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Concubins & prescription : pas de suspension par la vie commune

Le 23 septembre 2025
Concubins & prescription : pas de suspension par la vie commune
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1. Résumé succinct

Parties : M. [F] [P] (demandeur au pourvoi) c/ Mme [L] [B].

Juridiction : Cour de cassation, Première chambre civile, formation restreinte – arrêt de rejet, publié au Bulletin. n° : 10 septembre 2025, n° 24-10.157,

Nature du litige : Créances entre concubins au titre d’un bien indivis (créances de conservation et d’apport) – prescription quinquennale et suspension pour « impossibilité d’agir » (art. 2234 c. civ.).

Effet direct sur la pratique : La Cour écarte l’argument selon lequel le concubinage, en lui-même, constituerait une impossibilité d’agir (force majeure) suspendant la prescription. Confirme une ligne stricte : pas de suspension par simple « impossibilité morale » liée à la vie commune. 

2. Analyse détaillée

Les faits 

25 juin 2002 : Achat en indivision d’un logement par M. P et Mme B, concubins.

Août 2019 : Séparation du couple.

6 mai 2021 : Ouverture judiciaire des opérations de comptes, liquidation et partage ; désignation d’un notaire.

17 octobre 2023 : CA Colmar (5e ch. civ.) déclare prescrites (au-delà du 6 mai 2016) les créances de conservation et la créance d’apport invoquées par M. P.

10 septembre 2025 : Rejet du pourvoi par la 1re civ. (publié). 

La procédure

1re instance / mesures : ouverture des opérations de comptes, liquidation, partage (6 mai 2021).

Appel : Colmar (17 oct. 2023) — prescription des créances nées avant le 6 mai 2016.

Cassation : pourvoi n° 24-10.157, rejet (10 sept. 2025). 

Les prétentions et moyens

M. P (demandeur au pourvoi) : soutenait que, au regard de l’art. 2234 c. civ., la prescription était suspendue durant la vie commune, car il se trouvait dans l’« impossibilité d’agir » contre sa concubine, sinon au péril de sa vie privée et familiale (invocation en outre de l’art. 8 CEDH). 


Mme B (défenderesse) : contestait la suspension, faisant valoir que la vie commune n’a pas les caractères de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité, extériorité) et que M. P pouvait préserver ses droits lors de l’acquisition. 

Le raisonnement de la Cour

Visa : art. 2234 c. civ. — la prescription ne court pas/suspendue en cas d’impossibilité d’agir résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. La Cour énonce que le concubinage, en soi, n’établit pas une telle impossibilité : il ne remplit pas les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité.

Application : La CA a relevé que M. P savait que Mme B avait des revenus moindres dès l’origine ; il pouvait donc « préserver ses droits » lors de l’acquisition (ex. stipulation ou organisation des flux) — la réticence à réclamer pendant la vie commune ne suffit pas.

Art. 8 CEDH : le moyen ne précise aucune incidence concrète des règles de prescription sur la vie privée et familiale de M. P ; grief non fondé.

Solution : rejet du pourvoi, confirmation de la prescription (au-delà du 6 mai 2016). Cour de Cassation


3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 1re, 10 sept. 2025, n° 24-10.157, publié – Rejet : concubinage ≠ impossibilité/force majeure (art. 2234).

Cass. civ. 1re, 10 sept. 2025, n° 24-12.672, F – même jour, même solution (rappel art. 2234).

Cass. civ. 1re, 18 mai 2022, n° 20-22.234, publié (cassation partielle) – interruption : l’assignation en liquidation-partage n’interrompt pas la prescription des créances contre l’indivision sauf si elle contient une réclamation, même implicite.

Cass. civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-21.302, FS-P (rejet) – apport personnel d’un époux séparé de biens finançant la part de l’autre : créance entre époux (non contre l’indivision).

(Les deux décisions de 2021/2022 structurent la matière : nature de la créance et règles d’interruption ; elles éclairent l’arrêt 2025.)

3.2 Textes légaux 

Code civil, art. 2234 (version en vigueur depuis le 19 juin 2008, applicable au litige) :
« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »

Convention européenne des droits de l’homme, art. 8 (vie privée et familiale) – texte officiel (Conseil de l’Europe).

Antécédent procédural lié au même pourvoi : décision QPC incidente du 10 juillet 2024 (n° 24-10.157) — rejet de QPC relatives à l’art. 2236 c. civ. (suspension entre époux/Pacs, pas concubins).

4.  Analyse juridique approfondie

Portée exacte de l’arrêt du 10 septembre 2025

La 1re civ. verrouille la notion d’« impossibilité d’agir » de l’art. 2234 : elle renvoie aux critères stricts de la force majeure. Le concubinage n’est pas un empêchement en soi. Il faut démontrer un événement extérieur, imprévisible et irrésistible empêchant concrètement d’agir (ex. empêchement légal/conventionnel, menace extérieure, etc.). C

Articulation avec les décisions antérieures

Sur la nature et l’interruption :

– 2021 (19-21.302) : recadrage des créances d’apport (plutôt entre personnes que contre l’indivision, en contexte matrimonial). Cette logique inspire la nécessité de bien qualifier la créance (apport vs conservation). 

– 2022 (20-22.234) : l’assignation en partage n’interrompt pas la prescription des créances contre l’indivision à défaut d’une réclamation expresse/implicite. L’arrêt 2025 se place en amont : pas de suspension par « impossibilité » liée à la vie commune ; on retombe donc sur la vigilance : agir à temps ou interrompre correctement.

Conséquences pratiques

Pour les praticiens :

Anticiper dès l’acquisition (convention d’indivision, clauses sur apports, reconnaissances de dettes, organisation des flux).

Interrompre la prescription par une demande en justice contenant explicitement (au moins implicitement) la réclamation des créances (sinon, pas d’effet interruptif – 2022).

Ne pas compter sur une suspension « morale » liée à la vie commune : preuve exigeante d’un empêchement de force majeure sinon rejet (2025). 

5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos dossiers d’indivision (concubins, époux, héritiers) : qualification des créances (apport / conservation), calculs, délais, interruption.
Sécuriser vos actes : conventions d’indivision, reconnaissances d’apport, clauses suspensives d’exigibilité, stratégies d’interruption.
Contentieux : assignations calibrées contenant les réclamations utiles pour interrompre ; défense en prescription

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