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Bail commercial : prescription et obligation de délivrance continue

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Bail commercial : prescription et obligation de délivrance continue
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1) Résumé 

Dans un bail commercial, le locataire demandait la réalisation de travaux rendus nécessaires par la vétusté (toiture, façades, voirie) et l’indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel avait jugé l’action prescrite au motif que le locataire connaissait l’état vétuste dès l’origine. La Cour de cassation casse : les obligations du bailleur de délivrance et de jouissance paisible sont continues pendant tout le bail ; si le manquement persiste, le locataire peut agir en exécution forcée et il faut vérifier si le manquement existait encore au jour de l’assignation.

Parties

Demanderesse au pourvoi (locataire) : SASU Lafa collectivités

Défenderesse à la cassation (bailleur) : SAS Lafa mobilier

Juridiction : Cass. 3e civ., 4 déc. 2025, n° 23-23.357, ECLI:FR:CCASS:2025:C300589

Bail commercial : travaux/entretien – vétusté – obligation de délivrance et de jouissance paisible – prescription quinquennale (art. 2224 c. civ.)

Effet direct sur la pratique

La Cour de cassation rappelle/affirme que tant que le manquement du bailleur à ses obligations “continues” persiste, ce manquement constitue un fait permettant au locataire d’agir (ici : action en exécution forcée). La “connaissance initiale” de la vétusté ne suffit pas, à elle seule, à faire courir/épuiser l’action si le manquement dure : le juge doit vérifier la persistance au jour de l’assignation.

2) Analyse détaillée

A) Les faits 

28 février 2012 : conclusion d’un bail commercial (durée : neuf ans) portant sur des locaux destinés à des activités industrielles liées à la fabrication de meubles métalliques.

Le locataire estime que des travaux de réparation sont nécessaires en raison de la vétusté (toiture, façades, voirie) et réclame aussi l’indemnisation de ses préjudices.

Assignation : l’arrêt mentionne une assignation du 12 juin 2020 tandis que les motifs retenus par la cour d’appel (tels que rapportés par la Cour de cassation) évoquent une assignation délivrée le 26 novembre 2018.

Le bailleur oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription.

Point de méthode : l’arrêt ne détaille pas l’état technique des désordres (dates d’apparition, constats, expertises, mises en demeure), ni les stipulations précises du bail relatives aux travaux ; ces éléments ne figurent pas dans le texte fourni.

B) La procédure 

Cour d’appel de Riom (3e ch. civ. et commerciale), 20 septembre 2023, n° 22/00159 : déclare les demandes irrecevables comme prescrites (notamment celles visant la condamnation à réaliser les travaux et les demandes indemnitaires subséquentes).

Cour de cassation, 3e chambre civile, 4 décembre 2025 : cassation totale et renvoi devant la cour d’appel de Limoges.

Le jugement de première instance n’est pas décrit dans l’arrêt : il n’est donc pas possible d’en retracer le contenu à partir de la seule décision fournie.

C) Contenu de la décision (arguments, raisonnement, solution)

1) Arguments 

Le locataire soutenait, en substance, que :

la prescription (art. 2224 c. civ.) ne pouvait courir “pleinement” tant que l’obligation de délivrance conforme, continue, n’était pas exécutée,
la cour d’appel ne pouvait fixer le point de départ à la conclusion/prise d’effet du bail au seul motif que la vétusté était connue.

2) Raisonnement de la Cour de cassation (visa et enchaînement)

La Cour vise les articles 1709, 1719 et 2224 du code civil

et rappelle :

Prescription : 5 ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir (art. 2224).

Obligations du bailleur : délivrer et assurer la jouissance paisible pendant la durée du bail (art. 1719).

Conséquence majeure : ces obligations sont continues et exigibles pendant toute la durée du bail ; dès lors, la persistance du manquement constitue un fait permettant au locataire d’exercer une action en exécution forcée.

La Cour reproche à la cour d’appel :

d’avoir écarté trop vite l’obligation du bailleur de remédier à la vétusté,
et surtout de ne pas avoir recherché si un manquement à l’obligation de délivrance persistait au jour de l’assignation.

3) Solution

Cassation et annulation de l’arrêt de Riom, renvoi à Limoges ; dépens et art. 700 CPC (3 000 € au profit du locataire).


3) Références juridiques

3.1 Jurisprudence antérieure pertinente


Cass. 3e civ., 4 déc. 2025, n° 23-23.357, ECLI:FR:CCASS:2025:C300589

Arrêt de rapprochement (même formule “obligations continues” + “persistance du manquement”)

Cass. 3e civ., 10 juil. 2025, n° 23-20.491, publié au bulletin

Apport : la persistance du manquement permet d’exercer l’action en résiliation du bail (et non l’exécution forcée). 
Socle ancien sur “vétusté / clause expresse” et “vices structurels” (obligation de délivrance)

Cass. 3e civ., 9 juil. 2008, n° 07-14.631, publié au bulletin

Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 19-10.415, inédit

Cass. 3e civ., 23 mai 2013, n° 11-29.011, publié au bulletin

3.2 Textes légaux 

Article 1709 du code civil (version en vigueur)
« Le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer. » Légifrance

Article 1719 du code civil (version en vigueur)
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée (…) ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; » 

Article 2224 du code civil (version en vigueur depuis 2008)
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. » 

Article 1755 du code civil (mentionné dans l’arrêt, via la motivation de la cour d’appel)
« Aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure. » 

4) Analyse juridique approfondie

L’arrêt du 4 décembre 2025 déplace le centre de gravité : en matière d’obligations continues du bailleur, la question-clé devient “le manquement persistait-il au jour de l’assignation ?”.

A) Le “fait permettant d’agir” n’est pas figé au jour de l’entrée dans les lieux

La cour d’appel avait raisonné en disant : vétusté connue dès 2012 → prescription acquise.

La Cour de cassation répond : même si certains éléments sont connus, les obligations de délivrance et de jouissance paisible se réexécutent dans le temps ; si le défaut dure, il constitue encore un fait permettant au locataire d’agir (ici : obtenir les travaux).

B) Continuité : la décision de 2025 complète celle du 10 juillet 2025

10 juillet 2025 : la persistance du manquement permet d’exercer l’action en résiliation. 

4 décembre 2025 : la même logique s’applique à l’action en exécution forcée (obtenir l’exécution des obligations du bailleur).

Lecture d’ensemble (inférence juridiquement prudente) : la 3e chambre civile construit une ligne où, pour les obligations continues du bailleur, l’exception de prescription ne se traite pas abstraitement (date de signature), mais factuellement (durée et persistance du manquement).

C) Vétusté, clause expresse et vices structurels : un rappel utile

L’arrêt rappelle aussi une solution classique :

le bailleur ne peut mettre à la charge du preneur les travaux rendus nécessaires par la vétusté que par clause expresse, cohérent avec Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 19-10.415 et il ne peut s’exonérer des réparations rendues nécessaires par les vices affectant la structure : déjà affirmé de longue date, notamment Cass. 3e civ., 9 juil. 2008, n° 07-14.631.

5) Critique de la décision

Principe central : obligations continues → manquement persistant → fait permettant d’agir (exécution forcée).

2025 : même formule, deux actions différentes (résiliation puis exécution forcée). 


6) Présentation – SELARL PHILIPPE GONET (Saint-Nazaire) 

La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat inscrite au barreau de Saint-Nazaire, reçoit sur rendez-vous au 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire Philippe Gonet Avocat et intervient notamment en droit immobilier et en droit de la famille. 

L’arrêt commenté concerne un bail commercial et des obligations du bailleur (travaux/vétusté/jouissance paisible), sujets qui s’inscrivent dans un accompagnement en droit immobilier.

7) Conseils pratiques (locataire / bailleur)

Pour le locataire (preneur)

Documenter la persistance du trouble (constats, courriers, mises en demeure, photos datées, rapports).

Formuler la demande en distinguant : exécution des obligations du bailleur (travaux) et préjudices.

En cas d’exception de prescription, recentrer le débat sur : “au jour de l’assignation, le manquement existait-il encore ?”

Pour le bailleur

Vérifier si le bail contient une clause expresse mettant à charge du preneur certains travaux liés à la vétusté (à défaut, risque de condamnation).

En contentieux prescription : démontrer, si possible, la cessation du manquement (travaux réalisés / conformité rétablie), plutôt que de se fonder uniquement sur la “connaissance initiale”.

8) Conclusion – accompagnement

Si vous êtes locataire d’un local commercial confronté à une vétusté ou à un trouble de jouissance (toiture, infiltrations, structure, accès, sécurité…), ou bailleur souhaitant sécuriser la répartition contractuelle des travaux, un audit du bail et du dossier factuel permet souvent de décider rapidement : mise en demeure, référé, action au fond, ou stratégie de preuve sur la persistance du manquement.

La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut vous accompagner en droit immobilier (baux, litiges locatifs, travaux, responsabilité) : rendez-vous au 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire.

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