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La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat, 2 rue du Corps de Garde – 44600 Saint-Nazaire, accompagne ses clients notamment en droit de la responsabilité (préjudices, manquements, contentieux) et dans les dossiers où l’exigence de dignité et de protection de la personne devient centrale. Dans une affaire comme celle-ci (accès aux soins en détention), l’enjeu n’est pas théorique : il s’agit de prouver, pièces à l’appui, si les obligations posées par les autorités ont été réellement exécutées.
1) Résumé de l’arrêt
La Cour européenne des droits de l’homme juge que la France a manqué à son obligation de fournir des soins effectifs à un détenu atteint de sclérose en plaques, alors même que les juridictions nationales avaient considéré ces soins comme une condition du maintien en détention : violation de l’article 3 (traitements inhumains ou dégradants).
Requérant : M. Juan Fernandez Iradi, ressortissant espagnol.
Défendeur : France.
Juridiction :
CEDH, Cinquième section
Date : 4 décembre 2025
Référence : requête n° 23421/21
Nature du litige
Compatibilité du maintien en détention d’un détenu atteint de sclérose en plaques avec son état de santé, sous l’angle de l’article 3 de la Convention.
Effet direct (pratique)
L’arrêt “verrouille” un point clé : si un juge national conditionne le maintien en détention à une prise en charge médicale précise, l’État doit ensuite démontrer une exécution effective et continue (ex. suivi neurologique, kinésithérapie), faute de quoi la responsabilité conventionnelle est engagée.
2) Analyse détaillée
Deux demandes de suspension de peine ont structuré le dossier : la seconde aboutit à une position nationale “conditionnelle” (détention possible si soins effectifs), puis la CEDH constate que ces soins n’ont pas été effectivement assurés pendant une période significative.
A. Les faits
Déc. 2003
Début de détention en France
Juin 2010 – Juin 2012
Transfert judiciaire en Espagne
Déc. 2012 – Avr. 2013
Diagnostic SEP, traitement de fond (1re ligne)
2013–2016
1re demande de suspension : expertises / décisions / cassation
6 avr. 2018
2e demande de suspension
31 mars 2019
Expertise : kiné 1–2×/sem ; suivi neuro annuel ; urologie ; etc.
12 nov. 2019
TAP : suspension accordée
27 fév. 2020
CAP : refuse la suspension mais “conditionne” la détention à la prise en charge
Nov. 2019 → mars 2022
Pas de consultation neurologique organisée
Oct. 2022
Transfert en Espagne
Récit factuel (littéraire, complet)
Le requérant, détenu en France depuis décembre 2003, a connu un transfert judiciaire en Espagne (2010–2012). À partir de 2011, des symptômes apparaissent ; en 2012 une prise en charge neurologique s’organise à Toulouse et le diagnostic de sclérose en plaques est posé, annoncé en février 2013 ; un traitement de fond débute en avril 2013.
Il saisit le juge de l’application des peines dès mars 2013 d’une demande de suspension de peine pour raison médicale. Deux expertises (mars et octobre 2013) concluent à une incompatibilité durable avec la détention. En 2014, le TAP ordonne une suspension mais la CAP infirme et ordonne une nouvelle expertise ; en 2015, les experts estiment la prise en charge compatible avec la détention (avec recommandations, notamment sur la kinésithérapie et le suivi spécialisé).
Une seconde phase s’ouvre en 2018 : en février 2018, un neurologue évoque une efficacité “suboptimale” et envisage un traitement de seconde ligne ; le requérant redépose une demande en avril 2018 ; une expertise du 31 mars 2019 détaille les besoins (kinésithérapie hebdomadaire, suivi neurologique annuel, examens, suivi urologique) et précise que le traitement de seconde ligne nécessiterait une journée d’hospitalisation mensuelle hors prison.
En juin 2019, l’administration pénitentiaire signale la difficulté de mise en œuvre du nouveau traitement ; le TAP tient audience en septembre 2019 ; malgré une note du ministère public demandant une réouverture des débats, le TAP ordonne finalement la suspension en novembre 2019, relevant une prise en charge jusque-là “sporadique et aléatoire” et l’absence de mise en œuvre du traitement envisagé.
La CAP renverse ensuite la décision (février 2020) : elle refuse la suspension mais traite la détention comme compatible à condition que certaines prises en charge soient assurées. La suite factuelle est déterminante : il n’y a pas de consultation neurologique organisée entre novembre 2019 et mars 2022, et la fréquence de kinésithérapie hebdomadaire n’est pas assurée au moins jusqu’au début de 2022 (point admis).
B. La procédure (déroulement intégral)
Le dossier illustre un enchaînement classique TAP → CAP → (tentative) Cour de cassation, puis bascule vers Strasbourg sur le terrain de l’article 3.
1re demande (2013) : requête devant le TAP ; expertises ; décision de suspension (2014) puis infirmation par la CAP (2014) ; nouvelle expertise (2015) ; rejet (2015) ; cassation (2016) ; nouvel arrêt CAP (2016) rejetant.
2e demande (2018) : requête (2018) ; expertise (2019) ; suspension par TAP (12 nov. 2019) ; appel du ministère public ; arrêt CAP (27 fév. 2020) rejetant.
Cassation (contre l’arrêt CAP 2020) : pourvoi et aide juridictionnelle ; refus d’AJ puis déchéance du pourvoi faute de mémoire dans le délai.
CEDH : requête 30 avril 2021 ; arrêt rendu le 4 décembre 2025.
C. Contenu de la décision (arguments, raisonnement, solution)
1) Arguments des parties
Requérant : conteste la régularité des soins (IRM, kiné, consultations spécialisées), insiste sur l’importance de la kinésithérapie et sur le fait que le détenu dépend de l’organisation pénitentiaire pour accéder aux rendez-vous.
Gouvernement : soutient que les recommandations sont des “préconisations”, évoque un suivi et des séances régulières, rappelle le refus du requérant de soutien psychologique et sa réserve sur le traitement de seconde ligne.
2) Raisonnement de la CEDH (le cœur)
La Cour écarte comme tardif le grief relatif à une consultation de 2012 (règle des six mois), et concentre l’examen sur la compatibilité du maintien en détention avec l’état de santé.
Point pivot : une obligation positive pèse sur l’État de fournir les soins considérés nécessaires par la CAP pour que la détention reste compatible avec l’article 3 ; la Cour vérifie ensuite si les autorités ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement exiger pour les fournir.
Application au cas :
Traitement de seconde ligne : l’absence de mise en œuvre est principalement rattachée à la réticence exprimée par le requérant, donc non imputée aux autorités.
Suivi neurologique : aucune consultation organisée entre novembre 2019 et mars 2022.
Kinésithérapie : absence de fréquence hebdomadaire au moins jusqu’au début 2022, constatée au regard des préconisations et des admissions du Gouvernement.
3) Solution
Violation de l’article 3 (par 6 voix contre 1) en raison du manquement à fournir les soins requis, tels que prescrits et posés comme condition du maintien en détention.
La Cour précise que ce constat n’impose pas en soi de mettre fin à la détention dans les circonstances de l’espèce.
Satisfaction équitable : 10 000 € pour dommage moral + 11 840 € frais et dépens.
3) Références juridiques
3.1 Jurisprudence
CEDH, 5e sect., 4 déc. 2025, req. n° 23421/21, Fernandez Iradi c. France
Cass. crim., 22 juin 2016, n° 15-84.116
Cass. crim., 22 janv. 2025, n° 23-86.433
(Office du juge : vérifier le risque de traitement inhumain/dégradant lié à la santé, indépendamment d’autres recours).
Cass. crim., 28 sept. 2005, n° 05-81.010
(Interprétation “pronostic vital engagé à court terme” au titre de l’art. 720-1-1 CPP, rappelée notamment en 2025).
3.2 Textes légaux
Article 720-1-1 du code de procédure pénale (version en vigueur depuis le 01/01/2020)
« Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention.
(…)
Conformément à l'article 36 de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, ces dispositions entrent en vigueur au 1er janvier 2020. »
Article 3 de la Convention (texte cité par l’arrêt)
Le texte est reproduit dans l’arrêt : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
4) Analyse juridique approfondie – ce que l’arrêt change concrètement
Le point décisif n’est pas “soins imparfaits” vs “soins parfaits”, mais la cohérence entre : (1) la condition posée par le juge national et (2) l’exécution effective par l’administration.
A. Le raisonnement en deux temps (mécanique probatoire)
Le juge national conditionne : la CAP estime la détention acceptable si un certain niveau de prise en charge est assuré.
La CEDH contrôle l’exécution : elle vérifie si l’État a effectivement fourni ces soins (suivi neuro + kiné). Ici, réponse négative → violation.
B. Mise en perspective avec la Cour de cassation (construction jurisprudentielle)
Fil conducteur Cass. crim. 22 juin 2016 : cassation pour ne pas avoir recherché si les “préconisations” médicales pouvaient effectivement être mises en œuvre.
Fil conducteur Cass. crim. 22 janv. 2025 : même en présence des conditions strictes de l’art. 720-1-1, il entre dans l’office du juge de rechercher si le maintien en détention ne devient pas un traitement inhumain ou dégradant en raison de la santé, indépendamment d’autres voies de recours.
L’arrêt CEDH du 4 décembre 2025 s’inscrit dans cette logique : la faisabilité réelle et la continuité des soins deviennent le critère central de compatibilité.
5) Accompagnement personnalisé (droit de la responsabilité)
Si vous êtes confronté à un contentieux où une personne vulnérable subit un défaut de prise en charge (carcéral, hospitalier, institutionnel), la SELARL PHILIPPE GONET peut analyser la stratégie probatoire (dossiers médicaux, expertises, chronologie, carences documentées) et déterminer les voies utiles (responsabilité, référés, contentieux indemnitaire, articulation avec les procédures pénales/administratives selon les cas).
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