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CME et “pages-limit” : la Cour de cassation interdit la radiation

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CME et “pages-limit” : la Cour de cassation interdit la radiation
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1) Résumé succinct

Parties : M. et Mme [M], Mme [X] et Mme [C] [M] (demandeurs au pourvoi) c/ CPAM des Hauts-de-Seine, UCB Pharma SA et Zurich Insurance Public Ltd Company.

Juridiction : Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 juillet 2025, arrêt n° 687 FS-B, pourvoi n° 22-15.342 

Nature : Procédure d’appel – pouvoirs du conseiller de la mise en état (CME) – injonction de réduire les conclusions à 35 pages sous peine de radiation.

Effet sur la pratique : Le CME ne peut pas imposer une limitation quantitative de la longueur des conclusions ni radier pour inobservance d’une telle injonction : une telle mesure méconnaît l’étendue de ses pouvoirs et entrave l’exercice du droit d’appel. Cassation des décisions d’injonction et de radiation ; annulation par voie de conséquence de l’arrêt d’appel au fond ; renvoi devant la CA de Paris. 

2) Analyse détaillée

Les faits

3 juill. 2020 : le CME enjoint aux appelants de synthétiser leurs écritures en de nouvelles conclusions ne dépassant pas 35 pages, sans modifier police, taille ni mise en page, sous peine de radiation dans les 3 mois.

10 sept. 2020 : radiation prononcée pour non-respect de l’injonction.Les appelants ré-introduisent des écritures « conformes » ; la CA de Versailles (27 janv. 2022) statue ensuite au fond. Pourvoi principal + additionnel. 

3 juill. 2025 : la 2e Civ. casse : annule l’injonction (03/07/2020) et l’ordonnance de radiation (10/09/2020), constate l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêt au fond (27/01/2022),
renvoie à la CA de Paris. 

La procédure

Appel des consorts [M] contre UCB/Zurich/CPAM.
Mise en état : injonction de « pages-limit » → radiation.
Arrêt au fond (CA Versailles, 27/01/2022).
Pourvoi (principal, additionnel & incident).
Cassation totale des mesures du CME + annulation par ricochet de l’arrêt au fond ; renvoi. 

Contenu de la décision

Arguments  :

Les demandeurs soutenaient qu’une limitation du nombre de pages n’a aucun fondement textuel dans le CPC ; la radiation prononcée sur ce seul fondement entrave le droit d’appel.

Raisonnement de la Cour :

Une radiation est, en principe, une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours, même pour excès de pouvoir (règle rappelée au visa de l’art. 537 CPC). Mais lorsque la décision du CME méconnaît l’étendue de ses pouvoirs et entrave l’exercice du droit d’appel, la Cour contrôle et censure.

Le CME dispose des pouvoirs (art. 907 CPC) du juge de la mise en état (art. 780 CPC), veillant au déroulement loyal de la procédure et pouvant adresser des injonctions ; en revanche, il ne peut ajouter aux exigences des art. 954 et 961 CPC (structure des conclusions) une limitation comptable de pages ni prononcer une radiation pour cette seule inobservation. 

Solution : Cassation des décisions d’injonction et radiation ; annulation corrélative de l’arrêt au fond ; renvoi. 

3) Références juridiques

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 2e, 3 juill. 2025, n° 22-15.342 (FS-B) — pages-limit & radiation (excès de pouvoir du CME).

Cass. civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301 — Mesures d’administration judiciaire : principe & contrôle en cas d’entrave au droit d’appel (rappelle 2e Civ., 23 sept. 2010).

Cass. civ. 2e, 23 sept. 2010, n° 09-14.864 — Radiation & retrait du rôle : nature administrative — voies de recours.

Cass. civ. 2e, 3 oct. 2024, n° 22-22.942 — Excès de pouvoir : critère d’entrave effective au droit d’appel ; évitement du formalisme excessif (rappel Walchli).

Cass. civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234 ; Cass. civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708 — Impossibilité de déroger par conventions/protocoles aux exigences du CPC (communication électronique ; obligations formelles).

Lettre de la 2e chambre civile, n° 17, sept. 2025 — focus « formalisme excessif » et fiche sur l’arrêt du 3 juill. 2025, n° 22-15.342.

À notre connaissance, aucune décision antérieure de la Cour de cassation publiée n’avait encore tranché expressément la limitation quantitative (nombre de pages) des conclusions et la radiation corrélative. Cette affaire constitue donc un précédent explicite sur ce point précis. (

3.2 Textes légaux 

Art. 913 CPC (ancienne rédaction 2017-2024) — pouvoir d’injonction du CME de mettre les conclusions en conformité avec l’art. 954. 

Art. 954 CPC (version 01/09/2017 → 01/09/2024) — structure des conclusions d’appel ; aucune limitation de longueur. 

Art. 961 CPC (version 2017-2024) — mentions d’en-tête ; identification des écritures. 


Art. 780 CPC — pouvoirs du juge de la mise en état (rendus applicables au CME par l’art. 907). 

Art. 907 CPC — renvoi des pouvoirs au CME ; mission : déroulement loyal, injonctions ; pas de pages-limit. 

Art. 381 & 383 CPC — radiation : nature, régime ; mesure d’administration judiciaire. 

Art. 537 CPC — mesures d’administration judiciaire insusceptibles de recours, fût-ce pour excès de pouvoir (rappelé par l’arrêt). 

Art. 6 § 1 CEDH — droit d’accès au juge / interdiction du formalisme excessif (référencé par la 2e Civ.). 

NB : L’arrêt cite expressément la règle de l’art. 537 CPC et qualifie la radiation d’« mesure d’administration judiciaire », tout en censurant l’injonction “pages-limit” car elle excède les pouvoirs du CME et entrave le droit d’appel ; extraits authentifiés du PDF de l’arrêt.

4) Analyse juridique approfondie

a) Portée du raisonnement

La 2e Civ. articule trois séries de normes :

Pouvoirs du CME (arts. 907 & 780 CPC) : veiller au déroulement loyal, adresser des injonctions de conformité aux textes (954/961).

Radiation (381/383 CPC ; nature administrative, 537 CPC).

Droit d’accès au juge / appel (art. 6 § 1 CEDH ; jurisprudence anti-formalisme excessif).

Conclusion : aucun texte ne permet d’imposer un nombre maximal de pages. Une telle injonction ajoute au CPC et viole la logique de la Charte de présentation des écritures (simple guide non contraignant, sans sanction). 

b) Mise en perspective jurisprudentielle

2017 & 2019 : impossibilité de déroger par convention/protocole aux exigences textuelles (RPVA, etc.).

2020/2010 : radiation = mesure d’administration ; toutefois, contrôle en cas d’atteinte au droit d’appel.

2024 : filtre excès de pouvoir affiné : censure seulement si la mesure entrave réellement le droit d’appel (référence Walchli).

2025 (présent) : première application explicite à une limitation quantitative des écritures : interdiction de la sanction (radiation) pour non-respect d’une pages-limit. 

c) Conséquences pratiques

Pour les CME :

OK : injonctions de mise en conformité (plan 954, identification 961, lisibilité/synthèse recommandées).

Interdit : fixer un maximum de pages (35, 50, etc.) et sanctionner par radiation le non-respect.

Pour les avocats :

La Charte (30/01/2023) encourage la synthèse mais n’ajoute aucune sanction ; elle ne peut pas être utilisée pour justifier une radiation. 

Une radiation fondée sur un non-respect d’une pages-limit est attaquable si elle entrave le droit d’appel (référentiel 2020/2024/2025). 

5) Accompagnement personnalisé

Pour sécuriser vos procédures d’appel, la SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos pratiques de rédaction (conformité 954/961, structure, lisibilité).
Contester toute radiation/injonction irrégulière (mémoire, déféré si ouvert, pourvoi selon les cas).
Former vos équipes aux bonnes pratiques non-contraignantes (Charte) sans prise de risque sur la recevabilité.

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