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Salarié protégé & PSE : le juge judiciaire est incompétent après autorisation IT

Le 11 septembre 2025
Salarié protégé & PSE : le juge judiciaire est incompétent après autorisation IT
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1. Résumé succinct

Parties — Salariés protégés : M. [K] et M. [T] ; employeur : société Venator France (ex-Huntsman P&A France SAS).

Juridiction – Chambre – Date – Pourvois — Cour de cassation, chambre sociale, 10 septembre 2025, n° J 24-11.282 & K 24-11.283 (jonction), arrêt n° 770 

Nature du litige — Licenciement économique de salariés protégés dans le cadre d’un PSE ; compétence du juge judiciaire face à une autorisation administrative définitive ; portée de l’obligation de reclassement (interne/externe) ; effets d’une clause PSE « 3 offres fermes d’emploi ».

Effet direct sur la pratique/jurisprudence — Confirmation ferme : en présence d’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, le juge judiciaire ne peut pas apprécier la cause réelle et sérieuse ni le respect de l’obligation de reclassement (même conventionnelle).

Le contrôle du reclassement externe n’incombe pas à l’inspecteur du travail ; la contestation de son respect est inopérante pour la question préjudicielle. Par ailleurs, une clause PSE dispensant l’employeur de proposer « 3 OFE » s’applique si le salarié mène un projet de création/reprise d’entreprise pendant le congé de reclassement.

2. Analyse détaillée

Les faits 

4 avr. 2017 : présentation d’un projet de réorganisation (fermeture du site de [Localité 4]) impliquant des licenciements économiques.

20 juil. 2017 : signature d’un accord PSE « Huntsman P&A France SAS ». 31 juil. 2017 : validation par la DIRECCTE Hauts-de-France.

30 nov. 2017 (M. [T]) et 8 juin 2018 (M. [K]) : autorisations de licenciement par l’inspecteur du travail, non contestées.

8 janv. 2018 (T) & 29 juin 2018 (K) : licenciements notifiés.

Après licenciement : saisine prud’homale (contestations multiples, dont respect de l’obligation de reclassement externe et application de la clause PSE « 3 OFE »).

CA Douai, 20 oct. 2023 : incompétence du juge judiciaire pour apprécier la cause réelle et sérieuse, refus de question préjudicielle, rejet des demandes de dommages-intérêts PSE. (Référence de la décision attaquée : CA Douai, 20 oct. 2023, RG 21/01383 & autre.) 

Cassation, 10 sept. 2025 : rejet des pourvois.

La procédure

Prud’hommes : contestation du licenciement économique (cause réelle et sérieuse), manquements de reclassement externe (articles L. 1233-4 c. trav. & art. 16 de l’accord « Politique de l’emploi – Chimie »), demande de question préjudicielle (art. 49 CPC).

CA Douai (20 oct. 2023) : confirme l’incompétence du juge judiciaire pour apprécier le bien-fondé (autorisation administrative définitive) ; refuse la question préjudicielle (pas de difficulté sérieuse) ; déboute des demandes PSE.

Cass. soc. (10 sept. 2025) : rejet des trois moyens (question préjudicielle ; compétence du juge judiciaire ; clause « 3 OFE »).

Contenu de la décision

Arguments des salariés 

Moyen 1 (compétence) : malgré l’autorisation IT, le juge judiciaire resterait compétent pour vérifier le reclassement externe (écrit, précis, personnalisé) et l’application de la clause PSE « 3 OFE » ; à défaut, question préjudicielle (art. 49 CPC).

Moyen 2 (PSE) : la clause « 3 OFE » devait s’appliquer, le projet de création d’entreprise ne privant pas le salarié du droit à des offres fermes.

Moyen 3 (question préjudicielle préalable) : l’autorisation ne viserait pas la transmission effective des offres extérieures (CNP Emploi), ce qui révélerait une difficulté sérieuse justifiant le renvoi au juge administratif.

Raisonnement de la Cour de cassation

Séparation des pouvoirs & portée de l’autorisation : « Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l’état d’une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif […] ou le respect […] de l’obligation de reclassement ».

Question préjudicielle (art. 49 CPC) : rappel de la règle ; pas de difficulté sérieuse ici ; et le respect du reclassement externe n’entre pas dans le contrôle de l’IT, ainsi que l’a jugé le CE, 2 mars 2022, n° 442578 ; la critique est donc inopérante. ; v. CE, 2 mars 2022, n° 442578. 

Clause PSE « 3 OFE » : l’article 4.1.b de l’accord PSE (20 juil. 2017) prévoit expressément des exceptions, notamment en cas de projet de création/reprise pendant le congé de reclassement ; la preuve des projets (2017–2019) est rapportée ; l’employeur est donc libéré de l’obligation de « 3 OFE ».

Solution

Rejet des pourvois ; dépens à la charge des salariés ; art. 700 CPC rejeté.

3. Références juridiques 

3.1. Jurisprudence 

Cass. soc., 10 sept. 2025, n° J 24-11.282 & K 24-11.283 (FS-B) 

CE, 2 mars 2022, n° 442578 (reclassement, champ du contrôle IT ; pas de contrôle de l’externe) 

Cass. soc., 9 sept. 2020, n° 18-25.220 & 18-25.221 (salarié protégé, autorisation IT ; incompétence du juge judiciaire pour la cause éco & reclassement) 

(Pour mémoire récente) Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-14.415 (question préjudicielle, art. 49 CPC) 

CA Douai, 20 oct. 2023 (décisions attaquées, RG 21/01383 s. & 21/01388 s.) 

3.2. Textes légaux

Loi des 16-24 août 1790 (organisation judiciaire – séparation des autorités) 

Décret du 16 fructidor an III (2 sept. 1795) 

CPC, art. 49 (question préjudicielle) 

CPC, art. 378 (sursis à statuer) 

Code du travail, art. L. 1233-4 (obligation de reclassement : écrit/précis & personnalisation depuis Ord. 2017-1387)

Accord du 15 janv. 1991 (Industries chimiques) – Politique de l’emploi (référence conventionnelle citée par la Cour), comprenant l’accord du 15 janv. 1991). 

4. Analyse juridique approfondie

A. Portée de la séparation des pouvoirs (salariés protégés)

La chambre sociale réaffirme que dès lors que l’autorisation de licenciement est définitive, le juge judiciaire n’a pas à revoir ni la cause économique, ni le reclassement (qu’il soit légal ou conventionnel), car ces éléments relèvent du contrôle préalable de l’administration (IT/Ministre) et, en cas de recours, du juge administratif. Cette ligne est strictement conforme au cadre de 1790/1795 (séparation) et à la construction antérieure (Cass. soc., 9 sept. 2020, nos 18-25.220/221). 

B. Question préjudicielle (art. 49 CPC) : rôle et limites

La Cour rappelle qu’une question préjudicielle suppose une difficulté sérieuse relevant de l’ordre administratif. Or, la critique portée par les salariés (transmission d’offres externes) est inopérante : le CE (2 mars 2022) a tranché — l’IT ne contrôle pas le reclassement externe, mais seulement la recherche sérieuse de reclassement interne (au périmètre de permutation). Donc pas de difficulté sérieuse ; pas de renvoi. 

C. Clause PSE « 3** OFE** » : exception « projet d’entreprise »

Lecture littérale et finaliste de l’article 4.1.b du PSE (20 juil. 2017) : en cas de projet de création/reprise d’entreprise pendant le congé de reclassement, l’engagement du cabinet (« 3 offres fermes d’emploi ») ne s’impose pas.

La Cour constate deux projets réels (suivis/validés) en 2017–2019 et en déduit la libération de l’employeur de cette obligation quantitative. Conséquence pratique : les salariés ne peuvent pas fonder une absence de cause réelle et sérieuse sur le défaut de « 3 OFE » lorsque l’exception est établie.

D. Intégration dans la jurisprudence antérieure

Alignement intégral avec Cass. soc., 9 sept. 2020 : en cas d’autorisation IT pour motif économique, le juge judiciaire ne contrôle ni la cause éco ni le reclassement (même conventionnel). 

Articulation “49 CPC” cohérente avec la pratique des chambres civiles (v. Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-14.415). La difficulté sérieuse est appréciée strictement.

Référence déterminante au CE 2022 : délimitation du pouvoir de contrôle de l’IT (interne oui / externe non), base de l’inopérance du moyen. 

5.  Critique de la décision
L’arrêt consolide une ligne claire pour les salariés protégés : l’accès au juge judiciaire pour discuter la cause et le reclassement est clos une fois l’autorisation définitive. La voie pertinente est administrative.

La solution est prévisible au regard de 2020 et de la position du CE en 2022.

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