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1) Résumé
Parties : Société Pronovias France (employeur) c/ Mme [T] (salariée, identité anonymisée).
Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale, 10 décembre 2025, pourvoi n° 24-15.412, rejet.
Litige : Harcèlement moral : la salariée reproche des méthodes de gestion ayant dégradé ses conditions de travail.
Licenciement et vie privée : l’employeur a contacté le médecin traitant, obtenu des informations sur la pathologie et des propos tenus en consultation, puis a utilisé ces informations dans le licenciement.
Apports directs :
La Cour rappelle qu’aucune distinction n’est à faire selon que les agissements seraient « ciblés » ou non : tous agissements répétés ayant pour objet/effet une dégradation des conditions de travail peuvent caractériser le harcèlement moral.
Un licenciement fondé même en partie sur des informations couvertes par le secret médical, obtenues par contact avec le médecin traitant, porte atteinte au droit au respect de la vie privée (liberté fondamentale) et est nul.
Résumé littéraire (pour comprendre « ce qui se joue »)
Ici, la Cour dit deux choses très concrètes :
On peut souffrir au travail sans être “le seul visé” : une organisation qui met sous pression par des objectifs et des pratiques managériales peut suffire à faire naître un harcèlement moral, si cela dégrade la santé et la dignité.
La santé n’est pas une monnaie d’échange : si l’employeur va chercher, via le médecin traitant, des éléments intimes et s’en sert ensuite pour licencier, le licenciement devient juridiquement « toxique » : il est nul.
Présentation – SELARL PHILIPPE GONET (Saint-Nazaire)
La SELARL Philippe GONET, cabinet d’avocat situé 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire, publie des analyses pédagogiques et pratiques destinées à rendre la jurisprudence accessible et utile aux particuliers.
2) Analyse détaillée
A) Les faits
23 juillet 2012 : embauche de la salariée par la société Pronovias France (fonction mentionnée dans la décision : area manager).
Juillet 2018 (contexte médical) : l’employeur contacte le médecin traitant et obtient des renseignements sur la pathologie et des propos tenus lors de la consultation ; l’employeur exploite ensuite ces éléments pour reprocher à la salariée de s’être fait délivrer un certificat médical « en rétorsion » à un avis du médecin du travail.
31 août 2018 : licenciement de la salariée.
Point important (harcèlement) : la cour d’appel retient que des méthodes de gestion mises en œuvre dans l’entreprise ont été de nature à dégrader les conditions de travail (et la Cour de cassation valide l’analyse).
B) La procédure (déroulement)
Cour d’appel de Paris, 20 mars 2024 (n° 21/05007) : arrêt attaqué par l’employeur devant la Cour de cassation.
Cour de cassation, 10 décembre 2025 : rejet du pourvoi.
Limite de traçabilité : la décision publiée ne détaille pas (dans les passages accessibles ici) l’issue exacte du litige devant le conseil de prud’hommes ; je n’en ajoute donc aucun élément.
C) Contenu de la décision
1) Premier moyen : harcèlement moral et « méthodes de gestion »
Arguments (employeur, en substance)
L’employeur soutient que les pratiques managériales concerneraient l’organisation globale et qu’il faudrait démontrer que la salariée a été personnellement visée pour qualifier un harcèlement moral.
Raisonnement de la Cour
La Cour pose d’abord la règle : tous agissements répétés entrant dans la définition de l’article L. 1152-1 peuvent caractériser un harcèlement, sans distinguer selon qu’ils seraient « décidés et mis en œuvre à l’égard d’un salarié déterminé » ou non.
Elle approuve ensuite la cour d’appel, qui a constaté que les méthodes de gestion appliquées ont eu pour objet/effet une dégradation des conditions de travail et répondaient aux critères du harcèlement moral.
Solution
Rejet : le harcèlement moral peut être retenu même sans “ciblage personnel”, dès lors que les conditions légales sont réunies.
2) Second moyen : vie privée, secret médical et nullité du licenciement
Faits déterminants retenus
La cour d’appel a relevé (et la Cour de cassation reprend) que l’employeur :
a contacté le médecin traitant,
a obtenu des renseignements sur la pathologie et les propos en consultation,
a utilisé ces informations pour reprocher une démarche médicale à la salariée,
et que le licenciement était fondé même en partie sur ces informations couvertes par le secret médical.
Raisonnement de la Cour
Secret médical : la Cour énonce qu’il résulte des textes (dont l’article L. 1110-4 CSP et l’article R. 4127-4 CSP) que le secret médical couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin (confié, vu, entendu, compris) et que tenter d’obtenir ces informations en violation de ce secret est pénalement sanctionné.
Vie privée du salarié : elle rappelle que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de sa vie privée, incluant son état de santé et ses relations avec son médecin traitant.
Solution
Licenciement nul : dès lors qu’il est fondé, même partiellement, sur des informations couvertes par le secret médical obtenues par l’employeur, il porte atteinte à une liberté fondamentale (vie privée).
3) Références juridiques
3.1 Jurisprudence
Cass. soc., 10 déc. 2025, n° 24-15.412 (rejet)
Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321 (rejet, publié au bulletin)
Cass. soc., 1 mars 2011, n° 09-69.616 (cassation, publié au bulletin)
Cass. soc., 22 oct. 2014, n° 13-18.862 (rejet, publié au bulletin)
Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 23-11.860 (rejet, publié au bulletin)
Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 22-20.672 (cassation partielle sans renvoi, publié au bulletin)
.
Remarque de méthode : l’arrêt 2025 lui-même constitue la base de l’analyse (motifs et dispositif). Les arrêts ci-dessus sont cités comme décisions proches sur l’objet (harcèlement / vie privée), sans ajout non sourcé sur leur portée exacte.
3.2 Textes légaux
Code du travail – Article L. 1152-1 (harcèlement moral)
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Code du travail – Article L. 1121-1 (proportionnalité des restrictions)
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Code civil – Article 9 (vie privée)
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
DDHC 1789 – Article 2 (droits naturels)
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
Code de la santé publique – Article L. 1110-4 (secret des informations – version accessible)
Convention EDH – Article 8
Code de la santé publique – Article R. 4127-4
4) Analyse juridique approfondie
A) Harcèlement moral : la confirmation d’un critère “objectif”
Ce qui ressort nettement de l’arrêt, c’est que la Cour retient une approche fonctionnelle : on regarde l’effet (dégradation des conditions de travail) et la répétition, non l’intention ni le fait d’avoir “choisi une cible”.
Conséquence pratique : une politique d’objectifs, de reporting, de pression, de moyens insuffisants, peut entrer dans le champ du harcèlement moral si, concrètement, elle dégrade les conditions de travail au sens de L. 1152-1.
B) Vie privée / santé : la frontière “médecin traitant ↔ employeur” est infranchissable
La Cour rattache l’état de santé et la relation au médecin traitant à la vie privée, et traite cette protection comme une liberté fondamentale.
Le point le plus fort est la formule “même en partie” : dès qu’un licenciement s’appuie ne serait-ce qu’en partie sur des informations couvertes par le secret médical obtenues par l’employeur, la sanction est maximale : nullité.
5) Critique de la décision
Principe harcèlement : absence de distinction « ciblé / non ciblé » dans le raisonnement.
Principe vie privée : état de santé + relation médecin traitant protégés ; utilisation d’infos couvertes → nullité.
Vous n’avez pas à prouver que “tout était contre vous” : l’important est la répétition et l’impact sur vos conditions de travail.
Votre médecin traitant n’est pas un “canal RH” : si l’employeur obtient et exploite des infos médicales, le licenciement peut être annulé.
6) Conclusion et accompagnement
Cette analyse (droit du travail) est offerte par la SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire.
Si vous êtes confronté(e) à une situation similaire (pression managériale, atteinte à votre santé, confusion entre médecine du travail / médecin traitant / employeur), l’enjeu est souvent de sécuriser les preuves et la stratégie procédurale dès le départ.
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