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La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire (2 rue du Corps de Garde, 44600), intervient notamment en droit de la consommation et droit des contrats, avec une pratique régulière des litiges liés aux formations à distance, crédits et droits de rétractation des consommateurs. Le cabinet publie des analyses jurisprudentielles thématiques (droit de la consommation, responsabilité, construction, etc.) sur son site, organisées en rubriques spécialisées.
1. Résumé de la décision
Parties
Demanderesse au pourvoi :
Société d’exploitation de l’Institut européen de langues (Seiel) – Groupe Capitole, SARL de formation linguistique, proposant notamment des formations exclusivement à distance.
Défenderesse au pourvoi :
Mme [Z] [V], consommatrice, élève inscrite à une formation de langues.
Juridiction : Cour de cassation, première chambre civile, 5 novembre 2025 Pourvoi n° 23-22.883
Décision attaquée : CA Toulouse, 1re ch., sect. 1, 25 sept. 2023, n° 21/00717
Nature du litige
Litige de droit de la consommation concernant un contrat de formation linguistique à distance :
Qualification du contrat : contrat à distance au sens de l’article L. 221-1 du code de la consommation, transposant l’article 2, point 7, de la directive 2011/83/UE.
Point de départ et exercice du droit de rétractation de 14 jours (art. L. 221-18 C. cons.). Légifrance
Articulation avec les articles 1113 et 1121 du code civil sur la formation et le lieu de conclusion du contrat.
Effet de la décision sur la jurisprudence et les pratiques
La première chambre civile pose une règle de portée générale :
Dans un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, le fait que l’offre signée soit ultérieurement remise physiquement dans les locaux du professionnel, sans aucune négociation à ce moment-là, est sans influence sur la qualification de contrat à distance.
Elle ajoute que les dispositions de l’article 1121 du code civil (lieu où l’acceptation parvient à l’offrant) sont indifférentes pour cette qualification et ne jouent qu’à titre de règle de localisation/point de départ du délai de rétractation.
Conséquence pratique :
Un professionnel ne peut plus tenter de « requalifier » en contrat conclu en établissement un contrat négocié et signé à distance, au seul motif que le client vient déposer ensuite le dossier dans ses locaux.
2. Analyse détaillée
2.1. Les faits : chronologie complète
Appel initial – 14 septembre 2020
À la suite d’un appel téléphonique de Mme V., la société Seiel lui adresse, par courriel, une brochure de présentation de la formation, indiquant notamment la possibilité d’un enseignement exclusivement à distance, ainsi qu’un dossier d’inscription accompagné d’un formulaire de rétractation.
Signature du contrat – 15 septembre 2020
Mme V. remplit et signe le dossier d’inscription à son domicile.
Les conditions générales prévoient que l’inscription est « validée par la constitution d’un dossier complet » et la société Seiel ne se réserve aucun droit d’agrément des candidats : l’acceptation pure et simple de l’offre suffit donc à former le contrat.
Remise du dossier dans les locaux – 16 septembre 2020
Mme V. se présente ensuite dans les locaux de la société Seiel pour y déposer physiquement son dossier signé.
Aucun élément du dossier ne fait apparaître de négociation ou de modification du contrat au moment de cette remise.
Exercice du droit de rétractation – 22 septembre 2020
Mme V. adresse à la société Seiel un courrier recommandé avec AR, par lequel elle exerce son droit de rétractation, en utilisant le formulaire joint au dossier d’inscription.
Refus de remboursement
La société Seiel refuse de rembourser les sommes déjà payées, soutenant que le contrat ne serait pas un contrat à distance, mais un contrat conclu dans ses locaux à la date de dépôt du dossier.
Assignation – 16 octobre 2020
Mme V. assigne la société Seiel en justice pour obtenir la restitution des sommes versées, soit 7 030 €.
2.2. La procédure
Première instance
La juridiction de première instance (non précisée par l’arrêt de cassation) fait droit à la demande de Mme V. et reconnaît la validité du droit de rétractation.
Cour d’appel de Toulouse – 25 septembre 2023
La CA Toulouse (1re ch., sect. 1) confirme la condamnation de la société Seiel à :
rembourser 7 030 € à Mme V.,
payer les intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2020,
verser 1 000 € au titre de l’article 700 du CPC.
La cour d’appel qualifie le contrat de contrat à distance et considère que le droit de rétractation a été exercé régulièrement.
Pourvoi en cassation
La société Seiel se pourvoit en cassation, invoquant un moyen unique (six branches) dirigé principalement contre :
la qualification du contrat en contrat à distance,
le point de conclusion du contrat au regard des articles 1113 et 1121 C. civ.,
la validité du droit de rétractation exercé.
Arrêt de la Cour de cassation – 5 novembre 2025
La première chambre civile, en formation de section, rejette le pourvoi.
Les branches 3 à 6 du moyen sont écartées par une formule de rejet non spécialement motivé sur le fondement de l’article 1014, al. 2, du CPC.
2.3. Le moyen de cassation (1re et 2e branches)
La société Seiel critique la qualification de contrat à distance :
Argument 1 – violation des articles 1113, 1121 C. civ. et L. 221-1 C. cons.
Elle soutient que le contrat n’est conclu que lorsque l’acceptation parvient à l’offrant (art. 1121 C. civ.).
Selon elle, le contrat n’aurait été conclu que le 16 septembre 2020, date du dépôt du dossier dans les locaux, de sorte qu’il ne s’agirait pas d’un contrat à distance.
Argument 2 – défaut de recherche sur la date de réception de l’acceptation
Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’acceptation avait été transmise à la société avant la remise physique du dossier en ses locaux.
À défaut de cette recherche, la qualification de contrat à distance serait, selon elle, dépourvue de base légale.
2.4. Le raisonnement de la Cour de cassation
a) Rappel des textes applicables
Article L. 221-1 C. cons. (version issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, en vigueur au moment des faits) :
définit notamment le contrat à distance comme un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation à distance, sans présence physique simultanée, par recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance, jusqu’à la conclusion du contrat.
Cette définition transpose l’article 2, point 7, de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs.
Article L. 221-18 C. cons. :
consacre un délai de 14 jours pour exercer le droit de rétractation d’un contrat conclu à distance ou hors établissement, courant, pour un contrat de services, à compter du jour de la conclusion du contrat.
Articles 1113 & 1121 C. civ. :
art. 1113 : le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation manifestant la volonté de s’engager ;
art. 1121 : le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant et est réputé l’être au lieu où cette acceptation est parvenue.
b) Portée normative dégagée par la Cour
La Cour énonce deux affirmations centrales :
Indifférence des modalités matérielles de remise de l’offre signée
Dans un système organisé de vente ou de prestation à distance, la manière dont l’offre signée par le consommateur est matériellement remise au professionnel (envoi postal, dépôt en agence, etc.) est sans influence sur la qualification du contrat comme contrat à distance, dès lors que :
l’offre a été reçue et signée en dehors des locaux,
aucune négociation n’intervient au moment de la remise.
Indifférence de l’article 1121 C. civ. pour la qualification
L’article 1121, qui fixe le moment et le lieu de conclusion du contrat, peut servir à déterminer le point de départ du délai de rétractation de l’article L. 221-18 C. cons., mais il est sans incidence sur la qualification de contrat à distance.
c) Application au cas d’espèce
La Cour approuve la cour d’appel :
Système organisé de prestation à distance
La société Seiel avait mis en place un système organisé de formation à distance, attesté par :
l’envoi par courriel d’une brochure et d’un dossier d’inscription pour une formation réalisable exclusivement à distance,
un formulaire de rétractation indiquant la possibilité d’envoyer le dossier par courrier.
Formation du contrat à domicile
Les conditions générales prévoyaient que l’inscription était validée par la constitution d’un dossier complet, sans droit d’agrément de la société.
L’acceptation de Mme V. est donc intervenue le 15 septembre 2020, à son domicile, lors de la signature du dossier.
Remise ultérieure du dossier, sans négociation
Le dépôt du dossier dans les locaux de la société, le 16 septembre 2020, ne s’est accompagné d’aucune négociation : il ne s’agit que d’une modalité pratique de transmission, indifférente à la qualification de contrat à distance.
Exercice régulier du droit de rétractation
Mme V. a exercé son droit de rétractation, conformément aux conditions générales et au formulaire type, par lettre recommandée du 22 septembre 2020, soit dans le délai de 14 jours courant à compter de son acceptation du 15 septembre 2020.
d) Solution
La Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la solution de la cour d’appel :
– le contrat est un contrat à distance ;
– le droit de rétractation a été exercé régulièrement ;
– la société Seiel demeure tenue au remboursement des 7 030 €, avec intérêts et frais. Légifrance
3. Références juridiques
3.1. Décision analysée
Cass. civ. 1re, 5 nov. 2025, n° 23-22.883,
3.2. Textes légaux applicables
Article L. 221-1 C. cons. (définition du contrat à distance)
Version issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, en vigueur au moment des faits.
Article L. 221-18 C. cons. (droit de rétractation de 14 jours)
Articles 1113 et 1121 C. civ. (formation du contrat – réception de l’acceptation)
Art. 1113 : définition de la formation du contrat par la rencontre de l’offre et de l’acceptation.
Art. 1121 : contrat conclu lorsque l’acceptation parvient à l’offrant, réputé l’être au lieu où elle parvient.
Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, art. 2, point 7
Définition autonome du « contrat à distance », reprise par l’art. L. 221-1 C. cons.
Arrêté du 29 mai 2020 définissant le modèle de contrat d’enseignement à distance
Rappelle que, dans le cadre d’un contrat conclu à distance au sens de L. 221-1, l’élève bénéficie d’un droit de rétractation de 14 jours (référence explicite à l’art. L. 221-18).
Aucun texte cité ci-dessus ne présente de problème d’accessibilité : aucun « lien non disponible » à signaler.
3.3. Jurisprudence antérieure pertinente
Cass. civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-22.525, publié au Bulletin
Extension de la protection du code de la consommation à certains professionnels (art. L. 221-3 C. cons.) pour des contrats conclus hors établissement (démarchage pour insertion publicitaire).
Cass. civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 19-18.242, inédit
Application combinée des articles L. 221-18 et L. 221-20 C. cons. sur la prolongation du délai de rétractation en cas de défaut d’information du consommateur.
Cass. civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-25.671, inédit
Contrat de fourniture et d’installation d’un système photovoltaïque conclu hors établissement, combiné à un crédit affecté, avec mise en œuvre du droit de rétractation et sanction par la nullité.
Ces décisions montrent une construction progressive du régime des contrats conclus à distance ou hors établissement et du droit de rétractation, que l’arrêt du 5 novembre 2025 vient compléter sur le terrain de la qualification même du contrat.
4. Analyse juridique approfondie
4.1. Clarification décisive de la notion de « contrat à distance »
L’arrêt du 5 novembre 2025 apporte une précision importante :
La qualification de contrat à distance dépend :
de l’existence d’un système organisé de vente ou de prestation à distance ;
de l’absence de présence physique simultanée du professionnel et du consommateur jusqu’à la conclusion du contrat ;
de l’usage exclusif de moyens de communication à distance jusqu’à cette conclusion.
Elle ne dépend pas :
du mode de remise matérielle du contrat signé (dépôt au centre, envoi postal, etc.), dès lors que cette remise n’est pas l’occasion d’une négociation ;
ni des règles civiles de localisation de la conclusion (art. 1121 C. civ.).
Ainsi, une stratégie consistant à faire signer le consommateur chez lui, puis à lui imposer un dépôt en centre pour prétendre sortir du champ du contrat à distance est neutralisée.
4.2. Articulation entre droit civil général et droit de la consommation
Les articles 1113 et 1121 C. civ. demeurent pleinement applicables pour déterminer quand et où le contrat est conclu.
Mais la Cour rappelle, en creux, que les catégories protectrices du code de la consommation (contrat à distance / hors établissement) ont une finalité autonome, directement issue du droit de l’Union.
En d’autres termes :
Le lieu juridique de conclusion au sens de l’article 1121 ne suffit pas à faire échapper un contrat aux garanties spéciales du consommateur, lorsqu’objectivement, le processus contractuel relève d’un système organisé à distance.
4.3. Inscription dans la construction jurisprudentielle
2019 (18-22.525) : la Cour rappelle que la protection du code de la consommation peut bénéficier à certains professionnels démarchés, dès lors que le contrat n’entre pas dans le champ principal de leur activité.
2021 (19-18.242) : elle précise les modalités du délai de rétractation et sa prolongation en cas de défaut d’information.
2023 (21-25.671) : elle confirme la sanction (nullité, restitution, remise en état) en cas de non-respect du régime des contrats hors établissement, notamment pour des installations énergétiques financées par crédit.
L’arrêt 2025 franchit une étape supplémentaire : il ferme la voie à un argument très fréquemment invoqué par les professionnels :
« Le contrat n’est pas à distance parce que le client est venu déposer le dossier / signer une dernière mention dans nos locaux. »
Désormais, ce type d’argument est voué à l’échec si :
la phase essentielle de conclusion (signature de l’offre prédéfinie) s’est déroulée hors des locaux,
la rencontre de l’offre et de l’acceptation résulte d’un processus entièrement à distance,
le passage en centre est purement formel et sans négociation.
4.4. Conséquences pratiques pour les acteurs
Pour les consommateurs / élèves
Vous conservez le droit de rétractation de 14 jours dès lors que :
vous avez reçu une offre standardisée par mail, courrier, plateforme ;
vous l’avez signée chez vous, sans présence du professionnel ;
vous l’avez éventuellement déposée ensuite en centre sans renégociation.
Il est essentiel de :
dater la signature,
conserver une copie du contrat et du formulaire de rétractation,
envoyer la rétractation avant l’expiration des 14 jours à compter de la signature, par un moyen permettant d’en prouver la réception (LRAR, mail avec accusé, etc.).
Pour les organismes de formation et autres professionnels
L’arrêt impose d’adapter les processus contractuels :
attester clairement si la formation est proposée exclusivement à distance ;
intégrer systématiquement un formulaire de rétractation conforme à l’article L. 221-18 C. cons. ;
éviter toute pratique trompeuse consistant à faire croire que le passage ultérieur en centre ferait perdre la protection du « contrat à distance ».
À défaut, les professionnels s’exposent à :
des actions en restitution (remboursement intégral),
une remise en cause des financements liés (crédits affectés, paiements échelonnés),
des risques de contentieux de masse si le modèle contractuel est systémique.
5. Critique de la décision
5.1. Qualité des sources
Points forts :
Interprétation conforme au droit de l’Union, en privilégiant une vision fonctionnelle de la notion de contrat à distance.
Protection efficace du consommateur contre des stratégies de contournement (dépôt en agence, signatures « finales » en centre).
Cohérence avec la jurisprudence antérieure attachée au caractère effectif du droit de rétractation (2019, 2021, 2023).
Points de vigilance / questions ouvertes :
L’arrêt vise le cas où aucune négociation n’intervient au moment de la remise du dossier ; il restera à préciser la solution si le professionnel tente de renégocier certaines clauses en agence.
La frontière entre contrat à distance et contrat hors établissement peut encore susciter des hésitations, notamment lorsque le premier contact est téléphonique, mais que la signature intervient en présence physique du commercial au domicile du client (schéma différent de la présente affaire).
6. Accompagnement juridique par la SELARL PHILIPPE GONET
Dans le prolongement de cette décision, la SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut vous assister :
Côté consommateurs / élèves :
audit de vos contrats de formation à distance,
vérification de la qualification juridique (contrat à distance / hors établissement),
mise en œuvre du droit de rétractation et actions en remboursement des sommes versées,
coordination avec d’éventuels crédits affectés ou financements.
Côté organismes de formation / écoles de langues :
mise en conformité des processus contractuels (contrats types, mentions d’information, formulaires de rétractation),
gestion des litiges individuels ou récurrents avec des élèves,
accompagnement stratégique pour limiter le risque contentieux et améliorer la sécurité juridique de vos activités.
En cas de contrat de formation signé à domicile ou par internet, assorti d’un dépôt ultérieur du dossier en centre, il est opportun de faire vérifier la régularité du montage avant toute action ou refus de remboursement.
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