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La présente analyse porte sur la remise en cause d’actes de disposition intervenus pendant l’Occupation, avec un enjeu concret : la restitution d’œuvres et la nullité d’une vente lorsque l’opération a été “encadrée” par une mesure exorbitante du droit commun (administration provisoire à des fins d’aryanisation).
La SELARL PHILIPPE GONET, avocat à Saint-Nazaire (2 rue du Corps de Garde, 44600), intervient notamment en droit patrimonial et contentieux, et accompagne ses clients en procédure devant les juridictions du ressort de la Cour d’appel de Rennes.
1) Résumé de la décision
La Cour de cassation casse partiellement un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait refusé d’annuler une vente aux enchères de juin 1942 au motif que la vente avait été engagée par les héritiers et poursuivie “comme prévu”. La Haute juridiction pose une règle désormais plus protectrice : dès lors qu’un administrateur provisoire nommé pour l’aryanisation intervient pendant l’acte et que sa nomination dessaisit le propriétaire/les ayants droit, l’acte doit être regardé comme accompli “en conséquence” de la mesure exorbitante, sauf si l’on prouve que cette nomination est restée sans aucun effet jusqu’à l’exécution complète de l’acte.
Parties impliquées (telles que publiées)
Demandeurs au pourvoi : ayants droit de [D] [Y], dont plusieurs personnes nommées/initialisées (liste en tête d’arrêt).
Défendeurs : État français (ministre de la culture), établissements publics de musées (désignés [21], [24] dans la décision), et plusieurs villes.
Juridiction : Cour de cassation – Première chambre civile – 26 novembre 2025 – pourvoi n° M 24-11.376 – Arrêt n° 772 FS-B+R –
Nature du litige
Demande d’annulation d’une vente aux enchères (24–27 juin 1942) et restitution d’œuvres, sur le fondement de l’article 1er de l’ordonnance du 21 avril 1945 (nullité de droit des actes de spoliation).
Effet direct sur la jurisprudence / les pratiques
La Cour affirme “il y a donc lieu de juger désormais” : l’acte reste soumis à l’article 1er dès lors que l’administrateur provisoire dessaisit et affecte l’acte, sauf preuve d’une nomination “demeurée sans aucun effet” jusqu’à exécution complète.
2) Analyse détaillée
A. Les faits
Résumé des faits
2 mai 1939 : [D] [Y] rédige un testament olographe et désigne un exécuteur testamentaire.
28 juillet 1941 : décès de [D] [Y].
24–27 juin 1942 : vente aux enchères publiques (445 œuvres) à l’initiative de l’exécuteur testamentaire, avec présence de certains héritiers exerçant un droit de retrait sur 46 œuvres.
24 juin 1942 : le Commissariat général aux questions juives nomme un administrateur provisoire des biens meubles de la succession (au visa de la loi du 22 juillet 1941) ; notification le 25 juin, effet rétroactif au 24 juin.
Suite de la vente : l’intégralité du produit est confisquée ; l’administrateur revend ensuite 12 des 46 œuvres retirées ; les héritiers survivants ne récupèrent les sommes qu’après la guerre.
13 novembre 2019 : saisine de la CIVS pour faire reconnaître le caractère spoliateur et demander annulation + restitutions.
17 mai 2021 : la CIVS se déclare incompétente pour l’annulation ; elle estime la vente “non spoliatrice” mais qualifie la confiscation du produit de spoliation ; elle préconise des restitutions en équité (avec limites).
21 février 2022 : une loi ponctuelle (loi n° 2022-218) déclasse 12 œuvres et permet leur restitution (13 mai et 3 juin 2022).
10 janvier 2023 : jugement : rejet du relevé de forclusion, irrecevabilité des demandes.
5 décembre 2023 : CA Paris : relève de forclusion et déclare recevables, mais rejette sur le fondement de l’article 1er (sur 9 œuvres) – arrêt attaqué.
26 novembre 2025 : cassation partielle (renvoi).
B. La procédure
Résumé procédural
T J Paris (procédure accélérée au fond) : irrecevabilité (forclusion non relevée).
CA Paris (5 déc. 2023) : relevé de forclusion, recevabilité, mais rejet au fond de la nullité/restitution des 9 œuvres au titre de l’art. 1er.
Cour de cassation (26 nov. 2025) : cassation partielle limitée à ce rejet, renvoi CA Paris autrement composée.
C. Contenu de la décision
1) Arguments des demandeurs
Les ayants droit reprochent à la cour d’appel d’avoir écarté le lien causal entre la nomination de l’administrateur provisoire et la vente, alors que cette nomination :
avait un effet rétroactif au 24 juin 1942,
entraînait dessaisissement,
et aboutissait à la confiscation du produit (spoliation reconnue), et à des reventes remettant en cause le droit de retrait.
2) Raisonnement de la Cour de cassation
La Cour :
rappelle l’architecture de l’ordonnance du 21 avril 1945 :
article 1er : nullité de droit des actes accomplis en conséquence de mesures exorbitantes (sans consentement, même avec concours matériel),
article 11 : annulation d’actes “consentis” mais sous violence, lorsque les biens n’ont pas fait l’objet préalablement d’une mesure exorbitante.
constate la jurisprudence antérieure : nécessité d’un lien causal ; prise en compte de circonstances (prix perçu, absence de menaces, procédure antérieure…).
puis opère un revirement/ajustement : quand l’administrateur provisoire, nommé à des fins d’aryanisation, intervient au cours d’un acte de disposition, il dessaisit, modifie les conditions de réalisation, retire la faculté d’y renoncer et empêche de regarder l’acte comme “consenti”, même s’il a été initié par le propriétaire/ayants droit.
pose l’exception : seule peut écarter l’article 1er la preuve que la nomination est demeurée sans aucun effet jusqu’à exécution complète de l’acte.
3) Solution retenue
Cassation partielle : uniquement en ce qu’il rejette la nullité de la vente (24–27 juin 1942) et la restitution des neuf œuvres litigieuses sur le fondement de l’article 1er ; renvoi.
pourvoi_n°24-11.376_26_11_2025
3) Références juridiques
3.1 Jurisprudence
Décision analysée
Cass. 1re civ., 26 nov. 2025, n° 24-11.376
3.2 Textes légaux
Article 1er – Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 (version en vigueur depuis le 23 avril 1945)
« Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l'objet, même avec leur concours matériel, d'actes de disposition accomplis en conséquence de mesures de séquestre, d'administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 (…) pourront (…) en faire constater la nullité.
Cette nullité est droit. »
Article 11 – Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 (version en vigueur depuis le 21 juin 1947)
Article 21 – Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 (version en vigueur depuis le 31 mai 1951)
« La demande en nullité ou en annulation ne sera plus recevable après le 31 décembre 1951.
Cependant (…) le juge pourra le relever de la forclusion. »
Ordonnance du 12 novembre 1943 (nullité des actes de spoliation)
Ordonnance du 9 août 1944 (rétablissement de la légalité républicaine)
Décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 (CIVS)
Décret n° 2024-11 du 5 janvier 2024 (commission restitution/indemnisation)
Loi n° 2022-218 du 21 février 2022 (déclassement/restitution ponctuelle)
Loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 (loi-cadre restitution) – texte cité dans l’arrêt
4) Analyse juridique approfondie
A. Le nœud du dossier : “consentement” vs “dessaisissement”
Avant cet arrêt, l’analyse pouvait dériver vers une discussion factuelle : l’acte a-t-il été voulu par le propriétaire ? a-t-il subi des pressions ? a-t-il reçu le prix ? etc.
La Cour de cassation recentre : dès qu’il y a dessaisissement en cours d’acte, on ne peut plus raisonner comme si le propriétaire “consentait” librement ; l’article 1er doit jouer, sauf preuve d’ineffectivité totale de la mesure.
B. Le nouveau test opérationnel (pratique contentieuse)
Pour un acte initié par le propriétaire/les héritiers, la question devient :
Nomination à fins d’aryanisation pendant l’acte ? (administrateur provisoire)
Dessaisissement + impact sur l’acte (conditions de réalisation / faculté de renoncer) ?
Exception : l’adversaire peut-il prouver que la nomination est restée sans aucun effet jusqu’à exécution complète ?
Dans l’affaire jugée, la cour d’appel avait admis la nomination mais avait nié le lien causal, alors qu’elle constatait en même temps la confiscation du produit et des remises en cause du droit de retrait : la Cour de cassation sanctionne ce défaut de conséquences légales.
5) Critique de la décision
L’apport est net : la Cour assume un “désormais” et déplace le centre de gravité de la causalité vers l’effet objectif de la mesure de dessaisissement.
6) Accompagnement personnalisé
Ce contentieux relève principalement du droit des spoliations / restitution de biens culturels, qui n’entre pas directement dans les trois blocs “famille / responsabilité / immobilier-construction” visés pour une offre d’accompagnement ciblée.
La présente analyse est offerte par la SELARL PHILIPPE GONET, avocat à Saint-Nazaire.
Pour toute question de procédure, de litige patrimonial ou d’un autre domaine couvert par le cabinet (immobilier, famille, dommage corporel, responsabilité professionnelle), vous pouvez contacter le cabinet (coordonnées et RDV).
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