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Introduction
Un précédent article a suscité beaucoup de réactions
Le présent article a pour objet d'approfondir les éléments précédemment cités.
Le contentieux en matière de responsabilité des constructeurs impose une maîtrise rigoureuse des délais applicables. Ces délais se divisent en deux grandes catégories : les délais d’épreuve, qui sont des délais de garantie, et les délais d’action, qui conditionnent la recevabilité des actions judiciaires. L’article précise les régimes applicables, leurs différences essentielles, les difficultés jurisprudentielles ainsi que leurs conséquences pratiques.
1. Délais d’épreuve : délais de garantie impératifs et intangibles
Les délais d’épreuve sont des délais durant lesquels les désordres doivent se manifester pour ouvrir droit à garantie. Ils sont d’ordre public, non interruptibles et non suspendables, et marquent l’extinction du droit lui-même (et non de l’action).
Délais principaux :
1 an pour la garantie de parfait achèvement (art. 1792-6 C. civ.)
2 ans pour la garantie biennale des éléments d’équipement (art. 1792-3 C. civ.)
10 ans pour la garantie décennale (art. 1792, 1792-4-1 à 1792-4-3 C. civ.)
Les désordres doivent être d’une gravité suffisante (atteinte à la solidité ou impropreté à la destination) avant l’expiration du délai.
Deux tempéraments jurisprudentiels :
Désordres futurs et certains :
leur apparition dans le délai est certaine, même si leurs effets ne sont pas encore visibles
Désordres évolutifs :
ils doivent avoir été dénoncés et caractérisés dans le délai comme appartenant à la même cause technique
Il faut que les désordres initiaux aient été judiciairement dénoncés avant l’expiration du délai de garantie et aient présenté la condition de gravité de l’article 1792 dans le délai décennal.
En revanche, de simples désordres esthétiques ou non démontrés dans le délai d’épreuve restent exclus du champ des garanties légales.
2. Délais d’action : forclusion ou prescription ?
Une fois le désordre survenu dans le délai d’épreuve, l’action judiciaire pour obtenir indemnisation doit être engagée dans un délai d’action.
Ce dernier peut relever :
soit de la prescription (interrompue ou suspendue),
soit de la forclusion (souvent d’ordre public, et donc plus stricte).
Règles générales :
L’article 2224 C. civ. pose une prescription de 5 ans pour les actions personnelles.
Toutefois, certains textes spéciaux fixent des délais de forclusion irréductibles :
Art. 1792-4-1 C. civ. : 10 ans à compter de la réception.
Art. 1792-4-3 C. civ. : forclusion pour les dommages matériels
La Cour de cassation admet que l’action en responsabilité d’un constructeur après réception peut être forclose, même si le désordre est survenu dans le délai d’épreuve, si aucune action n’a été introduite dans le délai d’action.
3. Effets des expertises et des assignations
Il faut distinguer avec précision :
les effets interruptifs ou suspensifs des procédures en référé, notamment lorsqu'une assignation en référé-expertise est délivrée au contradictoire de la partie concernée.
Toutefois, la jurisprudence exige que l’assignation vise clairement la recherche de la responsabilité et non une simple mesure d’instruction sans lien avec l’action au fond.
En matière de forclusion, l’effet interruptif est exclu, sauf texte spécial.
Ainsi, si la demande en référé est introduite dans le seul but de faire désigner un expert, sans assigner le constructeur ou son assureur sur le fond dans le délai d’action, la demande principale sera forclose.
Les effets limités de l’expertise amiable, qui ne constitue pas un acte interruptif, sauf si elle est expressément reconnue par le débiteur de la garantie et que cette reconnaissance est notifiée au maître d’ouvrage dans des termes non équivoques. Il convient d’être particulièrement attentif à la nature de l’écrit invoqué et à son destinataire.
Les conséquences d'une reconnaissance de responsabilité, notamment après expiration du délai.
Seule une reconnaissance claire, expresse, adressée à la victime et portant sur les désordres litigieux peut produire un effet interruptif. À défaut, comme l’a jugé la Cour de cassation dans sa décision du 12 mai 2021 (n° 19-19.378), la forclusion n’est pas interrompue par une déclaration générale ou partielle du constructeur ou de l’assureur.
Ainsi, une expertise judiciaire ou une demande en référé ne suffit pas à interrompre un délai de forclusion, sauf si elle est combinée à une action principale introduite dans les temps ou assortie d’une reconnaissance valable.
Dans une arrêt 2023, il a été considéré qu'une première action en référé portant sur une demande d’expertise, une seconde en inscription d’hypothèque, et la dernière relative au paiement du solde des travaux nez pouvaient être assimilées à une action tendant à l’indemnisation des désordres au titre de la garantie décennale.
Cass. civ 3ème du 8 février 2023, n°21-14.708
4. Jurisprudence clé : Cass. civ. 3e, 12 mai 2021, n° 19-19.378
Dans cette décision, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un maître d’ouvrage qui s’appuyait sur une reconnaissance partielle de responsabilité du constructeur pour étendre la garantie décennale à d’autres désordres :
Le délai de forclusion de 10 ans était expiré.
La reconnaissance ne portait que sur 72 vitrages spécifiques.
La Cour confirme qu’une reconnaissance de responsabilité limitée ne vaut pas renonciation à la prescription pour l’ensemble du sinistre.
Cette décision illustre l’exigence de précision et de rigueur dans l’analyse des actes interruptifs ou de renonciation à la prescription.
5. Enjeux pratiques et recommandations
L’article attire l’attention des praticiens sur les risques de confusion entre délai d’épreuve et délai d’action. Les erreurs les plus fréquentes sont :
Penser qu’une action en référé ne tendant pas à l’indemnisation des désordres interrompt un délai de forclusion (faux).
Croire qu’un désordre similaire ultérieur sera automatiquement couvert s’il est lié à un précédent désordre (faux si l’origine technique n’est pas rigoureusement identifiée).
Ignorer que certaines polices d’assurance, bien qu’obligatoires, contiennent des clauses d’exclusion ou de franchise inopposables aux tiers lésés (cf. art. L. 243-1 C. assur.).
La pratique judiciaire confirme l’importance d’agir rapidement après la réception, de formaliser toute reconnaissance de responsabilité dans un acte clair, et d’engager toute action dans les délais impartis, sans se fier uniquement aux opérations d’expertise.
Conclusion
Le présent article offre une cartographie rigoureuse du droit applicable aux délais en matière de construction. La distinction entre délai d’épreuve (apparition du désordre) et délai d’action (mise en œuvre du droit) est essentielle à maîtriser.
Le régime de forclusion, plus strict que celui de la prescription, s’impose de plus en plus comme la norme pour les actions fondées sur les articles 1792 et suivants du Code civil.
Toute imprécision ou retard dans l’activation de ces délais expose le demandeur à une irrecevabilité totale, malgré l’apparition réelle d’un désordre. Le droit de l’assurance-construction exige donc une extrême vigilance procédurale.
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