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L.23 C & art. 755 CGI : la Cour de cassation écarte l’imprescriptibilité

Le 29 octobre 2025
L.23 C & art. 755 CGI : la Cour de cassation écarte l’imprescriptibilité
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1) Résumé 

Parties : M. [H] (contribuable) c/ Directeur régional des finances publiques d’Île-de-France et du département de Paris.

Juridiction: Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, n° 23-10.403

Nature du litige : Taxation d’office aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG) au taux de 60 % sur le fondement de l’art. 755 CGI, après demande L. 23 C LPF relative à des avoirs non déclarés à l’étranger (comptes suisses) ; débat sur le fait générateur, le point de départ du délai de reprise (L.181-0 A LPF) et la compatibilité avec la liberté de circulation des capitaux (art. 63 TFUE). 

Effet direct sur la pratique : Confirmation de la grille d’analyse : (i) obligation de déclaration CGI 1649 A/AA ; (ii) demande L.23 C ; (iii) à défaut de justifications suffisantes → L.71 LPF (taxation d’office) + art. 755 CGI (présomption de libéralité taxée au taux « tableau III » de l’art. 777 CGI) ; (iv) délai décennal L.181-0 A LPF courant à compter de l’expiration des délais L.23 C. Le mécanisme ne crée pas d’imprescriptibilité et reste compatible avec l’art. 63 TFUE, eu égard aux objectifs anti-fraude (art. 65 TFUE). 

2) Analyse détaillée

A) Les faits 

3 févr. 2014 : transmission par le procureur (fondement L.101 LPF) d’informations sur des comptes suisses détenus par M. et Mme [H]. L’administration adresse une demande L.23 C LPF visant l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs (période nov. 2005 – fév. 2007).
6 nov. 2015 : proposition de rectification : taxation d’office aux DMTG sur le fondement L.71 LPF + art. 755 CGI. Légifrance
8 août 2016 : mise en recouvrement. 

B) La procédure

1re instance : le contribuable saisit le juge pour obtenir la décharge des impositions (rejet de sa réclamation préalable). 
Appel : CA Paris, 7 nov. 2022 (pôle 5, ch. 10) confirme (décision attaquée).
Cassation : pourvoi du contribuable (deux moyens) → rejet (FS-B).

C) Contenu de la décision

Arguments du demandeur (extraits du moyen n°2) :

Le fait générateur de l’art. 755 CGI serait la détention d’avoirs non déclarés, non l’inexécution des demandes L.23 C LPF ;
La solution retenue créerait une imprescriptibilité incompatible avec la sécurité juridique et la liberté de circulation des capitaux (art. 63-66 TFUE). 


Raisonnement de la Cour :

Droit de l’UE : rappel de l’art. 63 TFUE (interdiction des restrictions) et de l’art. 65 §1 b) (mesures indispensables anti-fraude). La Cour reprend la jurisprudence CJUE : Commission c/ Espagne, C-788/19, 27 janv. 2022, pt 39 (sécurité juridique, pas d’usage indéfini des pouvoirs) et Emporiki Serron AE, C-42/24, 6 févr. 2025, pt 32. Ces exigences n’interdisent pas, par principe, un délai de reprise prolongé si proportionné à la lutte contre la fraude. circulaires.

Droit interne articulé :

CGI 1649 A (rédaction antérieure) : obligation de déclarer les comptes ouverts/clos/ utilisés à l’étranger ; LPF L.23 C : en cas de manquement dans l’une des dix années précédentes, l’administration peut exiger dans 60 jours toutes informations/justifications ; si réponse insuffisante, mise en demeure 30 jours pour compléter. 

LPF L.71 : en l’absence ou insuffisance de réponse dans les délais L.23 C, taxation d’office « dans les conditions prévues à l’art. 755 CGI ».

CGI art. 755 : présomption de libéralité → DMTG au taux le plus élevé du tableau III de l’art. 777 (60 %), calculés sur la valeur la plus élevée des avoirs sur 10 ans précédant la demande L.23 C, diminuée des valeurs justifiées. Légifrance
LPF L.181-0 A : délai de reprise décennal pour ces droits. 

Solution : le point de départ du délai de reprise décennal s’attache aux délais L.23 C (expiration du délai de 60 jours, le cas échéant + 30 jours), pas à la date initiale de détention des avoirs. Cette construction n’instaure pas une imprescriptibilité : le délai court et expire selon L.181-0 A ; elle est proportionnée au but de lutte contre la fraude et compatible avec les art. 63 / 65 TFUE. → Rejet.


3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence

Cass. com., 17 sept. 2025, n° 23-10.403, FS-B, rejet

Cass. com., 16 déc. 2020, n° 18-16.801 (point de départ du délai de reprise et L.23 C / art. 755 précisés).

Cons. const., 15 oct. 2021, n° 2021-939 QPC (conformité L.23 C LPF / art. 755 CGI à la Constitution sous réserve d’interprétation — proportionnalité).

CJUE, 27 janv. 2022, C-788/19, Commission c/ Espagne (modèle 720 ; sécurité juridique, proportionnalité).

CJUE, 11 mars 2004, C-9/02, De Lasteyrie du Saillant (libre circulation des capitaux et mesures anti-fraude).

CJUE, 11 juin 2009, C-155/08 et C-157/08, X et Passenheim-van Schoot (prescription / proportionnalité).

CJUE, 6 févr. 2025, C-42/24, Emporiki Serron AE (rappel sécurité juridique / point de départ — cité par la Cour).


3.2 Textes légaux 

LPF, art. L.23 C (extrait) :
« Lorsque l’obligation prévue au deuxième alinéa de l’article 1649 A (…) n’a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes, l’administration peut demander (…) de fournir dans un délai de soixante jours toutes informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur le compte (…) Lorsque la personne a répondu de façon insuffisante (…) mise en demeure d’avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours ». 

LPF, art. L.71 (extrait) :
« En l’absence de réponse ou à défaut de réponse suffisante aux demandes (…) L.23 C, la personne est taxée d’office dans les conditions prévues à l’article 755 CGI ». 

CGI, art. 755 (extraits) :
« *Les avoirs figurant sur un compte détenu à l’étranger (…) dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure L.23 C LPF sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais L.23 C, aux DMTG au taux le plus élevé mentionné au **tableau III de l’*article 777 » ;

« Droits calculés sur la valeur la plus élevée connue au cours des dix années précédant la demande L.23 C ». 
CGI, art. 777 (tableau III — 60 % entre non-parents). 

LPF, art. L.181-0 A (extrait) : délai de reprise décennal pour les impositions assises sur des biens ou droits visés par 1649 A/AA/AB CGI. 

CGI, art. 1649 A (extrait) : obligation de déclarer les comptes ouverts/détenus/utilisés/clos à l’étranger. 

TFUE, art. 63 (libre circulation des capitaux) & 65 §1 b) (mesures indispensables anti-fraude).


4)  Analyse juridique approfondie

a) Décryptage du raisonnement

La Cour articule l’obligation déclarative (1649 A/AA CGI) avec la procédure L.23 C (exigence d’informations probantes sous 60 jours + éventuelle mise en demeure de 30 jours).

À défaut, l’art. L.71 bascule vers la taxation d’office et l’art. 755 opère une présomption de libéralité taxée à 60 % (tabl. III, art. 777).

Le délai de reprise dix ans (L.181-0 A) court à compter de l’expiration des délais L.23 C — évitant tout retour illimité sur le passé. Cette séquence est proportionnée aux objectifs de lutte contre la fraude (cf. CJUE C-788/19 ; C-42/24), sans porter atteinte excessivement à la liberté de circulation des capitaux (art. 63/65 TFUE). 

b) Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Cass. com., 16 déc. 2020, n° 18-16.801 : déjà une lecture combinée de L.23 C / L.71 / 755, adossée au L.181-0 A. L’arrêt 2025 confirme/affine le point de départ du délai de reprise (expiration des délais L.23 C) et verrouille l’argument d’imprescriptibilité. 

Cons. const., 15 oct. 2021, n° 2021-939 QPC : le dispositif L.23 C/755 est conforme (égalité / proportionnalité) sous réserve d’une application non confiscatoire et motivée ; l’arrêt 2025 s’inscrit dans cette ligne de constitutionnalité. 


CJUE (De Lasteyrie ; X & Passenheim-van Schoot) : le contrôle UE porte sur la proportionnalité des mécanismes anti-fraude ; la solution de 2025 respecte l’exigence d’un délai déterminé et d’un ancrage temporel (délais L.23 C + reprise décennale), à rebours d’un régime imprescriptible condamné par C-788/19.

c) Évolutions pratiques & compliance

Contentieux : le débat se déplace du « fait générateur = détention » vers « fait générateur = défaut/insuffisance de justifications à l’issue de L.23 C ».

Preuve : le contribuable doit objectiver l’origine et les modalités d’acquisition (pièces bancaires, justificatifs anciens, flux reconstitués).
Stratégie : maîtriser les délais (60 + 30 jours), répondre de façon complète ; à défaut, exposition à 60 % (tabl. III, art. 777) sur la valeur la plus élevée des 10 années antérieures à la demande L.23 C.

5) Critique de la décision 

l’arrêt confirme le modèle français anti-dissimulation des avoirs étrangers : délai certain (10 ans) démarrant à la fin des délais L.23 C ; pas d’imprescriptibilité.

d. Documentation : Tous les liens vérifiés (statuts ci-dessous). Les sources non officielles (blogs, Doctrine, presse) exclues des références obligatoires.


6) Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos dossiers L.23 C (qualité des justificatifs ; chronologie et délais) ;

Construire une réponse probante (flux, origine des fonds, pièces bancaires anciennes, concordances) pour neutraliser la présomption art. 755 ;

Contester l’assiette (valeur « plus haut des 10 ans »), le taux (tableau III art. 777) et, le cas échéant, les pénalités ;

Sauvegarder vos droits (délais de reprise, computation & suspension), au besoin avec argumentaire UE (proportionnalité).

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