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Heures sup’ : la Cour de cassation durcit la preuve partagée ( soc., 9-07-2025)

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Heures sup’ : la Cour de cassation durcit la preuve partagée ( soc., 9-07-2025)
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1.  Résumé succinct 

Parties : Mme [P] [H] (salariée, directrice d’association) c/ Association Santé famille 47 (+ France Travail, intimé accessoire). 

Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale – 9 juillet 2025 – n° 24-16.397

Nature du litige : rappel d’heures supplémentaires, repos compensateurs, travail dissimulé (art. L. 3171-2, L. 3171-3, L. 3171-4 C. trav.)


Effet sur la pratique : la Cour réaffirme la règle probatoire « partagée » :

le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis; l’employeur doit répondre utilement en produisant ses propres éléments;

les juges ne peuvent rejeter la demande en se fondant sur la seule insuffisance des pièces du salarié. Les courriels tardifs/matinaux, fiches de poste, attestations, notes de frais, etc., peuvent suffire à déclencher la charge de réponse de l’employeur. Légifrance

2.  Analyse détaillée

Les faits — chronologie complète
5 septembre 2011 : embauche de Mme H. comme infirmière coordinatrice; elle deviendra directrice d’association. 
23 août 2019 : licenciement. 
31 octobre 2019 : saisine prud’homale (exécution/rupture du contrat, dont heures supplémentaires). 

La procédure

CA Agen, 9 avril 2024 : rejet des demandes d’heures supplémentaires/contreparties/repos/travail dissimulé. La cour estime que la salariée ne produit pas de décompte précis. 

Cassation (9 juill. 2025) : cassation partielle — renvoi devant CA Toulouse; dépens à la charge de l’employeur; 3 000 € à Mme H. au titre de l’art. 700 CPC. 

Contenu de la décision

Arguments de la demanderesse 

La salariée reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir fait peser la charge de la preuve sur elle seule, alors qu’elle avait versé des éléments précis (courriels tôt/tard, fiche de poste, délégation de pouvoirs, descriptif des tâches, attestations, mandats, justificatifs de transport et notes de frais), suffisants pour permettre à l’employeur de répondre. Légifrance

Raisonnement de la Cour de cassation

Rappel des textes : L. 3171-2 (documents de décompte individuels hors horaire collectif),

L. 3171-3 (mise à disposition des documents),

L. 3171-4 (règle probatoire « partagée »; si enregistrement automatique, fiable et infalsifiable).

Principe : en cas de litige,

le salarié présente des éléments suffisamment précis;

l’employeur, qui contrôle le temps de travail, répond utilement;

le juge forme sa conviction au vu de l’ensemble, peut ordonner des mesures d’instruction, et évalue souverainement le quantum s’il retient l’existence d’heures supplémentaires (sans détailler le calcul). 

Censure : la CA a violé l’art. L. 3171-4 en écartant la demande malgré des éléments précis produits par la salariée (emails, pièces de fonction, attestations, notes de frais…) et en faisant peser la preuve sur la seule salariée. 


Solution

Cassation partielle limitée aux chefs « heures supplémentaires / repos compensateurs / travail dissimulé », renvoi devant CA Toulouse; dépens + 3 000 € art. 700 CPC contre l’employeur. 

3.Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Cass. soc., 24 nov. 2010, n° 09-40.928 — principe « éléments suffisamment précis », impossibilité de rejeter la demande sur la seule insuffisance des pièces du salarié.

Cass. soc., 14 nov. 2018, n° 17-18.890 — rappel de la preuve partagée et du contrôle du juge.

Cass. soc., 27 janv. 2021, n° 17-31.046 — si enregistrement automatique, il doit être fiable et infalsifiable (L. 3171-4, al. 3).

Cass. soc., 20 janv. 2021, n° 17-31.046 (même lignée, rappel L. 3171-4 et office du juge).

Cass. soc., 24 janv. 2024, n° 22-16.858 — cassation pour mauvaise répartition de la charge probatoire (forfait-jours écarté : retour au régime L. 3171-4).

Cass. soc., 26 févr. 2025, n° 23-13.160 — confirmation du triptyque L. 3171-2/L. 3171-3/L. 3171-4.

Cass. soc., 5 mars 2025, n° 23-22.514 — rappel des textes, version antérieure de L. 3171-3 le cas échéant.

Cass. soc., 14 mai 2025, n° 24-12.508 — ne pas rejeter la demande après avoir admis des éléments précis du salarié sans confronter de véritables éléments de l’employeur.

Présente décision : Cass. soc., 9 juill. 2025, n° 24-16.397 — cassation partielle, renvoi Toulouse.


3.2 Textes légaux 

Code du travail, art. L. 3171-2 (version en vigueur depuis le 01/01/2018) :
« Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Le comité social et économique peut consulter ces documents. »

Code du travail, art. L. 3171-3 (version en vigueur depuis le 10/08/2016) :
« L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail […] les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée […] sont déterminées par voie réglementaire. »

Code du travail, art. L. 3171-4 (version en vigueur depuis le 01/05/2008) :
« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction […]. »
(+ al. 3 : système fiable et infalsifiable s’il y a enregistrement automatique)


4.  Analyse juridique approfondie

4.1 Décryptage du raisonnement

La Cour rappelle et applique le standard probatoire L. 3171-4 : ce n’est ni au seul salarié, ni à l’employeur seul de prouver intégralement; chacun doit produire des éléments et le juge met en balance. La CA Agen a méconnu ce standard en écartant des pièces objectivement exploitables (emails, attestations, notes de frais, etc.) sans exiger de l’employeur qu’il apporte ses propres éléments (plannings, pointages, relevés).

La Cour réinsère la décision dans une construction constante :
(1) 24 nov. 2010 – impossibilité de rejeter sur la seule insuffisance des éléments du salarié;
(2) 2018–2024–2025 – consolidation de la preuve partagée et du contrôle des systèmes de suivi;
(3) 27 janv. 2021 – exigence de systèmes fiables et infalsifiables lorsqu’il existe un enregistrement automatique. 


4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Conformité stricte à Cass. soc., 24 nov. 2010 (n° 09-40.928) : le juge ne peut se contenter de dire « pas assez de preuves côté salarié » sans analyser la carence de l’employeur. 

Alignement avec 14 mai 2025 (n° 24-12.508) et 26 févr. 2025 (n° 23-13.160) : articulation des trois articles (L. 3171-2/-3/-4) et méthode d’appréciation globale des pièces. 

Cohérence avec 27 janv. 2021 : si l’employeur oppose un outil d’enregistrement, il doit être fiable/inaltérable; à défaut, sa force probante chute. 

4.3 Impact pratique

Pour les employeurs :

Tenir des documents individuels de décompte (L. 3171-2/-3) à jour;
Si pointage automatique : sécuriser le caractère fiable/infalsifiable (traçabilité, horodatage, audit).
Répondre utilement aux éléments du salarié (plutôt que contester de façon générale). Légifrance+1

Pour les salariés :

Constituer un faisceau d’indices : courriels hors horaires, attestations, agendas, notes de frais, billets de train, relevés d’appels, tableaux reconstitués raisonnés; le forfait-jours écarté n’exonère pas l’examen au regard de L. 3171-4. Légifrance


5.  Accompagnement personnalisé

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