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Produits défectueux : point de départ « cognitif » de la prescription

Le 04 octobre 2025
Produits défectueux : point de départ « cognitif » de la prescription
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1.  Résumé succinct

Parties : Consorts [E] (ayants droit de [K] [E]) c/ SAS Les Laboratoires Servier ; CPAM du Rhône mise en cause.

Juridiction  : Cour de cassation, 1re chambre civile, 4 juin 2025, n° 24-13.470 – Cassation – Publié au Bulletin.

Nature du litige : Responsabilité du fait des produits défectueux (Mediator) – prescription d’une action engagée pour un produit mis en circulation entre l’expiration du délai de transposition de la directive 85/374/CEE et l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998.

Portée immédiate : Le délai interne de l’ancien art. 2270-1 C. civ. (10 ans) s’interprète à la lumière de l’art. 10 de la directive : en cas de dommage corporel, 10 ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance de la consolidation du dommage, du défaut et de l’identité du producteur. La cour d’appel de Lyon est cassée pour avoir fixé le point de départ au seul décès (23 juill. 1997).

2.Analyse détaillée

Les faits 

Oct. 1992 – 23 juill. 1997 : traitement de [K] [E] par Mediator (Laboratoires Servier). Décès le 23/07/1997.

21 déc. 2012 : saisine ONIAM par les ayants droit, imputant le décès au médicament.

11 mai 2022 : assignation en référé des Laboratoires Servier (art. 145 et 835, al. 2 CPC) pour expertise + provision ; CPAM du Rhône appelée. La société oppose la prescription.

Contexte scientifique : la cour d’appel avait constaté qu’en 2009 des études ont mis en évidence le risque de valvulopathie et, plus tard, d’HTAP lié au Médiator.

La procédure

CA Lyon, 10 janv. 2024 : rejette les demandes ; retient que l’ancien art. 2270-1 C. civ. fait courir la prescription à la manifestation du dommage (ici, décès 1997), donc action « manifestement vouée à l’échec » en 2022.

Pourvoi des consorts [E] : grief de ne pas avoir interprété l’art. 2270-1 à la lumière de l’art. 10 de la directive (connaissance du dommage, du défaut et du producteur).

Cassation (4 juin 2025) : cassation totale et renvoi devant CA Dijon.

Contenu de la décision

Arguments

Demandeurs : pour les produits mis en circulation post-délai de transposition / pré-loi de 1998, l’art. 2270-1 doit être interprété à la lumière de la directive (art. 10) ; le point de départ ne se réduit pas au décès.

Défense Servier : prescription acquise (décès = manifestation du dommage → 10 ans).

Raisonnement de la Cour

Rappel des textes :

Ancien art. 2270-1 C. civ. : « Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation » ; en cas de dommage corporel, point de départ = consolidation

Art. 10, dir. 85/374/CEE : action en réparation prescrite en trois ans à compter de la connaissance du dommage, du défaut et du producteur (rappelé par la Cour). NB : lien direct non fourni car hors bases autorisées ; la Cour reprend ce contenu.

Interprétation conforme : obligation d’interprétation à la lumière de la directive (jurisprudence CJUE Adeneler, Impact, Popławski) sans contra legem.
Règle posée : pour un produit mis en circulation après l’expiration du délai de transposition mais avant la loi 98-389, l’action se prescrit selon le droit interne, interprété à la lumière de l’art. 10 dir. 85/374 : 10 ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance (i) de la consolidation du dommage, (ii) du défaut, (iii) de l’identité du producteur.

Censure : la CA avait elle-même constaté l’émergence des connaissances scientifiques en 2009 ; en fixant le point de départ au 23/07/1997 sans égard à la connaissance du défaut et du producteur, elle viole l’art. 2270-1 éclairé par l’art. 10.

Solution
Cassation totale ; renvoi CA Dijon ; dépens et 3 000 € (art. 700 CPC) à la charge de Servier.


3.Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 1re, 4 juin 2025, n° 24-13.470 – Publié au Bull. – Lien officiel (Cour de cassation) 

Cass. civ. 1re, 25 mai 2023, n° 21-23.174 (rapp. dans l’arrêt) 

Cass. civ. 1re, 27 oct. 1982, n° 81-14.386 (impossibilité d’agir) 

Cass. civ. 2e, 22 mars 2005, n° 03-30.551 (impossibilité d’agir) 

(La décision cite aussi CJUE, 4 juill. 2006, Adeneler, C-212/04 ; 15 avr. 2008, Impact, C-268/06 ; 24 juin 2019, Popławski, C-573/17. Lien non disponible sur une base officielle française autorisée à la date de rédaction ; références confirmées par le texte de l’arrêt.)

3.2 Textes légaux 

Ancien article 2270-1 du Code civil (version en vigueur du 1er janv. 1986 au 18 juin 1998) :
« Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. » 
(Version 16 juin 1998 – 19 juin 2008)

Directive 85/374/CEE du 25 juill. 1985 – art. 10 : rappelé par l’arrêt (point 7) : délai 3 ans à compter de la connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur. Lien non disponible sur une base officielle française autorisée ; contenu repris textuellement par l’arrêt.

4. Analyse juridique approfondie

Principe dégagé : En « période interstitielle » (produit post-délai de transposition / pré-loi 1998), le droit interne s’applique interprété à la lumière de la directive. Concrètement, le délai de 10 ans (ancien art. 2270-1) ne court qu’à compter du cumul de trois connaissances + la consolidation du dommage :

(1) consolidation du dommage corporel ; (2) connaissance du défaut ; (3) connaissance de l’identité du producteur.

Articulation avec la jurisprudence antérieure : La Cour s’appuie sur la suspension en cas d’impossibilité d’agir (construction prétorienne pré-2008), pour éviter une interprétation contra legem. Cela consolide une lecture téléologique de la prescription en matière de produits défectueux. 

Effets pratiques :

Pour les dossiers Mediator (et plus largement, produits mis en circulation avant la loi de 1998), la date-clé peut devenir 2009 (mise en évidence scientifique du défaut), et non la date du décès. L’assignation en 2022 n’était pas nécessairement prescrite si la connaissance des trois éléments est postérieure à 2009 et dans les 10 ans suivant la consolidation.

En référé art. 145 CPC, l’exception de prescription ne suffit plus si l’incertitude demeure sur la date exacte de la triple connaissance + consolidation.

Comparaison : L’arrêt clarifie l’articulation directive/droit interne différemment des approches focalisées sur la seule « manifestation du dommage ». Il aligne l’ancien droit avec la finalité protectrice de la directive sans imposer la prescription triennale de l’art. 10 (qui reste du droit de l’UE) : on garde 10 ans, mais avec un point de départ cognitif.

5. Accompagnement personnalisé

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