du point de départ jusqu’au jour d’apparition de l’infraction (anticipe l’art. 9-1 CPP). 

Apport de 2025 : l’arrêt du 25 juin 2025 articule explicitement l’art. 432-12 CP et les règles de prescription (art. 8, 9-1 CPP) en imposant une vérification factuelle fine :

La conservation d’un intérêt n’équivaut pas ipso facto à une infraction continue ;

Il faut prouver la persistance du pouvoir de surveillance sur toute la période de conservation ;

À défaut, examiner la dissimulation (art. 9-1 CPP).

4.3 Évolution des pratiques

Pour les juridictions du fond : obligation de dater précisément le (ou les) actes constitutifs et de motiver sur (i) la persistance des pouvoirs et (ii) la dissimulation éventuelle.

Pour les élus/agents publics : les situations de conflit d’intérêts liées aux droits réservataires (logement, subventions, marchés) appellent un audit probatoire des pouvoirs effectivement exercés pendant la jouissance de l’avantage.

Pour les praticiens : en défense, contester la thèse de l’infraction continue si la personne ne détenait plus, après l’acte initial, aucun pouvoir sur l’opération ; à titre subsidiaire, discuter l’existence ou non d’une dissimulation au sens de l’art. 9-1 CPP. (Synthèse tirée des exigences posées par la Cour.)

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