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Cantine pénitentiaire : le CE valide la tarification différenciée (3 oct. 2025)

Le 13 octobre 2025
Cantine pénitentiaire : le CE valide la tarification différenciée (3 oct. 2025)
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1. Résumé succinct

Parties : M. B. A. (requérant) c/ ministre de la justice (administration pénitentiaire).

Juridiction : Conseil d’État, 10e – 9e chambres réunies, lecture du 3 octobre 2025, n° 496063

Nature du litige : Tarification de la cantine pénitentiaire dans un établissement en gestion déléguée (CP Valence) – invocation du principe d’égalité et de l’article 14 CEDH combiné avec P1-1.

Effet direct : Le CE valide le principe d’une tarification différenciée d’un établissement à l’autre, à condition que les prix soient en rapport avec le coût et que l’écart ne soit pas manifestement disproportionné ; l’accord-cadre national applicable aux prisons en régie directe est inapplicable aux établissements en gestion déléguée. 

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits 

29 juillet 2021 : M. A., détenu au CP Valence (gestion déléguée), demande l’alignement des tarifs de cantine sur ceux issus d’un accord-cadre national applicable aux établissements en régie directe. Refus du chef d’établissement le 11 août 2021.

15 septembre 2023 : TA Grenoble (n° 2106909) rejette la demande d’annulation et d’injonction.
8 mars 2024 : CAA Lyon, ordonnance du président de la 4e chambre (n° 23LY03906), rejette l’appel sur le fondement du 6° de l’art. R. 222-1 CJA.

16 juillet / 16 octobre 2024 : Pourvoi sommaire puis mémoire complémentaire devant le CE.

3 octobre 2025 : Conseil d’État – rejet du pourvoi.

2.2 La procédure

1re instance : TA Grenoble – rejet au fond.

Appel : CAA Lyon – ordonnance de rejet R. 222-1 CJA.

Cassation : CE (ch. réunies) – rejet du pourvoi (aucune erreur de droit retenue).

2.3 Contenu de la décision

Arguments

Requérant : violation du principe d’égalité entre détenus (tarifs différents selon les établissements), méconnaissance de l’art. 14 CEDH combiné à P1-1, et méconnaissance de l’accord-cadre national de prix.

Administration : la tarification relève du chef d’établissement (textes du Code pénitentiaire) ; conditions économiques locales et mode de gestion justifient des tarifs distincts.

Raisonnement du Conseil d’État

Cadre organique et matériel

La cantine est une mission non régalienne du service public pénitentiaire (L.1, L.3, L.111-3 CP). 

R.332-33 et D.332-34 CP : la cantine permet l’achat de biens/prestations sous contrôle du chef d’établissement ; les prix sont fixés périodiquement par celui-ci (prise en compte de certains frais). 


Principe d’égalité & différenciations tarifaires

Rappel de la règle Denoyez et Chorques : des tarifs différents pour un même service sont licites si différence de situation appréciable ou nécessité d’intérêt général et proportionnalité des écarts (arrêt de principe). 

Application : le principe d’égalité implique l’accès à des biens comparables mais n’impose pas l’uniformité des tarifs nationaux ; des tarifs différenciés par établissement sont possibles si en rapport avec les coûts et non manifestement disproportionnés.

CEDH art. 14 + P1-1

Distinction non discriminatoire si justification objective et raisonnable + proportionnalité ; conditions remplies au regard des motifs précédents. 

Accord-cadre national (régie directe)

Inapplicable aux établissements en gestion déléguée ; grief écarté. 

Solution

Rejet du pourvoi de M. A. ; pas d’application de L.761-1 CJA.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CE, ch. réunies, 3 oct. 2025, n° 496063 – Cantine pénitentiaire, tarification différenciée admise (proportionnalité & coûts).
 
CE, Sect., 10 mai 1974, “Denoyez et Chorques”, n° 88032 & 88148 – Principe d’égalité et tarifs différenciés des SP.

CE, Sect., 29 déc. 1997, “Commune de Gennevilliers”, n° 157425 – Tarification sociale des conservatoires, contrôle de proportionnalité.

CE, Sect., 29 déc. 1997, “Commune de Nanterre”, n° 157500 – Confirmation (tarification différenciée services culturels).

CAA Paris, 13 juin 2024, n° 24PA00923 – Cantine pénitentiaire : compétences L.111-3 & D.332-34 CP, références au marché/accord d’approvisionnement.

3.2 Textes légaux 

Code pénitentiaire
– Art. L.1 (mission SP pénitentiaire) 

 – Art. L.3 (champ des bénéficiaires) 

 – Art. L.111-3 (externalisation des fonctions non régaliennes) 

 – Art. R.332-33 (objet et contrôle de la cantine) 

 – Art. D.332-34 (fixation périodique des prix par le chef d’établissement) – Lien Légifrance (✅) :

Convention EDH
– Art. 14 (interdiction de discrimination) & P1-1 art. 1 (protection des biens)

4. Analyse juridique approfondie

4.1 Décryptage du raisonnement

Le CE requalifie la cantine comme mission non régalienne du SP pénitentiaire (L.1, L.3, L.111-3), de sorte que les modalités tarifaires relèvent de la gestion (locale) sous contrôle du chef d’établissement (R.332-33, D.332-34).

En matière d’égalité des usagers, le CE transpose la grille Denoyez et Chorques (différence de situation / intérêt général + proportionnalité), déjà assouplie par la jurisprudence Gennevilliers/Nanterre (tarifs modulés/socialisés).

Application in concreto :

Accès comparable aux produits/services = oui ;

Uniformité des tarifs nationaux = non exigée ;

Tarifs différenciés admis si : rapport aux coûts et absence de disproportion manifeste. Légifrance
Le moyen CEDH art.14 + P1-1 est logiquement écarté : la différenciation poursuit un but légitime (conditions économiques et d’approvisionnement locales ; mode de gestion) avec un lien raisonnable de proportionnalité.

L’accord-cadre national (régie directe) est expressément inapplicable en gestion déléguée : aucun alignement obligatoire. 

4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure
Denoyez & Chorques (1974) : socle – dérogation au principe d’égalité admise sous conditions strictes (situation différente / intérêt général / proportionnalité). Le présent arrêt reprend textuellement la formule de principe. 

Gennevilliers & Nanterre (1997) : le CE a ouvert la voie à des modulations tarifaires pour des motifs d’intérêt général (accès aux services, objectifs sociaux) sous contrôle de proportionnalité ; le présent arrêt s’y inscrit, en l’adaptant au contexte carcéral (coûts et approvisionnements). 

Contentieux pénitentiaire récent (CAA 2024) : confirmations infra sur la compétence du chef d’établissement et la référence aux marchés/conditions locales pour fixer les prix. 

Portée pratique

Les prisons en gestion déléguée peuvent diverger des tarifs de régie directe, sans méconnaître l’égalité si elles démontrent :

(i) méthodologie de fixation des prix liée aux coûts (contrats, logistique, marges encadrées),

(ii) écarts non manifestement disproportionnés (comparatifs de marché/documentation interne). 

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