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E.A. et AVFT c. France : consentement, emprise et enquête effective

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 E.A. et AVFT c. France : consentement, emprise et enquête effective
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1. Résumé succinct

Parties : Mme E.A. (victime présumée) et l’AVFT (association) c/ France.

Juridiction : Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), 5e section ; arrêt du 4 septembre 2025 ; req. n° 30556/22. HUDOC

Nature du litige : Manquements allégués aux articles 3 et 8 CEDH : i) insuffisante répression des actes sexuels non consentis ; ii) déficiences de l’enquête et des poursuites, conduisant à une victimisation secondaire ; iii) appréciation erronée du consentement dans un contexte d’abuse of authority (hiérarchie hospitalière).

Effet direct sur la jurisprudence/pratiques : L’arrêt confirme et étend aux adultes en contexte professionnel les exigences posées récemment par L. et autres c. France (24 avr. 2025) sur la prise en compte du non-consentement et de l’environnement coercitif, et renforce la critique d’un formalisme probatoire et procédural propice à la revictimisation. 

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits 

2010 : E.A. entre au CH de Briey (préparatrice de pharmacie, formation à des fonctions d’encadrement ; supervision par A.K.).

2011–2013 : Relation intime avec le chef de service K.B. ; alternance séduction/dénigrement ; immixtion dans la vie privée ; pratiques sexuelles imposées (violences physiques et psychiques, pratiques humiliantes, « contrat maître-chienne »), crainte de représailles professionnelles (influence sur titularisation/concours).

Sept. 2012 : Sodomie poursuivie malgré un « arrêt » explicite ; certificat médical du 24 sept. 2012 (thrombose hémorroïdaire) compatible avec les déclarations.

Juin–oct. 2013 : Arrêts de travail, hospitalisations psychiatriques ; révélations internes au CH (harcèlement sexiste et moral, influence hiérarchique) ; signalement au parquet (30 juill. 2013) ; éléments matériels remis (mails/SMS/USB).

2013–2014 : Enquête préliminaire : auditions, confrontation (27 févr. 2014) ; carences (ni perquisition au CH, ni saisie/exploitation des téléphones, effacement du disque dur de K.B.).

28 févr. 2014 : Ouverture d’information pour violences volontaires (ITT>8j) et harcèlement sexuel aggravé ; mise en examen ; contrôle judiciaire ; commissions rogatoires (disque dur, trafic téléphonique).

12 nov. 2015 : Expertise psychiatrique de K.B. (pulsions sexuelles/agressives, sans anomalie).

25 nov. 2016 : Ordonnance de renvoi de K.B. devant le tribunal correctionnel pour violences volontaires et harcèlement sexuel aggravé (constat d’emprise et de contraintes ; rappel de la jurisprudence CEDH K.A. et A.D. c. Belgique sur le retrait du consentement).

2.2 La procédure interne 

23 mai 2017 : Exception d’incompétence (qualification criminelle – viol) rejetée comme tardive (art. 469 CPP). Appel du parquet, d’E.A. et de l’AVFT ; CA Nancy 19 avr. 2018 : irrecevable (défaut de requête préalable).

25 sept. 2018 : T. corr. Val de Briey : condamnation de K.B. (10 mois sursis) pour violences/harcèlement ; mais refus de requalification en agressions sexuelles aggravées (appréciation restrictive de la contrainte/non-consentement).

27 mai 2021 : CA Nancy : infirmation totale ; relaxe de K.B. ; rejet des demandes civiles ; motif : la cour se tient aux faits saisis par l’ordonnance de renvoi (art. 388 CPP), pas d’auto-saisine pour requalification.

16 févr. 2022 : Décision interne définitive (pourvoi). Requête CEDH déposée le 16 juin 2022, donc dans le délai (4 mois).

2.3 Le contenu de la décision CEDH

Arguments des parties

E.A. & AVFT : cadre juridique insuffisant (absence d’incrimination directe des actes non consentis ; interprétation étroite de « violence/contrainte/menace/surprise »), et défaillances procédurales (tardiveté des actes, non-préservation de preuves, refus de requalification, stéréotypes).
Gouvernement : contestation de la recevabilité (non-épuisement), défense du cadre légal et de l’action des autorités.

Raisonnement de la CEDH

Recevabilité : moyens internes appropriés et épuisés ; exception de tardiveté rejetée.
Volet matériel (Arts 3 & 8) : Les États doivent réprimer efficacement toute violence sexuelle non consentie, y compris lorsqu’elle résulte d’un environnement coercitif (emprise hiérarchique ; peur de représailles), et éviter toute victimisation secondaire. La France manque à ses obligations positives lorsque l’interprétation des éléments constitutifs (contrainte, etc.) occulte l’absence de consentement et la dynamique d’emprise.

Volet procédural : Défaillances dans l’investigation (saisies/perquisitions tardives ou absentes, effacement de données, non-exploitation téléphonique), formalisme judiciaire (irrecevabilité d’appels, refus de requalification) → ineffectivité de la réponse pénale.

Solution : Violation des articles 3 et 8 (volets matériel et procédural). Satisfaction équitable : 15 500 € (préjudice moral) + 15 000 € (frais et dépens) pour E.A. ; 5 000 € (frais et dépens) pour l’AVFT.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CEDH, 5e sect., 4 sept. 2025, E.A. et AVFT c. France, n° 30556/22 

CEDH, 5e sect., 24 avr. 2025, L. et autres c. France, n° 46949/21 

CEDH, 1re sect., 27 mai 2021, J.L. c. Italie, n° 5671/16 

CEDH, 4 déc. 2003, M.C. c. Bulgarie, n° 39272/98 

CEDH, 5e sect., 23 janv. 2025, H.W. c. France, n° 13805/21 

Jurisprudence interne citée par la CEDH (sur la contrainte/sidération)

Cass. crim., 25 oct. 1994, n° 94-83.726 

Cass. crim., 8 févr. 1995, n° 94-85.202 

Cass. crim., 21 févr. 2007, n° 06-88.735

3.2 Textes légaux 

Code pénal – art. 222-22 (agression sexuelle) ; 222-23 (viol) ; 222-22-1 (précisions sur contrainte/surprise/vulnérabilité) ; 222-33 (harcèlement sexuel). 

Code de procédure pénale – art. 179, 186-3, 469, 52-1, D15-4-4 

4. Analyse juridique approfondie

4.1 Décryptage du raisonnement

Pivot : le consentement. La CEDH réaffirme que la non-consentement est central à la définition des violences sexuelles ; la preuve ne saurait reposer exclusivement sur des indices de violence matérielle si un climat d’emprise et des menaces professionnelles pèsent sur la victime. L’abus d’autorité et la sujétion créent un environnement coercitif viciant le consentement.

Procédure : les carences d’enquête (collecte/préservation des preuves numériques et médicales, perquisitions tardives) et les verrous procéduraux (irrecevabilités, refus de requalification) ont neutralisé l’effectivité de la répression.

Victimisation secondaire : l’argumentation interne s’appuie sur des stéréotypes (poursuite de relations/échanges après les faits, existence d’un « contrat ») et invisibilise le retrait du consentement et l’emprise hiérarchique.

4.2 Confrontation à la jurisprudence antérieure

M.C. c. Bulgarie (2003) : déjà exigence d’un cadre pénal effectif réprimant tous les actes non consentis ; l’arrêt E.A. s’inscrit dans ce sillage. 

J.L. c. Italie (2021) : condamnation de l’usage de stéréotypes portant sur la vie intime de la plaignante ; E.A. renforce cette ligne sur la non-revictimisation. 

L. et autres c. France (2025) : condamnation de lectures formalistes du droit français en matière de non-consentement ; E.A. élargit le champ aux adultes en milieu professionnel et souligne l’importance des rapports de pouvoir. 

H.W. c. France (2025) : autonomie sexuelle au sein du couple ; convergence avec E.A. sur l’exigence d’une approche centrée sur le consentement. 

4.3 Impact pratique (France)

Droit positif : Les articles 222-22 et 222-23 CP restent centrés sur «violence/contrainte/menace/surprise ».

L’arrêt E.A. presse une lecture (ou réforme) axée sur le non-consentement, intégrant les dynamique d’emprise et abus d’autorité.

Procédure pénale : nécessité de préserver systématiquement les preuves numériques, d’audiencer sans délai, et de faciliter la requalification pour éviter l’impunité.

5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos dossiers de violences/harcèlement (pénal, prud’homal, hospitalier).

Sécuriser la stratégie probatoire (préservation des preuves numériques ; gestion chronologique des faits ; expertises).

Optimiser l’articulation pénal/civil/administratif et la communication judiciaire (éviter la revictimisation, référentiels CEDH).

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