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CSE – Expertise “risque grave” : contrôle du juge (Cass. soc., 1er oct. 2025,)

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CSE – Expertise “risque grave” : contrôle du juge (Cass. soc., 1er oct. 2025,)
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1) Résumé 

Parties :

— Demandeurs au pourvoi : SAS Addhoc Conseil (cabinet d’expertise) & CSE de l’établissement “Direction opérationnelle Ouest” d’Adecco France.

— Défenderesses : SAS Adecco France & Mme [D] [X], en qualité de présidente du CSE.

Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale — arrêt de cassation (inédit), ECLI: FR:CCASS:2025:SO00907, 1er octobre 2025, n° 23-23.915. Décision attaquée : TJ de Nantes, 14 déc. 2023. Renvoi : président du TJ de Saint-Nazaire.

Nature du litige : validité d’une délibération du CSE décidant une expertise “risque grave” (art. L. 2315-94, 1°, C. trav.), désignant Addhoc Conseil.

Portée immédiate : la chambre sociale censure le jugement qui avait annulé la délibération au motif que (i) les analyses demandées « relevaient du pouvoir d’enquête » du CSE et (ii) un droit d’alerte “danger grave et imminent” (DGI) était encore en cours.

Motif décisif : ni l’existence des pouvoirs propres d’enquête du CSE ni la mise en œuvre d’un DGI antérieur ne font obstacle, à elles seules, à l’exercice de la prérogative d’expertise “risque grave” ; le juge devait rechercher si les faits caractérisaient un risque grave, identifié et actuel à la date de la délibération.


2) Analyse détaillée

Les faits 

26 sept. 2023 : le CSE d’Adecco France (établissement Ouest) vote une expertise pour risque grave et désigne le cabinet Addhoc Conseil. Les motifs évoquent notamment souffrance au travail, effectifs “au plus juste”, gestion réactive, atteinte à la santé physique et mentale.

5 oct. 2023 : assignation de la société et de la présidente du CSE devant le TJ de Nantes pour obtenir l’annulation de la délibération.

14 déc. 2023 : TJ de Nantes (procédure accélérée au fond) annule la délibération, retenant que la mission confiée « relevait du pouvoir d’enquête du CSE » et que le contexte était marqué par un DGI déclenché en 2021, « toujours en cours ».

La procédure

Pourvoi des demandeurs (CSE & Addhoc).

Arrêt du 1er oct. 2025 : cassation totale, renvoi devant le président du TJ de Saint-Nazaire.

Contenu de la décision

Arguments (moyen) des demandeurs :

Le juge devait apprécier si les éléments établissaient un risque grave, identifié et actuel (art. L. 2315-94, 1°), et non écarter l’expertise parce que le CSE aurait « érigé des considérations en constat ».

Confondre expertise “risque grave” et pouvoir d’enquête (art. L. 2312-13) est une fausse application : l’un n’exclut pas l’autre.

L’existence d’un DGI n’empêche pas, en soi, de décider une expertise.

Raisonnement de la Cour :

— Visa : art. L. 2315-94, 1°, C. trav. (CSE → expert habilité « lorsqu’un risque grave, identifié et actuel … est constaté dans l’établissement »).

— Censure pour motifs inopérants :

Le fait que la mission demandée à l’expert recoupe des éléments d’enquête du CSE n’empêche pas l’expertise « risque grave ».
La présence d’un DGI en cours n’empêche pas le recours à l’expertise.

— Office du juge : il devait rechercher, à la date de la délibération, si les faits invoqués par le CSE caractérisaient un risque grave, identifié et actuel. À défaut, violation de l’art. L. 2315-94, 1°.

Solution : Cassation — dépens contre Adecco ; 3 000 € au titre de l’art. 700 CPC en faveur du CSE & d’Addhoc ; renvoi devant le président du TJ de Saint-Nazaire.


3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 


Cass. soc., 1er oct. 2025, n° 23-23.915, inédit, cassation — Adecco / CSE & Addhoc

Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-18.413, inédit, cassation (Électricité de Mayotte) — le juge doit contrôler la réalité des motifs invoqués dans la délibération du CSE et leur actualité.

Cass. soc., 18 mai 2022, n° 20-23.556, inédit, cassation (Safran Helicopter Engines) — charge de la preuve du risque grave sur le CSE ; le juge doit apprécier la réalité du risque et son actualité.

Cass. soc., 27 mai 2021, n° 19-24.344, inédit, rejet (Hôpital privé [Établissement 1]) — rappel de l’exigence d’un risque “identifié et actuel” à la date de la délibération.

(Antériorité CHSCT) Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-21.523, inédit, rejet (Auchan) — notion de “risque grave” sous l’art. L. 4614-12 (CHSCT), déjà compris comme “actuel et avéré”.


3.2 Textes légaux 

Code du travail, art. L. 2315-94, 1° (version en vigueur depuis le 25 août 2021 – loi n° 2021-1104 du 22 août 2021) — citation :
« Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État : 1° Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ; (…) ».

4) Analyse juridique approfondie

a) Principe réaffirmé

La décision du 1er oct. 2025 s’inscrit dans une ligne constante : l’expertise “risque grave” suppose un risque identifié et actuel à la date de la délibération ; le juge du fond doit apprécier la réalité de ce risque au vu d’éléments objectifs. Sont inopérants :

l’argument tiré de la redondance avec le pouvoir d’enquête du CSE (art. L. 2312-13),
la simple existence d’un DGI antérieur et encore en cours.
La Cour censure le juge qui s’abstient de vérifier le contenu matériel des faits au jour du vote.

b) Articulation avec la jurisprudence antérieure

2014 (CHSCT) : le « risque grave » est déjà un risque actuel et avéré (pré-CSE). 
2019–2021–2022–2024 (CSE) : la Cour précise trois axes :

Temporalité : le risque doit être actuel au jour de la délibération (2021).

Preuve & office du juge : la preuve incombe au CSE ; le juge doit apprécier la réalité et l’actualité du risque (2022, 2024). 

Pertinence des motifs : le juge ne peut substituer d’autres événements non visés par la délibération (2024). 

2025 (présent arrêt) : clarification procédurale supplémentaire : ni les pouvoirs d’enquête du CSE ni un DGI en cours ne peuvent, en soi, barrer l’accès à l’expertise “risque grave” ; le contrôle demeure centré sur la qualification du risque à la date du vote.

c) Conséquences pratiques

Pour les CSE : soigner la délibération (faits précis, indicateurs objectivés, rattachement aux atteintes santé/sécurité, datation contemporaine du vote).

Pour l’employeur : la contestation doit viser la matérialité et l’actualité des éléments (contre-indicateurs, mesures correctrices effectivement mises en œuvre avant la délibération). Les objections procédurales type « pouvoir d’enquête » ou « DGI en cours » sont insuffisantes.

Pour le juge : contrôle ex acting (au jour de la délibération), au regard des faits invoqués par le CSE dans cette délibération, sans les remplacer.

5) Critique de la décision
 l’arrêt 2025 confirme la cohérence d’ensemble (2014 → 2024 → 2025) : risque grave = identifié & actuel, preuve par le CSE, office du juge exigeant.


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La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

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