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La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat à Saint-Nazaire (Résidence Victoria Park, 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire), intervient notamment en droit du dommage corporel, en droit social, en droit immobilier et dans les contentieux avec les organismes sociaux (CAF, CPAM, caisses de retraite). Elle accompagne les particuliers confrontés à des demandes de remboursement d’indu, à des suspensions de prestations ou à des accusations de fraude.
L’arrêt commenté intéresse directement les allocataires de la CAF : il précise si une personne ayant perçu des prestations sous une fausse identité peut encore invoquer un droit à prestation… et dans quelles conditions la CAF peut récupérer les sommes versées.
1. Résumé
Parties :
Demanderesse en cassation : Caisse d’allocations familiales (CAF) de la Vienne
Défenderesse : Mme A. C., bénéficiaire de prestations sous fausse identité
Juridiction, formation, date, n° d’affaire :
Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies
Arrêt du 28 novembre 2025, n° 495335,
Nature du litige :
Récupération, par la CAF, d’indus d’aide personnalisée au logement (APL), de prime d’activité et d’aide exceptionnelle de fin d’année, versées à une personne qui s’est présentée sous une fausse identité.
Effet de la décision sur la pratique :
Le Conseil d’État consacre une règle claire :
Une personne se présentant sous une fausse identité ne peut se prévaloir d’aucun droit à prestation.
Autrement dit, la seule utilisation d’une fausse identité suffit à justifier la récupération de toutes les prestations versées au titre de cette identité, sans obligation pour la CAF de vérifier si, sous la véritable identité, la personne aurait eu droit aux mêmes aides.
2. Analyse détaillée
2.1. Les faits – Chronologie
2004 : Mme C., de nationalité arménienne, entre en France. Elle utilise une fausse identité : Mme B., de nationalité azerbaïdjanaise.
À partir de 2012 :
Elle obtient des titres de séjour sous cette fausse identité.
Sous cette même identité, elle perçoit des prestations familiales et des aides au logement versées par la CAF de la Vienne.
À compter de juillet 2017 :
Elle bénéficie, toujours sous fausse identité, de la prime d’activité, du revenu de solidarité active (RSA) et de l’aide exceptionnelle de fin d’année.
1er août 2019 : le préfet de la Vienne informe la CAF de la fraude à l’identité.
Décision de la CAF :
Radiation des droits à compter du 1er janvier 2017.
12 mars 2020 : la directrice de la CAF met à la charge de Mme C. le remboursement des prestations versées entre le 1er janvier 2017 et le 30 septembre 2019, pour un montant total de 17 274,83 € (APL, prime d’activité, aide exceptionnelle de fin d’année).
Mme C. conteste ces décisions et demande le remboursement des sommes déjà récupérées par la CAF.
2.2. La procédure
Devant le tribunal administratif de Poitiers
Demandes de Mme C. :
Annulation de la décision du 12 mars 2020 et des décisions des 2 et 16 juillet 2020 rejetant ses recours préalables.
Injonction à la CAF de restituer les sommes déjà récupérées.
Jugement du 26 avril 2024 (TA Poitiers, n°2100584) :
Le tribunal donne raison à Mme C.
Il considère que la seule fausse identité ne suffit pas à justifier la récupération des indus : la CAF devait vérifier si, sous la véritable identité, elle remplissait les conditions pour bénéficier des prestations litigieuses.
Devant le Conseil d’État
Pourvois :
La CAF de la Vienne et la ministre du travail, de la santé et des solidarités se pourvoient en cassation.
Conclusions :
Annulation du jugement du TA de Poitiers.
Rejet des demandes de Mme C.
Condamnation de Mme C. à 4 000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du CJA.
2.3. Contenu de la décision
a) Arguments centraux
Mme C. (devant le TA) :
Soutient que, même si elle s’est présentée sous fausse identité, elle remplissait en réalité les conditions pour bénéficier des prestations.
Elle estime que la CAF aurait dû vérifier, sous sa véritable identité, si les droits aux prestations existaient, avant de procéder à la récupération. (Ces arguments sont reconstruits à partir du raisonnement du tribunal, les motifs précis de la requérante n’étant pas détaillés dans l’arrêt.)
CAF de la Vienne et ministre (devant le Conseil d’État) :
Se fondent sur l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale, relatif au contrôle de l’identité et des pièces justificatives par les organismes sociaux.
Soutiennent que la présentation d’une fausse identité exclut par principe tout droit à prestation et justifie la récupération des sommes versées.
b) Rappel du texte applicable
Le Conseil d’État vise l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date de la décision, qui prévoit notamment :
« Les organismes de sécurité sociale demandent, pour le service d'une prestation ou le contrôle de sa régularité, toutes pièces justificatives utiles pour vérifier l'identité du demandeur ou du bénéficiaire d'une prestation ainsi que pour apprécier les conditions du droit à la prestation (…)
Sauf cas de force majeure, la non-présentation par le demandeur de pièces justificatives, la présentation de faux documents ou de fausses informations (…) entraînent la suspension (…) du délai d'instruction ou du versement de la prestation (…) ».
c) Le raisonnement du Conseil d’État
Interprétation de l’article L. 161-1-4 CSS
Le Conseil d’État en déduit une règle de principe :
« Il résulte de ces dispositions qu'une personne se présentant sous une fausse identité ne peut se prévaloir d'aucun droit à prestation. »
La présentation sous fausse identité est ainsi assimilée, dans ses effets, à la production de faux documents ou de fausses informations : la situation est radicalement insusceptible d’ouvrir un droit aux prestations.
Censure du jugement du tribunal administratif
Le tribunal avait considéré qu’avant de récupérer les sommes, la CAF devait vérifier si, sous la véritable identité de Mme C., les conditions d’ouverture des droits étaient remplies.
Le Conseil d’État juge au contraire que la seule fraude à l’identité suffit, sans qu’il soit nécessaire de reconstituer les droits « théoriques » sous la véritable identité.
Il y a donc erreur de droit du tribunal administratif de Poitiers.
Règlement de l’affaire au fond
En application de l’article L. 821-2 CJA, le Conseil d’État statue lui-même sur la demande de Mme C.
Il rejette l’ensemble de ses conclusions :
Les décisions d’indu sont légales.
Il n’y a pas lieu de restituer les sommes récupérées.
Frais de justice (article L. 761-1 CJA)
Chaque partie demandait la condamnation de l’autre au paiement de frais irrépétibles.
Le Conseil d’État rejette toutes les demandes présentées au titre de l’article L. 761-1 CJA, tant en première instance qu’en cassation.
3. Références juridiques
3.1. Jurisprudence principale
Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 28 nov. 2025, n°495335
ECLI:FR:CECHR:2025:495335.20251128
Objet : Prestations sociales (APL, prime d’activité, aide exceptionnelle) versées à une personne sous fausse identité – impossibilité de se prévaloir d’un droit à prestation – récupération des indus.
3.2. Jurisprudences antérieures pertinentes (sélection authentifiée)
La décision de 2025 s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large, relatif à l’usage de faux documents ou fausses informations dans le domaine des prestations sociales :
Conseil d’État, 1ère chambre, 10 févr. 2017, n°396193, inédit au recueil Lebon
RSA – non-présentation de pièces justificatives et application de l’article L.161-1-4 CSS.
Le Conseil d’État confirme la possibilité de suspendre puis de radier un bénéficiaire ne produisant pas les justificatifs demandés, sur le fondement de L.161-1-4.
Cass. civ. 2e, 22 oct. 2020, n°19-16.521, ECLI:FR:CCASS:2020:C201081
Fausse ordonnance médicale – refus de prise en charge – article L.161-1-4 CSS.
La Cour de cassation juge que la caisse n’est pas tenue de rembourser des médicaments prescrits au moyen d’une fausse ordonnance, tout en rappelant son obligation d’information envers les professionnels de santé.
Cass. civ. 2e, 18 mars 2021, n°19-24.009, publié au bulletin
Ordonnance falsifiée – conditions d’application de L.161-1-4 CSS et notion de force majeure.
Cass. civ. 2e, 8 juill. 2021, n°20-13.351
Confirmation de l’interprétation stricte de L.161-1-4 : présentation de faux documents ou de fausses informations = suspension du versement des prestations.
Important :
Les décisions ci-dessus sont authentifiées sur Légifrance ou Courdecassation.fr.
Cette sélection est pertinente mais non exhaustive : il existe d’autres décisions relatives à L.161-1-4 et aux fraudes déclaratives, qui n’ont pas toutes été rapportées ici.
3.3. Texte légal appliqué
Article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale
4. Analyse juridique approfondie
4.1. Décryptage du raisonnement
Le Conseil d’État opère un glissement qualitatif :
Les textes visaient, à l’origine, la non-présentation de pièces, la présentation de faux documents ou de fausses informations, avec comme sanction la suspension du versement de la prestation.
En 2025, le Conseil d’État franchit un pas : il érige la fausse identité en cause d’exclusion totale du droit à prestation.
La formule clé :
« Une personne se présentant sous une fausse identité ne peut se prévaloir d’aucun droit à prestation. »
Cette affirmation :
Déconnecte l’ouverture du droit de la satisfaction, en fait, des conditions matérielles (ressources, résidence, situation familiale).
Consacre la primauté de l’authenticité de l’identité comme condition d’accès aux prestations sociales.
Autorise la CAF à récupérer les sommes versées sans être tenue de démontrer que, sous la véritable identité, l’allocataire n’aurait pas eu droit aux prestations.
4.2. Comparaison avec la jurisprudence antérieure
CE, 10 févr. 2017 (n°396193) –
Le Conseil d’État admettait déjà que la non-production de justificatifs pouvait conduire à la suspension puis à la radiation du bénéficiaire du RSA sur le fondement de L.161-1-4.
L’accent était mis sur la coopération du bénéficiaire (obligation de produire les pièces demandées).
Cass. 2e civ., 22 oct. 2020 et 18 mars 2021 – Faux documents médicaux
Les arrêts de la Cour de cassation insistent sur l’idée qu’il n’existe aucune obligation de prise en charge lorsque les prestations ou remboursements sont demandés au moyen de faux documents.
Toutefois, la Cour rappelle des obligations d’information des caisses vis-à-vis des professionnels de santé.
Cass. 2e civ., 8 juill. 2021 – Confirmation de L.161-1-4
La Cour confirme une lecture stricte du texte : faux documents ou fausses informations = suspension ou refus de prestation.
L’apport de l’arrêt du 28 nov. 2025 :
Il transpose cette logique au niveau de l’identité elle-même : ce n’est plus seulement le document qui est faux, c’est la personne juridique qui est présentée comme une autre.
Le Conseil d’État consacre une incompatibilité absolue entre la fraude à l’identité et la qualité de bénéficiaire de prestations sociales.
Il en résulte un durcissement notable pour les personnes ayant, parfois sur une longue période, régularisé ensuite leur situation administrative.
4.3. Conséquences pratiques
Pour les victimes ou justiciables :
Si vous avez perçu des prestations CAF (APL, prime d’activité, RSA, aides exceptionnelles) sous une identité qui n’est pas la vôtre, la CAF peut :
Radier vos droits au titre de cette identité.
Récupérer l’intégralité des prestations versées au titre de cette identité, sans être tenue d’examiner vos droits « théoriques » sous votre véritable identité.
La marge de contestation est désormais très réduite :
La discussion se déplacera vers la preuve de la fraude à l’identité (erreur de la CAF ? usurpation par un tiers ?) ou vers la prescription des créances.
Les arguments liés à votre situation matérielle (ressources, composition familiale) ne suffiront plus, à eux seuls, à empêcher la récupération.
Pour la pratique des organismes sociaux :
L’arrêt sécurise juridiquement les décisions de récupération d’indus en cas de fausse identité.
Il devrait conduire à une politique de contrôle renforcée de l’identité des allocataires (croisement de données, échanges entre préfectures et CAF).
5. Critique de la décision
La solution est cohérente avec la tendance antérieure à sanctionner sévèrement les fraudes déclaratives (faux documents, fausses informations).
Toutefois, le Conseil d’État franchit un seuil en posant un principe d’inexistence du droit à prestation en cas de fausse identité, quelle que soit la réalité socio-économique de la personne.
L’arrêt constitue un jalon majeur en matière de lutte contre la fraude sociale.
Il introduit une logique de tolérance zéro envers la fraude à l’identité, au prix d’un effacement complet des droits de l’allocataire sur la période concernée.
6. Accompagnement personnalisé par la SELARL PHILIPPE GONET
La SELARL PHILIPPE GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut vous assister si :
La CAF vous réclame le remboursement de prestations (APL, prime d’activité, RSA, aides diverses).
Vous êtes mis en cause pour fraude, utilisation de faux documents ou fausse identité.
Vous souhaitez contester une décision de récupération d’indu ou négocier un échelonnement.
Le cabinet vous accompagne :
Dans l’analyse de votre dossier (droits potentiels, régularisation, prescription).
Dans les recours administratifs et contentieux (lettres de recours, tribunal administratif, Cour d’appel, Conseil d’État le cas échéant).
Dans la défense de votre situation personnelle, en tenant compte de vos ressources, de votre santé, de votre famille.
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