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CJUE, 4 sept. 2025 : prescription “follow-on” et décision d’ANC définitive

Le 05 octobre 2025
CJUE, 4 sept. 2025 : prescription “follow-on” et décision d’ANC définitive
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Résumé succinct

Parties : CP (demandeur) c/ Nissan Iberia SA (défendeur).

Juridiction : Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), quatrième chambre – 4 septembre 2025 – C-21/24.

Nature du litige : Action en dommages “follow-on” (art. 101 TFUE) – point de départ (dies a quo) et suspension/interruption du délai de prescription ; effet d’une décision d’autorité nationale de concurrence (ANC) non encore définitive ; application temporelle de l’art. 10 de la directive 2014/104/UE.

Principe dégagé : Le délai de prescription ne peut commencer à courir tant que la décision de l’ANC n’est pas devenue définitive et rendue publique de manière appropriée ; à défaut, l’effectivité du droit à réparation (art. 101 TFUE) serait atteinte.

Analyse détaillée

Les faits 

2013 : Fin du comportement anticoncurrentiel (échanges d’informations sensibles).

23 juil. 2015 : Décision de la CNMC (Espagne) constatant l’infraction (dont Nissan).

28 juil. 2015 : Communiqué de presse CNMC. 15 sept. 2015 : Publication intégrale de la décision sur le site CNMC.

2021 : La décision est définitive pour Nissan après l’arrêt du Tribunal Supremo (Espagne).

Mars 2023 : CP introduit l’action en dommages “follow-on” devant le Juzgado de lo Mercantil n° 1 de Saragosse.

La procédure

Nissan invoque la prescription (selon le code civil espagnol, délai d’1 an courant, selon elle, dès la publication de 2015).
Le juge national saisit la CJUE (art. 267 TFUE) sur : (i) distinction “possibilité/obligation” d’agir ; (ii) nécessité d’attendre la définitivité ; (iii) équivalence de la publication sur le site de l’ANC avec la publication au JOUE (décisions Commission).

Contenu de la décision

Arguments

Nissan : le délai court dès 2015 (publication de la décision/communiqué/couverture médiatique) ; pas besoin d’attendre la définitivité.

Juridiction de renvoi : tendance jurisprudentielle interne exigeant parfois d’attendre la force de chose jugée ; questionne la compatibilité avec l’art. 101 TFUE (principe d’effectivité) et, le cas échéant, l’art. 10 de la directive 2014/104.

Raisonnement de la CJUE

Applicabilité temporelle de l’art. 10 de la directive 2014/104 : s’applique si, au 27 déc. 2016 (fin du délai de transposition), le délai national n’avait pas commencé à courir/expirer. Ici, tel est le cas : la décision CNMC n’était pas définitive ; donc l’art. 10 est applicable ratione temporis.

Principe d’effectivité (art. 101 TFUE) : rendre le délai courant avant la définitivité priverait la victime des “informations indispensables” (existence de l’infraction, identité de l’auteur, lien causal, dommage) pour agir utilement.

Conséquences pratiques :

Ni la suspension discrétionnaire de la procédure, ni les interruptions (réclamation extrajudiciaire, etc.) ne garantissent assez l’effectivité, car indépendantes des recours contre la décision ANC et non automatiques.
Le dies a quo est la publication officielle de l’arrêt juridictionnel rendant définitive la décision de l’ANC, publiée de façon libre d’accès et avec date claire (ex.: CENDOJ pour l’Espagne).

Solution

L’art. 101 TFUE (effectivité) et l’art. 10(2) de la directive 2014/104 s’opposent aux règles/interprétations nationales selon lesquelles la victime serait réputée connaître les informations indispensables avant que la décision de l’ANC ne devienne définitive.

Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CJUE, 4 sept. 2025, C-21/24, CP c/ Nissan Iberia SA 

CJUE, Gde ch., 18 avr. 2024, C-605/21, Heureka Group 

CJUE, 22 juin 2022, C-267/20, Volvo & DAF Trucks 

CJUE, 5 juin 2014, C-557/12, Kone 

CJUE, 20 sept. 2001, C-453/99, Courage/Crehan 


3.2 Textes légaux 

Directive 2014/104/UE, art. 10 (“Délais de prescription”). EUR-Lex (JO L 349, 5.12.2014) :

Règlement (CE) n° 1/2003, art. 16 (“Application uniforme…”)

Analyse juridique approfondie

1) Point de départ du délai (dies a quo)

La Cour lie le dies a quo à la définitivité de la décision de l’ANC et à sa publicité adéquate (publication officielle accessible avec date claire). Toute solution anticipant ce départ à la publication administrative initiale fragilise l’effectivité du droit au recours (art. 101 TFUE) : la victime ne dispose pas encore de “l’ensemble des informations indispensables” car les constatations ne lient pas le juge tant que la décision n’est pas définitive.

2) Suspension/Interruption & sursis à statuer

La CJUE juge que les mécanismes nationaux (réclamation extrajudiciaire, conciliation, sursis facultatif) ne suffisent pas : ils sont incertains, non automatiques, et décorrélés du contentieux d’annulation de la décision d’ANC. Ils ne garantissent pas que la victime ne sera pas forclose avant la fin du contrôle juridictionnel.

3) Construction jurisprudentielle (cohérence UE)

– Courage/Crehan et Kone consacrent le droit à réparation pour violations de l’art. 101 TFUE. 
– Volvo & DAF et Heureka Group précisent temporalité et paramètres de prescription (notamment art. 10 dir. 2014/104, non-rétroactivité mais interprétation conforme post-transposition). L’arrêt CP/Nissan prolonge cette ligne : la définitivité conditionne raisonnablement la “connaissance” des informations indispensables.

4) Portée pratique

Pour les actions “follow-on” fondées sur des décisions d’ANC nationales : attendre la définitivité pour faire courir le délai ; veiller à la date de publication de l’arrêt juridictionnel confirmatif (support officiel national).
Pour la France (Autorité de la concurrence) : transposition similaire de l’art. 10 ; l’enseignement CJUE oblige à caler le dies a quo sur la définitivité (et sa publicité), non sur le simple communiqué de l’Autorité.

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