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Bail et redressement : impayés au jour du juge (Cass. com. 10-12-2025)

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Bail et redressement : impayés au jour du juge (Cass. com. 10-12-2025)
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1) Résumé 

Juridiction : Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, 10 décembre 2025, pourvoi n° 24-20.714, arrêt n° 637 F-B, Publié au Bulletin, ECLI:FR:CCASS:2025:CO00637.

Parties : une SCI bailleur (SCI du Roi René) contre la société preneuse (société [Localité 4]) et le mandataire judiciaire.

Nature du litige : résiliation de plein droit d’un bail commercial pour loyers/charges postérieurs au jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire.

Idée-force : le juge saisi d’une demande de constat de résiliation doit vérifier que des loyers/charges postérieurs demeurent impayés au jour où il statue.

Portée pratique immédiate : un paiement intervenu après la requête mais avant la décision ne peut pas être balayé comme “inopérant” si, au jour où le juge statue, l’arriéré est apuré : la résiliation ne peut pas être constatée.

Phrase à retenir : en redressement judiciaire, la résiliation “post-ouverture” n’est pas automatique à la date de la requête : elle dépend de l’état d’impayé au jour du jugement.



2) Les faits 
Chronologie (lecture rapide)

29 janv. 2016 Bail commercial consenti par le bailleur Naissance du contrat de bail 

7 nov. 2022 Ouverture du redressement judiciaire du preneur Régime des loyers postérieurs + compétence du juge-commissaire 
23 mars 2023 Requête du bailleur au juge-commissaire Demande de constat de résiliation (impayés post-ouverture) 
20–21 avr. 2023 Paiements invoqués par le preneur Le preneur soutient avoir apuré la dette locative 
6 sept. 2023 Ordonnance du juge-commissaire (mentionnée) Point clé : l’arrêt relève une régularisation au jour où le juge-commissaire statue 
23 juil. 2024 Arrêt CA Montpellier (ch. com.)
Confirme le jugement ayant constaté la résiliation (partie cassée) 
10 déc. 2025 Cassation partielle
Renvoi devant CA autrement composée 

Résumé des faits
Un bail commercial existait depuis 2016. Le preneur est placé en redressement judiciaire le 7 novembre 2022. Le bailleur attend le délai légal et saisit le juge-commissaire le 23 mars 2023 pour faire constater la résiliation de plein droit en raison d’impayés postérieurs à l’ouverture. Le preneur oppose des paiements réalisés les 20 et 21 avril 2023 et soutient que la dette était apurée.


3) La procédure 
Juge-commissaire : saisi par requête du bailleur (23 mars 2023) ; une ordonnance du 6 septembre 2023 est mentionnée.
Juridiction de recours (mentionnée comme “jugement”) : un jugement infirme l’ordonnance du juge-commissaire et constate la résiliation.

Cour d’appel de Montpellier, 23 juillet 2024 : elle confirme (sur le point litigieux) le jugement ayant constaté la résiliation.

Cour de cassation, 10 décembre 2025 : cassation partielle sur la résiliation (et ses conséquences), renvoi devant la même cour d’appel autrement composée.


4) Contenu de la décision 

4.1 Arguments des parties 

Le preneur soutient que le juge saisi doit vérifier la persistance d’impayés au jour où il statue, et qu’ayant payé (20–21 avril 2023), la résiliation ne pouvait être constatée si la dette était apurée au moment où le juge statue, même si le paiement est postérieur à la requête.

La cour d’appel retient que des impayés existaient à la date de la requête (23 mars 2023) et juge les paiements postérieurs “inopérants”.

4.2 Raisonnement de la Cour de cassation

La Cour vise les textes du Code de commerce et énonce la règle : le juge-commissaire saisi par le bailleur doit s’assurer au jour où il statue que des loyers/charges postérieurs demeurent impayés.

Elle reproche ensuite à la cour d’appel d’avoir statué comme si la date décisive était celle de la requête, alors qu’elle constatait la régularisation de l’arriéré au jour où le juge-commissaire avait statué.

4.3 Solution

Cassation partielle : l’arrêt d’appel est cassé en ce qu’il constate la résiliation de plein droit (et fixe la date de résiliation à la requête), puis renvoi.

5) Textes légaux 

Article L. 622-14, 2° du Code de commerce (extrait)

Extrait utile (≤ 25 mots) : « le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement ».

Article R. 622-13 (alinéa 2) du Code de commerce (extrait)

Applicabilité au redressement judiciaire
L. 631-14 (rendu applicable dans l’arrêt)

R. 631-20 (rendu applicable dans l’arrêt)

6) Analyse juridique approfondie 

6.1 Le “bon” point de contrôle : la date de la décision, pas la date de la requête

L’arrêt impose un réflexe simple : l’impayé doit exister au moment où le juge statue. La logique est cohérente avec la nature même d’un constat de résiliation : si la cause a disparu (dette apurée), le constat n’a plus de support.

Conséquence : un bailleur peut avoir eu raison de saisir le juge (impayés au dépôt), mais perdre si le preneur régularise avant l’audience/le délibéré. À l’inverse, un preneur ne peut pas compter sur un paiement “tardif” après la décision : la fenêtre utile est avant que le juge statue.

6.2 Le délai de trois mois : condition d’ouverture de l’action, pas garantie de succès

Le délai de trois mois (L. 622-14, 2°) limite quand le bailleur peut agir. Il ne transforme pas la demande en “résiliation automatique” : le juge doit encore constater l’existence d’impayés postérieurs au jour où il statue. Légifrance+1

6.3 Comparaison avec la jurisprudence antérieure “sur le même objet”

Sur le point précis “contrôle au jour où le juge statue” (loyers post-ouverture), l’arrêt du 10 décembre 2025 reprend expressément la règle formulée par la Cour : le contrôle est contemporain de la décision, non figé à la requête.

Jurisprudence de contexte (résiliation de bail en procédure collective) : la Cour avait déjà balisé strictement les conditions et le rôle du juge-commissaire en matière de bail (notamment sur l’articulation avec d’autres mécanismes). Exemple accessible et vérifiable : Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.164

7) Critique de la décision 

a) Recherche juridique 

Arrêt analysé (Cass. com., 10 déc. 2025, n° 24-20.714

Décision de contexte : Cass. com., 18 mai 2022, n° 20-22.164 

Principe : l’impayé doit être actuel au jour où le juge statue.

Impact : sécurise le preneur diligent qui régularise avant l’audience ; oblige le bailleur à documenter l’arriéré jusqu’au jour J.

La cour d’appel a figé l’analyse à la date de la requête ; la Cour de cassation recentre le test sur la date de la décision.

8) Conséquences pratiques (checklists actionnables)

Pour le bailleur

Avant de saisir : vérifier que l’impayé concerne bien des loyers/charges postérieurs à l’ouverture.

À l’audience : produire un décompte à jour et justifier l’impayé au jour où le juge statue (quittances, relevés, ventilation).

Stratégie : si paiement avant audience, réévaluer (nouvelles échéances ? nouveaux impayés ?), plutôt que compter sur la “date requête”.

Pour le preneur (et le mandataire)
Régulariser avant l’audience : l’arrêt donne un levier concret (paiement “après requête” mais “avant décision” peut neutraliser la résiliation).

Tracer : preuve des paiements (dates, imputation, quittances) pour démontrer l’apurement au jour où le juge statue.

9) SELARL PHILIPPE GONET (Saint-Nazaire) – accompagnement lié au sujet

La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat, 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire, intervient notamment en baux commerciaux et en procédures collectives (entreprises en difficulté : sauvegarde, redressement, liquidation). 

Dans un dossier “bail commercial + redressement”, le cabinet peut notamment :

analyser l’éligibilité de l’action (post-ouverture, délai de 3 mois, pièces) ;

bâtir la stratégie (côté bailleur : preuve d’impayé à jour / côté preneur : plan de régularisation et sécurisation probatoire) ;
vous accompagner devant les juridictions compétentes.

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