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Injure raciale par stigmatisation du prénom : Cass. crim., 2 sept. 2025

Le 23 septembre 2025
Injure raciale par stigmatisation du prénom : Cass. crim., 2 sept. 2025
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1. Résumé succinct

Parties :Prévenu : M. [X] [T] — Partie civile : Mme [I] [W].

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle (formation restreinte hors RNSM/NA), 2 septembre 2025, n° 24-82.963, publié au Bulletin, 

Nature du litige : Injure publique aggravée à raison de l’origine (loi du 29 juillet 1881, art. 29 et 33).

Portée pratique : Confirmation d’une ligne jurisprudentielle exigeant l’analyse du contexte et des termes : la stigmatisation d’un prénom renvoyant à une ascendance africaine peut caractériser une injure raciale excédant la liberté d’expression.

2. Analyse détaillée

Les faits 

13 septembre 2018 – Enregistrement public de l’émission « Les Terriens du Dimanche ». M. [T] déclare à Mme [W] : « Mademoiselle, c’est votre prénom qui est une insulte à la France ».

22 octobre 2018 – Plainte avec constitution de partie civile (injure publique à raison de l’origine + provocation à la discrimination, haine, violence).

20 décembre 2019 – Ordonnance d’irrecevabilité sur la provocation à la haine.

19 octobre 2020 – Renvoi de M. [T] pour injure publique aggravée.

La procédure

TJ Paris, 12 janvier 2023 – Rejet de l’exception d’inconstitutionnalité de l’art. 51-1 loi 1881 ; déclaration de culpabilité ; 4 000 € d’amende ; intérêts civils.

Appel – M. [T] et le ministère public interjettent appel.

CA Paris, 28 mars 2024 (ch. 2-7) – Confirmation de la culpabilité et de la peine.

Pourvoi – M. [T] se pourvoit ; mémoires adverses ; débats publics le 3 juin 2025 ; rejet le 2 septembre 2025.

Contenu de la décision de cassation

Arguments du demandeur (pourvoi)

Pas d’injure au regard du contexte et de l’intention : simple réplique in medias res dans un débat d’intérêt général sur les prénoms.

Interprétation stricte de l’art. 33 al. 3 loi 1881 : la critique viserait le prénom (choix familial), non l’origine.

Article 10 CEDH : condamnation disproportionnée.

Réponse de la Cour

La CA a pu souverainement apprécier le contexte et retenir que la phrase litigieuse stigmatise le prénom — attribut essentiel de la personnalité — pour renvoyer la partie civile à son ascendance africaine ; les propos ne s’inscrivent plus dans un débat d’intérêt général mais constituent une attaque personnelle à caractère discriminant, dépassant les limites de la liberté d’expression.

Rejet du pourvoi ; confirmation des intérêts civils ; 2 500 € à verser à la partie civile au titre de l’art. 618-1 CPP.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence
Présent arrêt : Cass. crim., 2 sept. 2025, n° 24-82.963, Publié au Bulletin
Méthode de caractérisation – prise en compte des éléments extrinsèques :

Cass. crim., 25 févr. 2025, n° 24-80.941, Publié au Bulletin (usage de l’expression « le Chinois » ; exigence d’analyse du discours et du contexte)

Locus standi / action publique pour propos visant un groupe (utile au tri des chefs de poursuite et à la proportionnalité art. 10 CEDH) :

Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-81.316, Publié au Bulletin — rejet (constitution de partie civile irrecevable pour propos visant la communauté, rappel des art. 47, 48, 48-1 loi 1881).

Qualification d’injure raciale – “ADS : Arabe de Service” :


Cass. crim., 19 déc. 2023, n° 22-86.384, Inédit, rejet (injure raciale caractérisée ; limites de l’art. 10 CEDH). 

Antériorités citées par l’analyse de 2025 (ligne confirmée) :

Cass. crim., 16 oct. 2012, n° 11-82.866, Bull. crim. 2012, n° 217 — (irrecevabilité/rejet ; cadre d’appréciation des propos). 

Cass. crim., 19 oct. 2021, n° 20-86.559, Publié au Bulletin — rejet (bannières « négrophobie », etc. ; application art. 33 al. 3). 

3.2 Textes légaux 

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Article 29 (définition de la diffamation et de l’injure) – Version consolidée (le libellé injure = expression outrageante… est stable). 

Article 33 (peines, al. 3 : injure aggravée à raison de l’origine, etc.) – Version consolidée (la réforme du 21 mars 2024 a ajouté le TIG et alourdi les peines pour dépositaires de l’autorité, sans altérer la structure de l’al. 3 applicable au litige). 

Remarque versionnelle : Les faits sont de 2018 ; les éléments constitutifs (art. 29, 33 al. 3) étaient déjà en vigueur à contenu pertinent identique pour la qualification d’injure raciale. Aucune divergence de fond relevée.

4.  Analyse juridique approfondie

Décryptage du raisonnement

La chambre criminelle valide l’approche de la CA : l’examen n’est pas cantonné au mot litigieux mais à son effet injurieux dans le cadre discursif concret (plateau TV, échange antérieur, rôle médiatique du prévenu).

Le prénom, en tant qu’attribut de la personnalité, devient le vecteur d’un renvoi à l’ascendance africaine ; l’attaque personnalise et essentialise la personne sur un critère protégé → injure à raison de l’origine.

Proportionnalité (art. 10 CEDH) : rappel de la marge permise mais dépassement en cas d’atteinte discriminatoire inutilement blessante et disproportionnée dans un débat autrement d’intérêt général.

Confrontation à la jurisprudence antérieure

Cass. crim., 25 févr. 2025 (24-80.941) : la Cour impose d’analyser les termes du discours et le contexte ; l’arrêt du 2 sept. 2025 applique ce standard à l’attaque par le prénom (même logique d’examen extrinsèque). 

Cass. crim., 19 déc. 2023 (22-86.384) : la réduction d’une personne à son origine par une formule méprisante caractérise l’injure raciale ; la décision 2025 prolonge cette grille à la stigmatisation d’un prénom porteur d’un marqueur d’ascendance. 

Cass. crim., 5 mars 2024 (23-81.316) : garde-fous procéduraux sur l’action publique lorsque les propos visent un groupe ; utile ici pour cadrer les chefs de poursuite initiaux (provocation / injure) — mais l’arrêt du 2 sept. 2025 concerne une personne identifiée, donc la voie pénale classique de l’art. 33 al. 3 est ouverte

Cass. crim., 19 oct. 2021 (20-86.559) et 16 oct. 2012 (11-82.866) : continuité sur la définition de l’injure raciale et la nécessité d’un lien entre les propos et l’origine ; l’arrêt 2025 confirme cette trajectoire.

Effets sur les pratiques

Éditorial / médias / réseaux : les acteurs publics ou médiatiques ne peuvent se prévaloir du débat d’intérêt général pour essentialiser un interlocuteur par son prénom lorsqu’il renvoie à une origine.
Contentieux futur : renforcement de la vigilance sur les attaques indirectes (signifiants identitaires : prénom, accent, toponymie, etc.) comme vecteurs d’une injure raciale.

5. Accompagnement personnalisé

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