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CEDH, 9 oct. 2025, X c. Italie : filiation d’intention, adoption et art. 8

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CEDH, 9 oct. 2025, X c. Italie : filiation d’intention, adoption et art. 8
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1)  Résumé 

Parties : X (enfant né en 2018 en Italie), représenté par sa mère biologique C.D.O. ; litige relatif à la filiation avec la mère d’intention M.B. (couple de femmes).

Juridiction : Cour européenne des droits de l’homme, Première section ; arrêt du 9 octobre 2025 ; requête n° 42247/23 ; majorité 6–1 (opinion dissidente de la juge Adamska-Gallant).

Nature du litige : Annulation, par les juridictions italiennes, de la transcription de l’acte de naissance en tant qu’il mentionnait la mère d’intention ; grief tiré de l’article 8 CEDH (vie privée et familiale).

Effet direct de la décision : Pas de violation de l’article 8. La Cour retient que, dans le contexte de la PMA hétérologue entre personnes de même sexe en Italie (alors interdite), l’adoption constituait un mécanisme adéquat et disponible pour établir le lien juridique avec la mère d’intention ; l’État n’a pas manqué à son obligation positive de garantir le respect effectif de la vie privée de l’enfant.

2) Analyse détaillée

Les faits 

2017 (10 avril) : consentement éclairé à l’insémination artificielle déposé dans une clinique à Barcelone (Espagne).

2018 (21 avril) : pacte civil de solidarité entre C.D.O. (mère biologique) et M.B. (mère d’intention).

2018 (30 mai) : naissance de X en Italie. 2018 (8 juin) : transcription par le maire/Officier d’état civil (commune de M.), mentionnant la PMA réalisée à l’étranger et reconnaissance par M.B. ; attribution des deux noms.

2018 (5 oct.) : le procureur requiert l’annulation partielle de la transcription (art. 95 D.P.R. n° 396/2000).

2021 (27 janv.) : Tribunal annule la mention de la mère d’intention ; s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation italienne. 2021 (5 mai) : Cour d’appel confirme (réf. Cass. n° 7668/2020, refus d’ajouter la mère d’intention ; rejet d’une QPC interne).

2023 (2 août) : Cassation italienne (n° 23257) rejette le pourvoi de M.B. : pas d’inscription de la mère d’intention pour un enfant né en Italie d’une PMA hétérologue pratiquée à l’étranger ; voie adéquate = adoption (réf. Cour const. n° 79/2022). Modification ultérieure de l’acte de naissance (date non précisée).

La procédure 

Devant les juridictions italiennes :

1re instance (Tribunal) → annulation ;
Appel → confirmation (référence à Cass. 7668/2020) ;

Cassation (n° 23257/2023) → rejet ; consolidation d’une ligne jurisprudentielle (Cass. 7668/2020, 6383/2022, 7413/2022) refusant l’inscription du parent d’intention, avec adoption comme mécanisme adéquat (art. 44 loi n° 184/1983).

Devant la CEDH :

Requête du 24 nov. 2023 ; grief art. 8 communiqué au Gouvernement ; autres griefs déclarés irrecevables ; délibéré 9 sept. 2025 ; arrêt 9 oct. 2025.

Contenu de la décision

Arguments du requérant

Annulation = ingérence injustifiée ; perte d’identité et de continuité de la filiation cinq ans après la naissance ; absence de garanties matérielles/éducatives en l’absence de lien juridique ; l’adoption serait incertaine et à l’initiative exclusive du parent adoptant. Référence à l’Avis consultatif CEDH P16-2018-001 (GPA : reconnaissance du lien de l’enfant avec la mère d’intention).

Arguments du Gouvernement

Annulation = correction d’une erreur administrative ; adoption = voie adéquate, disponible et respectueuse de l’intérêt supérieur ; l’instabilité résulte du non-usage de cette voie par la mère d’intention ; identité sociale non compromise (nom, statut civil/nationalité).

Raisonnement de la Cour

Champ : Article 8 applicable (vie privée & familiale) ; examen sous l’angle des obligations positives (mise en place de mécanismes effectifs de reconnaissance à un moment approprié).

Marge d’appréciation : limitée sur le principe de la filiation, plus large sur les modalités (dont adoption).

Droit italien : à la date pertinente, impossibilité d’inscrire la mère d’intention ; évolution majeure avec l’arrêt n° 68/2025 de la Cour constitutionnelle italienne (mai 2025) déclarant inconstitutionnelle l’interdiction de reconnaissance à la naissance de l’enfant par la mère d’intention (PMA à l’étranger conforme).

Pivot : Adoption ouverte bien avant la décision définitive nationale (pratique admise dès 2014 ; consacrée ensuite par Cass. et Cour const.) permettant d’établir le lien juridique avec la mère d’intention ; le non-recours à cette voie a prolongé l’incertitude juridique de l’enfant.

Conséquence : Pas de violation de l’art. 8 : la jouissance effective de la vie familiale n’a pas été interrompue ; l’État n’a pas excédé sa marge d’appréciation. Opinion dissidente : reproche à l’État de ne pas avoir remédié rapidement à la situation d’instabilité créée par l’erreur initiale.

Solution retenue

Recevabilité : oui. Fond : 6–1 → Pas de violation de l’article 8.

3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence citée dans l’arrêt


CEDH, 1re sect., X c. Italie, 9 oct. 2025, req. n° 42247/23 

CEDH – jurisprudence antérieure citée par l’arrêt (exemples) :

Mennesson c. France, 26 juin 2014 ; Labassee c. France, 26 juin 2014 ; D c. France, 16 juill. 2020 ; C.E. et autres c. France, 24 mars 2022 ; Valdís Fjölnisdóttir et autres c. Islande, 18 mai 2021 ; K.K. et autres c. Danemark, 6 déc. 2022 ; R.F. et autres c. Allemagne, 12 nov. 2024 ; Avis consultatif P16-2018-001 (10 avr. 2019). 

3.2 Textes légaux cités (Italie)

D.P.R. n° 396/2000, art. 95 (rectification d’acte d’état civil) — mentionné par l’arrêt. 

Loi n° 40/2004 (PMA) — exclusion PMA pour couples de même sexe et absence d’inscription de la mère d’intention (situation à l’époque). 

Loi n° 184/1983, art. 44 — « adoption dans des cas particuliers » (voie ouverte au parent d’intention). 


4)  Analyse juridique approfondie

Clé de voûte : l’arrêt cimente une distinction désormais classique en contentieux CEDH « filiation d’intention » :

Principe d’un mécanisme de reconnaissance de la filiation exigé (marge réduite) ;

Modalités laissées à l’État (marge plus large) → adoption acceptable si effective et rapide.

Application in concreto : l’Italie offrait déjà, au plus tard à compter de 2014 (pratiques judiciaires), un chemin d’adoption pour le parent d’intention, confirmé par la Cassation et « sécurisée » par la Cour constitutionnelle (y compris la création de liens de parenté avec la famille de l’adoptant). Le non-usage de cette voie a prolongé l’incertitude juridique ; l’État n’est pas fautif.

Évolution interne décisive : Corte cost. n° 68/2025 reconnaît, depuis mai 2025, la reconnaissance à la naissance de la mère d’intention (PMA étrangère conforme) — mais la Cour de Strasbourg, jugeant les faits de l’espèce et la disponibilité antérieure de l’adoption, conclut à l’absence de manquement.

Portée : validation d’un modèle à deux vitesses — adoption comme filet de sécurité suffisant avant la réforme constitutionnelle italienne ; reconnaissance directe après (n° 68/2025).

Pour les praticiens : en contentieux CEDH, documenter l’effectivité (délais/accès) de l’adoption sera déterminant.

5)  Critique de la décision

La solution suit la ligne Mennesson/D/CE : pas d’exigence d’une transcription automatique si un mécanisme alternatif fonctionne. Ici, la Cour sanctionne implicitement la stratégie contentieuse (préférence pour la transcription plutôt que l’adoption).

Equilibre entre intérêt supérieur de l’enfant et marge d’appréciation ; bascule opérée par la réforme constitutionnelle italienne de 2025 (n° 68/2025), postérieure à l’initiation du litige mais non déterminante pour l’issue in concreto.

6)  Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Évaluer vos dossiers PMA/filiation d’intention à l’aune de la voie d’adoption et, depuis 2025 en Italie, de la reconnaissance à la naissance ;

Construire une stratégie contentieuse articulant droit interne, droit européen et preuves d’effectivité (délais, obstacles pratiques) ;

Rédiger conclusions et notes fondées sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la jurisprudence pertinente

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