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Droit d’alerte CSE : BDESE hors L.2312-59 et syndicat recevable (Cass. 2025)

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Droit d’alerte CSE : BDESE hors L.2312-59 et syndicat recevable (Cass. 2025)
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Installée 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire, la SELARL PHILIPPE GONET intervient notamment en droit social et en contentieux nécessitant une lecture fine des règles procédurales (procédures accélérées, astreintes, écritures, etc.). 


Dans le contexte de cet arrêt (droit d’alerte CSE, harcèlement allégué, articulation avec la BDESE), l’intérêt pratique est évident : choisir la bonne voie (droit d’alerte / information-consultation / entrave / référé…) et sécuriser la recevabilité des demandes.

1) Résumé 

Parties :

Demandeurs au pourvoi : M. [D], membre de la délégation du personnel au CSE, et le syndicat CGT Commerce Sedifrais Montsoult.

Défenderesse : SNC Sedifrais Montsoult Logistic.

Juridiction  : Cour de cassation, chambre sociale (formation de section), 3 décembre 2025, n° 24-10.326, publié au Bulletin, ECLI:FR:CCASS:2025:SO01159. 

Nature du litige :

Un élu CSE déclenche un droit d’alerte “atteinte aux droits des personnes” (L. 2312-59 c. trav.) après la production, en prud’hommes, d’un document présenté comme un “avenant” qui serait un faux ; il évoque aussi, “en parallèle”, l’absence d’accès à la BDESE. L’employeur conteste que la situation relève de L. 2312-59. Le CSE (via l’élu) et le syndicat saisissent ensuite le conseil de prud’hommes en procédure accélérée au fond.

Effet direct de la décision (apports majeurs) :

Les demandes liées à l’accès / contenu de la BDESE ne relèvent pas du champ de l’article L. 2312-59 : irrecevabilité sur ce point confirmée. 

Un syndicat est recevable à se joindre à l’action fondée sur L. 2312-59 : l’atteinte aux droits des personnes / à la santé / aux libertés dans l’entreprise porte atteinte à l’intérêt collectif. 

L’alerte n’étant soumise à aucun formalisme, le courrier d’alerte ne fixe pas les limites du litige : l’élu peut invoquer la situation d’autres salariés que ceux nommés dans le courrier. 

L’action L. 2312-59 n’est pas subordonnée à l’absence d’action prud’homale du salarié concerné. Cour de Cassation
Sur la demande de dommages-intérêts, la Cour sanctionne une méconnaissance des termes du litige (CPC art. 4). 

2) Analyse détaillée

2.1 Les faits 

27 avril 2021 : M. [D] (élu CSE) et deux autres membres de la délégation exercent le droit d’alerte L. 2312-59. Ils dénoncent :

la production par l’employeur, en procédure prud’homale initiée par un salarié (M. [B]) pour un repositionnement conventionnel, d’un document “avenant” qui se serait révélé être un faux ;

une dégradation des conditions de travail, un harcèlement moral allégué touchant “de nombreux salariés” ;

et ils ajoutent qu’au regard de l’absence d’accès à la BDESE, une réunion extraordinaire du CSE serait opportune “en parallèle” de l’alerte. 

11 juin 2021 : l’employeur répond que la situation ne rentre pas dans L. 2312-59. Cour de Cassation

29 juin 2021 : saisine prud’homale (procédure accélérée au fond). Demandes (sous astreinte) : retrait de l’avenant litigieux de toute procédure, mesures disciplinaires / d’enquête, mesures pour faire cesser le harcèlement allégué, et demandes relatives à la BDESE (création, justification, compléments d’informations, égalité F/H, rémunérations…). 

2.2 La procédure

Conseil de prud’hommes (procédure accélérée au fond) : décision non reproduite dans le PDF, mais la cour d’appel reprendra des motifs ayant conduit à des irrecevabilités sur plusieurs demandes.

Cour d’appel de Versailles, 26 oct. 2023 (décision attaquée) :

déclare irrecevables (tout ou partie) des demandes du membre CSE et du syndicat sur divers fondements (périmètre de l’alerte, action syndicale, etc.). 

Cour de cassation, 3 déc. 2025 : cassation partielle et renvoi. 

2.3 Contenu de la décision (arguments, raisonnement, solution)

A) BDESE : hors champ du droit d’alerte L. 2312-59

Question : peut-on utiliser L. 2312-59 (atteinte aux droits des personnes) pour obtenir l’accès / la mise à jour / le contenu de la BDESE ?

Réponse : non. La Cour déduit des articles L. 2312-18 et L. 2312-36 (ancienne rédaction) et L. 2312-59 que les demandes BDESE n’entrent pas dans les prévisions de L. 2312-59 ; la cour d’appel a “retenu à bon droit” l’irrecevabilité de ces demandes. 

Portée pratique : si l’objectif principal est “BDESE / informations / accès”, il faut changer de fondement (sinon risque d’irrecevabilité).

B) Recevabilité du syndicat aux côtés de l’élu CSE

Question : un syndicat peut-il intervenir aux côtés de l’élu qui agit sur L. 2312-59 ?
Réponse : oui. La Cour articule L. 2132-3 (action pour l’intérêt collectif) et L. 2312-59 : l’atteinte aux droits/santé/libertés des salariés porte préjudice à l’intérêt collectif, donc le syndicat est recevable à se joindre. 

C) Le courrier d’alerte ne “verrouille” pas le litige

Question : la lettre d’alerte fixe-t-elle les limites du litige et interdit-elle d’évoquer d’autres salariés que ceux nommés ?
Réponse : non. L’alerte n’est soumise à aucun formalisme : l’écrit n’enferme pas le contentieux. L’élu peut donc invoquer la situation d’autres salariés concernés par le harcèlement allégué. 

D) L’action L. 2312-59 n’est pas bloquée par une action individuelle du salarié

Question : si le salarié concerné a déjà saisi les prud’hommes, l’élu CSE est-il irrecevable ?
Réponse : non. La Cour juge que le droit d’alerte n’est pas subordonné à l’absence d’action prud’homale du salarié. 

E) Avertissement écrit / absence d’opposition : contrôle de la preuve + dénaturation

La Cour censure l’arrêt d’appel pour avoir considéré que l’élu ne justifiait pas avoir averti le salarié, alors que des pièces mentionnées établissaient l’accord / l’absence d’opposition : elle vise l’interdiction de dénaturer l’écrit soumis. 

F) Dommages-intérêts : méconnaissance des termes du litige
La Cour casse sur le fondement du CPC, art. 4, en reprochant à la cour d’appel d’avoir déclaré la demande irrecevable tout en ignorant que les demandeurs développaient, dans le corps de leurs conclusions, la base et les raisons de la demande indemnitaire.

Dispositif
Cassation partielle (avec maintien de certains points sur la procédure d’appel), renvoi devant la cour d’appel de Versailles autrement composée, dépens et 3 000 € au titre de l’article 700 CPC. 

3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence

Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-10.326

Cass. soc., 9 nov. 2022, n° 21-16.230, 

Cass. soc., 4 oct. 2023

Cass. soc., 26 févr. 2025,

3.2 Textes légaux 

L’arrêt vise notamment L. 2312-59, L. 2312-18, L. 2312-36 (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021), L. 2132-3, et le CPC (art. 4, 954, 450, 700). 


4) Analyse juridique approfondie – décryptage et cohérence d’ensemble

4.1 La frontière “droit d’alerte” vs “BDESE”

L’apport le plus sécurisant pour la pratique est la cloison posée :

L. 2312-59 = outil judiciaire pour faire cesser une atteinte aux droits / santé / libertés ;
BDESE = un autre régime d’accès / de contenu, au bénéfice des élus CSE et des DS, qui ne bascule pas automatiquement dans L. 2312-59. 

Conséquence directe : une stratégie “tout-en-un” (harcèlement allégué + BDESE) exposera à une irrecevabilité partielle si les demandes BDESE sont plaidées comme une atteinte aux droits des personnes au sens de L. 2312-59.

4.2 L’action syndicale “aux côtés”, sans confisquer l’action

La Cour fonde la recevabilité du syndicat sur un raisonnement simple : l’atteinte aux droits/santé/libertés des salariés dans l’entreprise porte aussi sur l’intérêt collectif. 

Cette logique est cohérente avec l’idée, visible dans d’autres contentieux sociaux, que le sort d’un représentant/collectif peut ouvrir un volet “intérêt collectif”, mais seulement si la caractérisation du manquement est juridiquement posée (ex. : le rejet d’une demande syndicale si l’entrave n’est pas retenue).

4.3 Absence de formalisme : la lettre d’alerte ne “fige” pas le dossier

C’est un message fort : en l’absence de formalisme imposé par L. 2312-59, le courrier d’alerte n’est pas une “assignation” et ne réduit pas l’office du juge à ce qui y est listé. 

En pratique, cela protège l’élu (et, par ricochet, les salariés) contre une défense purement formaliste de l’employeur (“vous n’avez cité que X et Y, donc Z est hors litige”).

4.4 Coexistence des actions : salarié et élu peuvent agir

La Cour neutralise l’argument “le salarié a déjà saisi, donc l’élu n’a plus qualité”. 

C’est important, car le droit d’alerte vise aussi une logique collective et préventive (enquête, mesures pour remédier), là où l’action du salarié peut viser sa situation individuelle.

5) Accompagnement personnalisé

Cette analyse porte sur du droit social (CSE / droit d’alerte) : la présente analyse est offerte par la SELARL PHILIPPE GONET

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