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Clause de juridiction (État tiers) & stipulation pour autrui : opposabilité au bénéficiaire

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Clause de juridiction (État tiers) & stipulation pour autrui : opposabilité au bénéficiaire
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Résumé succinct

Parties. M. [C] [T] (domicilié en France) c/ M. [N] [R] (domicilié en Suisse). Cour de Cassation

Juridiction / formation. Cour de cassation, 1re chambre civile, formation de section (arrêt n° 442 FS-B), 18 juin 2025, ECLI:FR:CCASS:2025:C100442, pourvoi n° 23-21.709. Rejet. 

Nature du litige. Deux cessions de parts sociales (27.07.2019 puis 03.03.2020) d’une société thaïlandaise ; la seconde cession prévoyait une clause attributive au tribunal provincial de Pattaya (Thaïlande), M. [R] étant bénéficiaire du paiement du prix ; action en paiement engagée par M. [R] devant le TJ de Besançon. 

Principe dégagé. La clause attributive aux juridictions d’un État tiers insérée dans le contrat stipulant un droit au profit d’un tiers est invocable par et contre ce tiers bénéficiaire, la clause étant indissociable du droit transmis — réserve : règles de l’UE protectrices de la « partie faible » (consommateur, employé, assuré).

Analyse détaillée

Les faits 

27 juillet 2019 : 1er contrat — M. [R], Mme [F], Mme [E] cèdent 51 % des parts à M. [T] et Mme [Y].

12 novembre 2019 : avenant à la clause n° 7 : compétence concurrente TJ Besançon / tribunal provincial de Pattaya.

3 mars 2020 : 2e contrat — Mme [F] cède 20 % à Mme [Y] ; M. [T] se porte caution ; prix payable sur un compte suisse de M. [R] ; clause n° 7 : seule juridiction compétente = Pattaya.

21 septembre 2021 : M. [R] assigne M. [T] au TJ Besançon en paiement des sommes dues au titre des deux contrats. 

La procédure

CA Besançon, 26 sept. 2023 (n° 23/00147) : retient notamment que, pour le contrat du 03.03.2020, la clause attribuant compétence exclusive à Pattaya est opposable à M. [R] bien qu’il ne soit pas signataire, en sa qualité de bénéficiaire du paiement ; absence d’indivisibilité avec le contrat du 27.07.2019.

Pourvoi principal (M. [T]) & incident (M. [R]) : moyens uniques. La Cour rejette les pourvois. Pas de sursis à statuer malgré le renvoi préjudiciel CJUE décidé le 9 oct. 2024 (n° 22-22.015) : sans incidence sur l’affaire. 

Les thèses en présence

M. [R] (pourvoi incident) : une clause attributive ne produit effet qu’entre signataires ; à défaut, compétence du domicile du défendeur (art. 42 CPC / Bruxelles I bis, Lugano). Il invoque les art. 4, 25 du règlement (UE) 1215/2012, les art. 2, 23 de Lugano 2007, ainsi que les art. 1103, 1113, 1128 C. civ. (consentement/effet relatif). 

M. [T] (pourvoi principal) : (non détaillé, 1014 al. 2 CPC, moyen manifestement non fondé).


Le raisonnement de la Cour de cassation

Règle de principe : en droit international privé français, la clause attributive au profit d’un État tiers est indissociable du droit stipulé pour autrui ; elle suit donc ce droit et est invocable par et contre le bénéficiaire, sous réserve des règles de l’UE protectrices (consommateur/salarié/assuré). 


Application : le contrat du 03.03.2020 désigne M. [R] bénéficiaire du paiement du prix tout en attribuant compétence exclusive au tribunal de Pattaya ; pas d’indivisibilité avec le contrat de 2019. La clause est donc opposable à M. [R] qui revendique ce droit.

Conséquences : rejet des pourvois ; dépens à la charge de M. [R] ; demandes art. 700 CPC rejetées ; pas de sursis malgré le renvoi préjudiciel du 9.10.2024. 


Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Arrêt commenté
Cass. civ. 1re, 18 juin 2025, n° 23-21.709 (FS-B, rejet) 


Renvoi préjudiciel (asymétrie des clauses)

Cass. civ. 1re, 9 oct. 2024, n° 22-22.015 — Renvoi CJUE sur l’art. 25 du règlement Bruxelles I bis (clause asymétrique).
Clauses désignant un État tiers & stipulation pour autrui (affaire « Airbus / Indonésie »)

Cass. civ. 1re, 14 avr. 2021, n° 19-22.236, publié au bulletin — clauses renvoyant aux tribunaux indonésiens, analyse de la stipulation pour autrui.
Exigence de prévisibilité / identification du for (Lugano)

Cass. civ. 1re, 25 mars 2015, n° 13-27.264, publié au bulletin — art. 23 Convention de Lugano : les juridictions doivent être identifiables par des éléments objectifs & précis.
Lugano & clauses bancaires (précisions)


Cass. civ. 1re, 7 févr. 2018, n° 16-24.497 — contrôle du respect de l’objectif de prévisibilité des clauses.
Bruxelles I bis — droit applicable à la validité (art. 25)

Cass. civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-12.965, publié — renvoi préjudiciel sur la validité « au fond » & droit de l’État désigné.
Régime « partie faible » (consommateur)

Cass. civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-24.432 — rappel art. 17 à 19 Bruxelles I bis (définition & cumul des conditions).

3.2 Textes légaux

Code de procédure civile, art. 42 (version en vigueur à la date de l’arrêt) :
« La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. »
Règlement (UE) n° 1215/2012 (Bruxelles I bis) — art. 17 (consommateur) (extrait reproduit in extenso par la Cour de cassation) :

« En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, […] la compétence est déterminée par la présente section […] » (voir § 15-53 de l’arrêt du 22 mars 2023).

Analyse juridique approfondie

Portée exacte de l’arrêt du 18 juin 2025

La 1re chambre civile consacre que, lorsqu’un droit est stipulé au profit d’un tiers, la clause attributive (même vers un État tiers à l’UE) suit le droit transmis : le bénéficiaire ne peut en réclamer l’avantage (paiement) sans assumer la clause qui en cadre le contentieux — et inversement il peut aussi s’en prévaloir.

Ce mécanisme n’est pas absolu : sont préservées les garanties UE accordées à la « partie faible » (consommateur, salarié, assuré), que la Cour de cassation applique régulièrement (v. 22.03.2023). 


Mise en perspective avec la jurisprudence antérieure

État tiers & stipulation : l’arrêt 14.04.2021 (Airbus/Indonésie) traitait déjà de clauses désignant un for extra-UE et de leur opposabilité ; l’arrêt 2025 clarifie explicitement l’indissociabilité clause/droit en cas de stipulation pour autrui.

Prévisibilité du for : sous Lugano, la Cour exige de longue date une identification suffisamment précise (2015, 2018). Ce cadre sécuritaire vaut a fortiori quand le for est hors UE. Légifrance+1
Asymétrie & droit applicable : le renvoi préjudiciel (9.10.2024) interroge l’art. 25 Bruxelles I bis (validité « au fond », clauses asymétriques).

La 1re chambre civile précise ici que l’issue de ce renvoi est sans incidence sur le présent litige, centré sur l’opposabilité au bénéficiaire d’une clause exclusive vers un État tiers. 

Conséquences pratiques

Rédaction contractuelle :

En présence d’une stipulation pour autrui, assumez que la clause attributive s’appliquera au bénéficiaire (pour & contre).

Si le for est extra-UE, veillez à sa précision (juridiction identifiée ou critères objectifs) et à son effectivité.

Vérifiez l’absence de statut « partie faible » (consommateur/salarié/assuré) avant d’opposer la clause : ces régimes dérogatoires peuvent neutraliser la clause. 

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