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CEDH, 11-09-2025, Charki c. France : verbatim d’écoutes et vie privée

Le 05 octobre 2025
CEDH, 11-09-2025, Charki c. France : verbatim d’écoutes et vie privée
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1. Résumé succinct

Parties : Marie-Sophie Charki (requérante) c. France (État défendeur).

Juridiction : CEDH, Cinquième section11 septembre 2025. Req. n° 28473/22. Issue : Non-violation de l’article 8 (4 voix contre 3). / HUDOC

Nature du litige : Publication par Le Monde (avril 2015) d’extraits littéraux de retranscriptions d’écoutes téléphoniques entre la requérante et son père, Claude Guéant (procédures pénales en cours). Atteinte alléguée à la vie privée (art. 8 CEDH).

Effet direct : La CEDH valide la mise en balance opérée par les juridictions françaises : contribution au débat d’intérêt général, licéité des écoutes judiciaires, proportionnalité de la publication (identification et verbatim admis au cas d’espèce). Confirmation du cadre méthodologique (critères Von Hannover/Couderc).

2. Analyse détaillée

Les faits 

15–16 avril 2015 : Le Monde met en ligne puis publie un article titré « Placé sur écoutes, Guéant promet de “ne pas balancer” », reproduisant in extenso des passages d’écoutes judiciaires (2013) incluant des dialogues père/fille (requérante).

22 mai 2015 : Action civile de Mme Charki contre l’éditeur du Monde et deux journalistes (fondements : art. 9 C. civ. et art. 8 CEDH).

21 sept. 2016 : JME (TGI Paris, 17e ch. – presse) : rejet de demandes de production, secret des sources préservé.

24 mai 2017 : TGI Paris déboute la requérante : intérêt général – fiabilité/bonne foi – proportionnalité.

25 sept. 2019 : CA Paris confirme (intérêt général ; requérante « non tierce anodine » ; verbatim et identification justifiés).

8 déc. 2021 : Cour de cassation (1re civ.) rejette le pourvoi : mise en balance concrète conforme aux critères CEDH (contribution au débat public, notoriété, objet, contenu/forme, répercussions). 

11 sept. 2025 : CEDH : non-violation de l’art. 8 (4–3). Opinion dissidente (Pisani, rej. Mourou-Vikström, Elósegui). 

La procédure 

1re instance (TGI Paris, 24.05.2017) : atteinte à la vie privée admise en principe, mais justifiée par l’intérêt général de l’information (affaires publiques/financement Libye/« primes »), licéité des écoutes judiciaires, proportionnalité, bonne foi. Débouté.

Appel (CA Paris, 25.09.2019) : confirmation ; l’article 38, al. 1, loi 1881 prescrit (poursuites réservées au parquet). Identification de la fille et fidélité du verbatim jugées utiles à l’information et proportionnées.

Cassation (1re civ., 08.12.2021) : contrôle de la mise en balance conforme aux critères CEDH ; rejet. Cour de Cassation

CEDH (11.09.2025) : exception de non-épuisement rejetée (la requérante n’avait pas qualité pour actionner l’art. 38 sur poursuites du parquet ; l’action L.141-1 COJ n’aurait pas réparé l’atteinte alléguée) ; grief art. 8 recevable ; au fond, non-violation : balance valide, motifs suffisants/pertinents. / HUDOC

Contenu de la décision CEDH

Arguments de la requérante

Publication non consentie d’échanges intimes ; identification inutile ; absence de contribution réelle au débat public ; diffusion durable en ligne ; manquement des journalistes (publication d’actes de procédure) au regard de l’art. 38 loi 1881.

Arguments du Gouvernement

Ingérence prévue par la loi ; but légitime ; nécessité : affaires d’intérêt général ; requérante non tierce anodine ; verbatim utile à l’authentification et à l’intelligibilité ; écoutes ordonnées par juge (journalisme responsable).

Raisonnement de la Cour

Applicabilité art. 8 : seuil de gravité atteint (identité + relation filiale + large lectorat internet).

Caractère judiciaire des écoutes (distinct des enregistrements clandestins) : élément favorable à la responsabilité journalistique.

Intérêt général : relations politiques/affaires publiques ; propos du père sur ses alliés ; contexte judiciaire hautement médiatique.

Notoriété/comportement : la requérante, bien que non publique, n’est pas “un tiers anodin” compte tenu du contexte et de ses liens d’affaires invoqués dans la procédure interne.

Objet/contenu/forme/répercussions : pas d’éléments sur la vie strictement privée ; identification et retranscription fidèle servaient l’information ; pas d’atteinte à la bonne administration de la justice ; accessibilité en ligne relativisée par le temps écoulé et le caractère limité du préjudice. Conclusion : motifs suffisants/pertinents, non-violation art. 8.

Dissidence (Pisani, rej. Mourou-Vikström, Elósegui) : verbatim non nécessaire ; identification disproportionnée ; article 38 loi 1881 insuffisamment pris en compte ; mise en balance défaillante.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CEDH, 5e sect., 11 sept. 2025, Charki c. France, n° 28473/22 – Non-violation art. 8.

Cass. 1re civ., 8 déc. 2021, n° 20-13.560 – Rejet (vie privée vs liberté d’expression : mise en balance concrète).

CA Paris, 25 sept. 2019 (confirmation TGI, intérêt général, identification/verbatim proportionnés).

TGI Paris, 24 mai 2017 (débouté ; intérêt général ; bonne foi/proportionnalité).

3.2 Textes légaux 

Article 9 du Code civil (« Chacun a droit au respect de sa vie privée… ») – Version en vigueur pendant toute la période :

Article 38, al. 1, loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (interdiction de publier des actes de procédure avant lecture publique ; poursuites réservées au parquet) – Version en vigueur au 24/07/2010 (période des faits) :

Article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire (responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux de la justice) – Version 20/11/2016 (applicable) :


4. Analyse juridique approfondie

Clé de lecture : l’arrêt confirme la primauté de la méthode (balance conforme aux critères CEDH) sur une solution « automatique » pro-vie privée/pro-presse.

1) Contribution au débat d’intérêt général : La Cour valide que l’article portait principalement sur des affaires publiques (financement politique, usage de deniers publics) et sur la réaction d’un acteur public (Guéant). Les extraits litigieux éclairaient le contexte politique ; ils n’exploitaient pas des éléments de la vie strictement intime de la fille.

2) Statut de la personne visée : Sans être « publique », la requérante n’est pas “tiers anodin” : lien familial direct, appartenances/relations d’affaires évoquées en interne, rôle d’interlocutrice dans les échanges révélateurs du contexte politique.

3) Contenu/forme : L’identification et la retranscription fidèle étaient jugées pertinentes ici pour comprendre la spontanéité et la sincérité des propos du personnage public, sans dévoiler des données intimes propres à la requérante.

4) Mode d’obtention : Point sensible. La Cour souligne la licéité judiciaire des écoutes (≠ enregistrements clandestins), paramètre favorable au journalisme responsable – sans valider ni invalider le cheminement des pièces hors dossier (secret des sources).

5) Répercussions / Internet : Temps écoulé + portée concrète limitée du préjudice ; pas d’atteinte à la bonne administration de la justice.

Comparaison antérieure : cohérence avec Von Hannover (n°2), Couderc (critères de balance), Bédat (devoirs de la presse et actes de procédure), Tourancheau/July et Giesbert (article 38 loi 1881 – restriction admise dans une logique de protection du procès équitable ; ici, la CEDH prend acte du régime procédural français : poursuites réservées au parquet).

Point de tension (dissidence) : trois juges estiment que l’identification + le verbatim apportaient peu au débat public et qu’une solution moins intrusive (anonymisation/synthèse) existait, surtout au regard de l’art. 38. Cette lecture rejoint une prudence accrue vis-à-vis des reproductions littérales d’actes/informations d’instruction.

En synthèse : l’arrêt n’ouvre pas un blanc-seing à la reproduction de verbatim d’écoutes ; il valide une balance contextualisée (affaires d’État ; absence d’éléments intimes ; verbatim/identification fonctionnels à l’information).


5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos contenus de presse/communication (risque « vie privée » – art. 9 C. civ. / art. 38 loi 1881).

Sécuriser vos stratégies procédurales (injonctions, référés interdiction/suppression, demandes d’anonymisation).

Plaider la balance art. 8/10 CEDH devant les juridictions civiles/pénales et référer, au besoin, à HUDOC et aux textes officiels.

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