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Délaissement parental : l’intérêt de l’enfant prime sur l’« empêchement » des parents

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Délaissement parental : l’intérêt de l’enfant prime sur l’« empêchement » des parents
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La SELARL PHILIPPE GONET, avocat à Saint-Nazaire (2 rue du Corps de Garde, 44600), accompagne les familles et proches confrontés à des situations sensibles : autorité parentale, protection de l’enfance, séparation, contentieux connexes.

1) Résumé

Parties

Demandeur au pourvoi : Conseil départemental des Ardennes

Défendeurs : la mère, le père, et l’UDAF (tutrice / tuteur)

Juridiction : Cour de cassation, 1re chambre civile (formation de section), 10 décembre 2025, pourvoi n° 24-18.849, arrêt n° 802 FS, publié au Bulletin, ECLI:FR:CCASS:2025:C100802

Nature du litige
Déclaration judiciaire de délaissement parental : portée de la condition “sans empêchement… quelle qu’en soit la cause” au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant


Effet direct (apport de l’arrêt)
La Cour de cassation juge qu’une requête en délaissement parental ne peut pas être rejetée au seul motif qu’il existerait un empêchement des parents, sans que le juge apprécie concrètement l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est primordial

Conséquence pratique : l’“empêchement” (ici, tutelle / déficiences) n’est pas un couperet automatique ; il doit être mis en balance avec l’intérêt de l’enfant.

2) Analyse détaillée

A. Les faits 

12 avril 2017 : naissance de l’enfant.

26 novembre 2018 : requête du président du Conseil départemental des Ardennes aux fins de délaissement parental à l’égard du père et de la mère.

Les parents sont placés sous tutelle (UDAF) ; la cour d’appel relève l’existence de déficiences mentales.

La cour d’appel constate aussi que l’intérêt actuel de l’enfant est de se projeter avec des repères stables (famille d’accueil), et que la présence des parents serait plutôt un facteur de perturbation.

Limite de vérifiabilité : le texte publié ne précise pas (ex.) la date du placement, la durée exacte de la séparation, les modalités de visites, ni les actions/inactions concrètes des parents. Ces données ne peuvent pas être ajoutées sans source officielle accessible.


B. La procédure 
Cour d’appel de Reims, 5 avril 2024 : arrêt attaqué (rejette la demande de délaissement).

Pourvoi : formé par le Conseil départemental des Ardennes.

Cour de cassation, 10 décembre 2025 : cassation totale et renvoi devant la cour d’appel de Paris.

C. Contenu de la décision

1) Arguments des parties

Le Conseil départemental soutient notamment que :

l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 §1 CIDE) est une norme “supralégale” ;

la cour d’appel, après avoir constaté que l’intérêt de l’enfant est du côté de la stabilité (famille d’accueil), ne pouvait rejeter la demande en se fondant sur l’absence d’“élément intentionnel” du délaissement.

2) Raisonnement de la Cour de cassation

La Cour :

rappelle la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 §1 CIDE)

rappelle la définition du délaissement (art. 381-1 C. civ.) : absence de relations nécessaires pendant l’année précédant la requête, “sans que [les parents] en aient été empêchés…”

explique (travaux parlementaires) que la loi du 14 mars 2016 a voulu remplacer la notion trop restrictive d’“abandon” (ancien art. 350) par un critère objectif, recentré sur l’intérêt de l’enfant

en déduit que le juge peut prononcer le délaissement après une appréciation d’ensemble, notamment des causes ayant empêché les relations, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant

et surtout : on ne peut pas rejeter une requête au seul motif d’un empêchement (quelle qu’en soit la cause) sans prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

3) Solution

Cassation de l’arrêt d’appel, pour défaut de base légale : la cour d’appel a raisonné en se focalisant sur l’“élément intentionnel” et l’empêchement, sans égard au caractère primordial de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Renvoi devant la CA de Paris.


3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Décision analysée

Cass. civ. 1re (formation de section), 10 déc. 2025, n° 24-18.849, ECLI:FR:CCASS:2025:C100802

Jurisprudence antérieure directement mobilisable sur le même objet (abandon/délaissement – élément volontaire / empêchement)

Cass. civ. 1re, 30 nov. 2022, n° 21-12.069 (délaissement parental – art. 381-1)

Avis Cass. civ. 1re, 13 juin 2019, n° 15006 (délaissement parental – art. 381-1 / 381-2)

Cass. civ. 1re, 3 déc. 2014, n° 13-25.480 (ancien art. 350 – abandon / désintérêt)

Cass. civ. 1re, 23 nov. 2011, n° 10-25.012 (ancien art. 350 – abandon / empêchement)

Cass. civ. 1re, 8 mai 1979, n° 78-11.010 (ancien art. 350 – “involontaire”)

Cass. civ. 1re, 3 oct. 1978, n° 77-12.903 (ancien art. 350 – actes insuffisants)

Référence CEDH citée dans l’arrêt 2025 : Zambotto Perrin c. France (n° 4962/11).

3.2 Textes légaux 

1) Code civil – article 381-1 (version en vigueur depuis le 16 mars 2016) 

« Un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l'année qui précède l'introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés par quelque cause que ce soit. » 

2) Code civil – article 381-2 (version en vigueur depuis le 1er janvier 2020) 

« Le tribunal judiciaire déclare délaissé l'enfant recueilli par une personne, un établissement ou un service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui se trouve dans la situation mentionnée à l'article 381-1 pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration judiciaire de délaissement parental.

La demande en déclaration de délaissement parental est obligatoirement transmise, à l'expiration du délai d'un an prévu à l'article 381-1, par la personne, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant, après que des mesures appropriées de soutien aux parents leur ont été proposées. (…)

La simple rétractation du consentement à l'adoption, la demande de nouvelles ou l'intention exprimée mais non suivie d'effet de reprendre l'enfant ne constituent pas un acte suffisant (…) et n'interrompent pas le délai (…)

Le délaissement parental n'est pas déclaré si (…) un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.

Le délaissement parental peut être déclaré à l'endroit des deux parents ou d'un seul.

(…) La tierce opposition n'est recevable qu'en cas de dol, de fraude ou d'erreur sur l'identité de l'enfant. » 

3) Convention relative aux droits de l’enfant – article 3 § 1 (texte publié au JO) 

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » Légifrance

4) Analyse juridique approfondie

A. Ce que tranche vraiment l’arrêt du 10 décembre 2025

L’arrêt ne “supprime” pas la clause d’empêchement de l’article 381-1. Il dit autre chose, plus structurant :

Le délaissement parental est un mécanisme centré sur l’enfant : le juge doit raisonner à partir de l’intérêt supérieur, apprécié concrètement.

L’“empêchement” (quelle qu’en soit la cause : maladie, tutelle, incarcération, etc.) doit être analysé, mais n’autorise pas un rejet automatique si le maintien du lien parental est contraire à l’intérêt de l’enfant.

Le raisonnement de la cour d’appel, centré sur un “élément intentionnel”, est censuré : la loi de 2016 a justement voulu sortir de l’exigence trop restrictive du “volontaire”.

B. Mise en perspective : continuité et rupture avec l’ancien “abandon” (art. 350)

Avant 2016, l’ancien art. 350 (déclaration judiciaire d’abandon) avait donné lieu à une jurisprudence souvent analysée comme exigeant un désintérêt “volontaire” ou, à tout le moins, discutant finement les situations d’empêchement. Plusieurs arrêts anciens l’illustrent (1978, 1979, 2011, 2014). 

La loi de 2016 (création de 381-1) a visé un critère objectif, mais l’arrêt de 2025 précise comment l’objectivité se concilie avec la protection des parents vulnérables : pas par un automatisme, mais par une mise en balance guidée par l’intérêt supérieur de l’enfant.

C. Conséquences pratiques

Pour l’ASE / le département : documenter non seulement l’absence de relations, mais aussi l’impact concret sur l’enfant (stabilité, repères, souffrance, besoins) et les mesures de soutien proposées. (La logique de 381-2 y renvoie.) 

Pour les parents sous tutelle / vulnérables : l’“empêchement” doit être expliqué et prouvé, mais il ne suffira pas si l’intérêt de l’enfant appelle une sécurisation forte.

Pour le juge : motivation renforcée : l’arrêt exige un vrai raisonnement “intérêt supérieur” et proscrit le rejet “au seul motif” de l’empêchement.


5) Critique de la décision 

Le “verrou” est levé : la tutelle/handicap n’impose pas une solution unique ; la boussole est l’enfant.

6) Accompagnement personnalisé (droit de la famille)

Si vous êtes parent, membre de la famille, famille d’accueil, ou si vous intervenez pour un enfant (ASE, tuteur, proche), la SELARL PHILIPPE GONET à Saint-Nazaire peut vous aider à :

analyser la recevabilité et la stratégie (délaissement, délégation d’autorité parentale, voies alternatives),
constituer un dossier orienté “intérêt supérieur de l’enfant” (preuves, chronologie, pièces),
préparer l’audience et sécuriser la motivation attendue à la lumière de l’arrêt du 10 décembre 2025.


Si vous le souhaitez, décrivez-moi en 8–10 lignes votre situation (dates clés, qui fait quoi, où en est la procédure) : je vous propose une checklist de pièces et les axes juridiques à prioriser.

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