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CEDH 26/06/2025 — Contrôles d’identité : violation (TOUIL) et standard de preuve confirmé

Le 03 septembre 2025
CEDH 26/06/2025 — Contrôles d’identité : violation (TOUIL) et standard de preuve confirmé
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1. Résumé succinct

Parties : Six requérants français (Mounir Seydi, Bocar Niane, Dia Abdillahi, Mohamed Dif, Sofiane Kaouah, Karim Touil) c. France.

Juridiction : Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), jugement du 26 juin 2025, req. n° 35844/17 (Chambre). Lien officiel 

Nature du litige : Allégations de contrôles d’identité discriminatoires (« profilage racial ») par la police, fondées sur l’origine réelle ou supposée (art. 14 combiné avec art. 8 CEDH) et grief procédural (art. 13).

Effet sur la jurisprudence/pratiques :

Confirmation et précision du régime probatoire en matière de soupçon de contrôle d’identité discriminatoire : le requérant doit établir un commencement de preuve (indices précis et concordants) ; si tel est le cas, l’État doit fournir des justifications non discriminatoires.

Constat de violation (art. 14+8) pour M. Karim Touil ; absence de violation pour les cinq autres faute de commencement de preuve suffisant ; pas de violation de l’art. 13 (recours effectif).

Mise en cohérence avec Basu c. Allemagne (2022), Muhammad c. Espagne (2022) et Wa Baile c. Suisse (2024). 

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits 

15 sept. 2011 (Lille, métro) : contrôle d’identité de M. Mounir Seydi.

11 nov. 2011 (Saint-Ouen, rue) : contrôle d’identité de M. Bocar Niane ; les juridictions internes ont reconnu le caractère discriminatoire en première instance et confirmé en appel.

12 févr. 2012 (Saint-Germain-en-Laye, gare routière) : contrôle d’identité de M. Dia Abdillahi.

17 nov. 2011 (Vaulx-en-Velin) : contrôles visant MM. Mohamed Dif et Sofiane Kaouah.

1er déc. 2011 (Besançon) : M. Karim Touil subit plusieurs contrôles rapprochés ; propos tenus par des policiers évoquant son apparence/son origine ; éléments ultérieurs corroborant la répétition et le contexte (faisceau d’indices).

2.2 La procédure interne

Actions en responsabilité engagées contre l’État (fondées sur l’art. L. 141-1 COJ) :

Certains demandeurs obtiennent gain de cause en première instance (ex. Niane) mais la Cour de cassation statue le 9 nov. 2016 par une série d’arrêts (1re civ.) clarifiant le régime de preuve et la qualification de faute lourde/discrimination :

Plusieurs pourvois rejetés (absence d’indices suffisants), d’autres censurent des décisions ayant retenu trop vite la discrimination. 

À la suite de cette jurisprudence interne, les six intéressés saisissent la CEDH (requête déposée en 2017). 

2.3 Le débat devant la CEDH et la décision

Arguments des requérants : contrôles fondés sur l’apparence/présumée appartenance ethnique ; répétition des contrôles ; absence de justification objective ; insuffisance des voies de recours.

Arguments du Gouvernement : inexistence d’indices suffisants de discrimination ; contrôles justifiés par des circonstances objectives ; voies de recours effectives.

Raisonnement de la Cour :

Standard probatoire : le requérant doit présenter un commencement de preuve de traitement différencié fondé sur l’origine ; charge de la justification pèse ensuite sur l’État (raisonn. consolidé par Basu/Muhammad/Wa Baile).

Appréciation in concreto : prise en compte d’un faisceau d’indices (répétition temporelle, circonstances, éventuels propos d’agents, données contextuelles), tout en soulignant la faible traçabilité des contrôles d’identité et la nécessité d’une évaluation globale.

Solution :

Art. 14 + 8 : violation pour M. Karim Touil (faisceau d’indices non renversé par l’État) ; pas de violation pour Seydi, Niane, Abdillahi, Dif, Kaouah (absence de commencement de preuve suffisant).

Art. 13 : pas de violation (recours effectifs disponibles et utilisés).

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CEDH, 26 juin 2025, Seydi et autres c. France, req. n° 35844/17 (Chambre)

CEDH, 18 oct. 2022, Basu c. Allemagne, req. n° 215/19

CEDH, 18 oct. 2022, Muhammad c. Espagne, req. n° 34085/17

CEDH, 20 févr. 2024, Wa Baile c. Suisse, req. n° 43868/18 et 25883/21

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-25.873

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-24.210

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-24.214

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-24.209

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-24.212

Cons. const., déc. n° 93-323 DC, 5 août 1993 (Contrôles et vérifications d’identité)

Cons. const., déc. n° 2016-606/607 QPC, 24 janv. 2017

3.2 Textes légaux (versions applicables aux faits 2011–2012)

Art. 78-2 CPP

Art. 78-2-2 CPP

Art. L. 141-1 COJ (responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux de la justice)

• Version au 9 oct. 2016 (applicable au cycle contentieux interne) :

Art. 225-1 CP (définition de la discrimination)

4.  Analyse juridique approfondie

4.1 Le standard probatoire CEDH confirmé et précisé

La Cour réaffirme qu’en matière d’allégations de discrimination policière, l’absence de traçabilité des contrôles d’identité impose un allègement de la preuve côté requérant : un commencement de preuve (indices circonstanciés, réitération, propos, contexte) déclenche l’obligation, pour l’État, d’apporter des justifications objectives et raisonnables. Ce cadre – déjà esquissé dans Basu et Muhammad – est consolidé et appliqué in concreto à chacun des six cas. 

4.2 Application aux six requérants

Cinq requérants (Seydi, Niane, Abdillahi, Dif, Kaouah) : indices jugés insuffisants pour franchir le seuil du commencement de preuve ; pas d’inversion de la charge ; pas de violation.

M. Touil : répétition de contrôles resserrés + propos d’agents + contexte → faisceau d’indices convaincant ; l’État n’apporte pas de justification non discriminatoire → violation de l’art. 14 combiné avec 8.

4.3 Articulation avec la jurisprudence antérieure

Basu c. Allemagne (2022) : la Cour met l’accent sur l’obligation procédurale d’enquête efficace face aux allégations de profilage ; l’arrêt de 2025 reprend cette exigence en soulignant la nécessité d’éléments objectifs côté État.

Muhammad c. Espagne (2022) : affaire où les éléments fournis n’ont pas franchi le seuil probatoire — parallèle avec cinq des six requérants ici. 

Wa Baile c. Suisse (2024) : la Cour sanctionne l’insuffisante prise en compte du principe de non-discrimination lors d’un contrôle ; Seydi et autres s’inscrit dans la même ligne quant à l’exigence d’un contrôle juridictionnel réel et concret. 

4.4 Convergences et tensions avec le droit français

Cour de cassation, 9 nov. 2016 : les arrêts structurent le régime de preuve (indices précis/concordants) et la responsabilité de l’État (L. 141-1 COJ) ; la CEDH valide l’approche mais exige une mise en œuvre rigoureuse et individualisée. 

Conseil constitutionnel (1993 & 2017) : interdiction des contrôles généralisés et discrétionnaires ; exigence, pour les réquisitions du parquet (art. 78-2-2 CPP), de circonstances objectives – convergence avec l’exigence CEDH de justifications objectives et raisonnables.

En synthèse : Seydi et autres ne bouleverse pas la grille CEDH (Basu/Muhammad/Wa Baile), mais opère un tri fin entre des dossiers voisins : la répétition de contrôles rapprochés, assortie de propos et circonstances non contredits, fait basculer l’affaire Touil du côté de la violation — message clair sur la preuve contextuelle et la traçabilité des contrôles.


5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos dossiers impliquant des contrôles d’identité (constitution du faisceau d’indices ; exploitation des réquisitions art. 78-2-2 CPP ; témoignages ; chronologies).

Structurer vos actions civiles (L. 141-1 COJ) et contentieux CEDH (griefs art. 14+8 et art. 13).

Former équipes et associations sur la traçabilité des contrôles et la preuve de la discrimination.

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