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Clauses abusives & faillite — contrôle d’office et mesures provisoires

Le 03 septembre 2025
Clauses abusives & faillite — contrôle d’office et mesures provisoires
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1. Résumé succinct

Parties : R.S. (consommateur en faillite personnelle) c/ G. S.A. (banque) ; avec intervenants (mandataires liquidateurs et créanciers).

Juridiction  Cour de justice de l’Union européenne, quatrième chambre, 3 juillet 2025, C-582/23 (Wiszkier)

Nature du litige : Interprétation des articles 6§1 et 7§1 de la directive 93/13/CEE (clauses abusives) dans le cadre d’une faillite personnelle : (i) pouvoir du tribunal de la faillite d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause à l’origine d’une créance inscrite sur la liste ; (ii) pouvoir d’ordonner des mesures provisoires (p. ex. réduire les retenues salariales alimentant la masse) pour assurer l’effectivité de la protection.

Effet direct sur la pratique : La CJUE juge que des règles nationales liant le tribunal de la faillite à une liste de créances sans contrôle d’office des clauses et interdisant des mesures provisoires violent le principe d’effectivité consacré par la directive 93/13 : le juge de la faillite doit contrôler d’office et doit pouvoir ordonner des mesures provisoires adéquates.

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits

30 mars 2007 : R.S., son épouse et deux personnes concluent avec G. S.A. un crédit hypothécaire indexé sur CHF (489 821,63 PLN – 360 mois).

15 octobre 2019 : Faillite personnelle de R.S. ; un liquidateur est nommé.

26 avril 2021 : Le juge-commissaire approuve la liste des créances établie par le liquidateur (principalement celles de la banque G.). Aucune opposition ; R.S. reconnaît ces créances.

20 juillet 2023 : Faillite de la banque G. ; poursuite avec son liquidateur.

2 août 2023 : Décision de renvoi préjudiciel du Sąd Rejonowy dla Łodzi-Śródmieścia w Łodzi (tribunal d’arrondissement de Łódź – centre-ville).

14 novembre 2024 : Audience devant la CJUE. 6 mars 2025 : conclusions de l’Avocat général. 3 juillet 2025 : arrêt de la CJUE.

Problème juridique : La juridiction de renvoi estime que le contrat de crédit contient des clauses potentiellement abusives (nullité possible), non examinées lors de l’établissement/approbation de la liste. Elle expose que le tribunal de la faillite ne peut pas, selon le droit national, réaliser lui-même ce contrôle ni ordonner des mesures provisoires (ex. réduction de retenues salariales).

2.2 La procédure

Niveau interne (PL) : procédure de faillite régie par la loi polonaise de 2003 sur la faillite (articles 151, 152, 236, 244, 260, 261, 49114, 49115, etc.). Le juge-commissaire vérifie/entérine la liste ; le tribunal de la faillite fixe le plan de remboursement qui clôt la procédure.

Renvoi préjudiciel (art. 267 TFUE) : deux questions sur la compatibilité de cette réglementation avec les articles 6§1 et 7§1 de la directive 93/13 au regard du principe d’effectivité.

CJUE : audience (14.11.2024), conclusions AG (06.03.2025), arrêt (03.07.2025).

2.3 Contenu de la décision

Arguments des parties et de la juridiction de renvoi

La juridiction de renvoi relève que le failli n’a pas été informé du caractère potentiellement abusif des clauses lors de la reconnaissance des créances ; son représentant a ensuite invoqué ce caractère devant la juridiction de renvoi. Invocations tardives → allongement de la faillite et retenues salariales qui perdurent, dissuadant le consommateur de se prévaloir de la directive 93/13.

Raisonnement de la CJUE

Article 6§1 (norme d’ordre public) et 7§1 : imposent un contrôle d’office par le juge national lorsqu’il dispose des éléments de droit et de fait ; les États doivent prévoir des moyens adéquats et efficaces pour faire cesser les clauses abusives. Référence à une construction jurisprudentielle constante (not. Ibercaja Banco C-600/19 ; Profi Credit Polska C-582/21). 

Principe d’effectivité : il est porté atteinte si la structure de la procédure décourage le consommateur d’invoquer la protection de la directive (ex. rallongement de la faillite + ponctions salariales).


Autorité de la chose jugée : ne fait pas obstacle à un contrôle d’office par le tribunal de la faillite si la liste a été approuvée sans examen du caractère abusif ; seule exception si le juge-commissaire a explicitement procédé à un tel examen (au moins sommaire et motivé) et que sa décision n’a pas été contestée dans le délai.

Mesures provisoires : pour garantir l’efficacité des droits issus de 93/13, le juge saisi du fond doit pouvoir ordonner des mesures provisoires adéquates (ici, réduction des retenues pendant l’examen des clauses), dans la lignée de Getin Noble Bank (C-287/22). 


Solution retenue (dispositif)

Les art. 6§1 et 7§1 s’opposent à une réglementation liant le tribunal de la faillite à une liste approuvée sans contrôle des clauses, l’empêchant de contrôler d’office et l’obligeant à sursis/renvoi.

Les mêmes textes s’opposent à l’absence de pouvoir d’ordonner des mesures provisoires (ex. réduire les retenues) durant l’examen du caractère abusif.

3.  Références juridiques

3.1 Jurisprudence

CJUE, 4e ch., 3 juill. 2025, C-582/23, Wiszkier 

CJUE (gr. ch.), 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco — contrôle d’office, autorité de la chose jugée, effectivité. 

CJUE (gr. ch.), 9 avr. 2024, C-582/21, Profi Credit Polska — effectivité, protection juridictionnelle effective. 

CJUE (9e ch.), 15 juin 2023, C-287/22, Getin Noble Bank — mesures provisoires requises pour l’effectivité. 

CJUE (gr. ch.), 17 mai 2022, C-725/19, Impuls Leasing România — contrôle d’office en phase d’exécution ; principe d’effectivité. 

CJUE (1re ch.), 6 oct. 2009, C-40/08, Asturcom Telecomunicaciones — passivité du consommateur & effectivité. 

CJUE (4e ch.), 9 juill. 2020, C-452/18, Ibercaja Banco — renonciation libre/éclairée (waiver) : conditions strictes. 

CJUE (gr. ch.), 25 nov. 2020, C-269/19, Banca B. — niveau élevé de protection du consommateur, mesures provisoires. 

CJUE (gr. ch.), 24 juin 2025, C-351/23, GR REAL — protection effective en exécution immobilière, articulation avec l’effectivité (tendance 2025). 

3.2 Textes légaux 

Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, art. 6§1 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs (…) ». (extrait)

Directive 93/13/CEE, art. 7§1 :
« Les États membres veillent à ce que (…) des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives (…) ». (extrait)

Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 47 (droit à un recours effectif et à un procès équitable) — version JO 2012/2016.

4. Analyse juridique approfondie

4.1 Décryptage du raisonnement

Ordre public de protection : la CJUE rappelle le caractère impératif de l’art. 6§1 ; le juge national doit contrôler d’office quand il dispose des éléments nécessaires (ligne Ibercaja Banco, C-600/19).

Effectivité : une organisation procédurale qui dissuade le consommateur (allongement de la faillite + retenues salariales) rend excessivement difficile l’exercice des droits (art. 6§1 et 7§1), contrevenant à la directive.

Chose jugée & listes de créances : l’approbation d’une liste sans contrôle des clauses n’empêche pas le juge de la faillite d’examiner d’office le contrat à l’origine de la créance ; seule exception si le juge-commissaire a expressément et motivement effectué ce contrôle (et que l’absence de recours a cristallisé sa décision).

Mesures provisoires : l’effectivité commande que le juge puisse adapter temporairement la situation (ici, réduire les retenues), pour éviter que la durée de la procédure anéantisse la protection (alignement explicite sur Getin Noble Bank, C-287/22). 

4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Contrôle d’office renforcé : continuité avec Asturcom (C-40/08) et Impuls Leasing România (C-725/19) sur l’obligation d’examiner d’office au stade de l’exécution/procédures spéciales. Wiszkier étend la logique au cadre des faillites personnelles. 

Chose jugée : Ibercaja Banco (C-600/19) admet que l’autorité de la chose jugée ne peut neutraliser l’examen d’office quand aucun contrôle n’a eu lieu ; Wiszkier transpose au lien entre liste des créances et plan de remboursement.

Renonciation : Ibercaja Banco (C-452/18) exige une renonciation libre et éclairée ; Wiszkier rappelle qu’une reconnaissance de créance sans information ne suffit pas à valider une renonciation.

Mesures provisoires : Getin Noble Bank (C-287/22) fonde l’exigence ; Wiszkier l’ancre dans la faillite, avec l’exemple concret de la réduction des retenues. 

Tendance 2025 : GR REAL (C-351/23) confirme le resserrement pro-consommateur sur l’exécution immobilière et la protection juridictionnelle effective, cohérente avec Wiszkier. 

4.3 Évolution des pratiques et intégration jurisprudentielle

Pour les juridictions nationales (dont FR) : dans toute procédure collective ou connexe (faillite, surendettement, exécution), le juge saisi du plan/étape terminale ne peut s’abriter derrière une liste de créances non-scrutinée : il doit contrôler d’office les clauses dès qu’il en a les éléments et peut (doit pouvoir) ordonner des mesures provisoires. 

Pratique contentieuse : nécessité de plaider l’absence de contrôle antérieur, de solliciter des mesures provisoires ciblées (ex. modulation des retenues) et d’écarter toute renonciation non « libre et éclairée »

5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer les dossiers de faillite/surendettement (crédits indexés, floor clauses, change CHF) pour détecter l’absence de contrôle antérieur et activer le contrôle d’office (Wiszkier).

Solliciter des mesures provisoires (réduction de retenues, suspension partielle) en se fondant sur Getin Noble Bank + Wiszkier.

Sécuriser la procédure (éviter une « renonciation » non éclairée, documenter les indices d’abus) et former les recours nécessaires.

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