Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Droit de la construction > Responsabilité construction : le grand recentrage 2024–2025 de la Cour de cassation

Responsabilité construction : le grand recentrage 2024–2025 de la Cour de cassation

Hier
Responsabilité construction : le grand recentrage 2024–2025 de la Cour de cassation
jurisprudence-construction-responsabilité-décennale-1792-1792-7-réception-tacite-assignation-au-fond-prescription-recours-sous-traitant-dommages-ouvrage-DO-préfinancement-dirigeant-faute-séparable-délai-d’épreuve-dommage-réalisé-injonction-administrative-

1) Résumé succinct

Périmètre de la responsabilité décennale (revirement) : la Cour de cassation est revenue, le 21 mars 2024, sur la solution de 2017 : les éléments d’équipement ajoutés ou remplacés sur un ouvrage existant ne relèvent ni de la décennale ni de la biennale, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun (donc hors assurance obligatoire). 

Réception des travaux (tacite) : la réception tacite exige, plus fermement rappelé le 6 juin 2024, des actes traduisant sans équivoque la volonté de recevoir ; simple entrée dans les lieux ou habitabilité sont insuffisantes. 

Prescription des recours entre constructeurs : la règle issue du 14 déc. 2022 (point de départ à l’assignation au fond ou à la demande de reconnaissance d’un droit) est confirmée et précisée en 2025. 

Éléments d’équipement à fonction exclusivement professionnelle (art. 1792-7) : la 3e ch civ. 6 mars 2025 réaffirme l’exclusion de la décennale pour ces équipements. 

Réalité du dommage décennal : la 3e ch civ. 26 juin 2025 rappelle que un risque futur non réalisé ne suffit pas ; il faut un dommage ou, à tout le moins, une injonction/mesure administrative imposant des travaux. 

Responsabilité personnelle du dirigeant : la 3e ch civ. 5 déc. 2024 admet qu’un dirigeant puisse engager sa responsabilité personnelle pour le défaut d’assurance obligatoire, sous conditions strictes (faute séparable, lien de causalité). 


2) Analyse détaillée 

A. Périmètre de la décennale : éléments d’équipement posés sur existant (revirement 2024)

Décision clef : Cass. civ. 3e, 21 mars 2024, n° 22-18.694, FS-B+R (publié).

Faits/procédure : pose d’un insert dans une cheminée existante ; incendie ; condamnation sur la décennale. Solution : cassation – la Cour renonce à la jurisprudence 2017 : les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur existant ne constituent pas un ouvrage et ne relèvent ni de la décennale ni de la biennale ; seule demeure la responsabilité contractuelle (hors assurance obligatoire). Légifrance
Référence antérieure renversée (2017) : séries 2017 (15 juin 2017, n° 16-19.640 ; 14 sept. 2017, n° 16-17.323) expressément discutées dans l’arrêt 2024. 

Conséquences pratiques : bascule des litiges de rénovation vers le droit commun (preuve de la faute, prescription quinquennale, assurance non obligatoire), sauf si les travaux constituent en eux-mêmes un ouvrage (ex. conduite de plusieurs km qualifiée d’ouvrage : Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-25.283).

B. Réception des travaux (point de départ des garanties)

Décision : Cass. civ. 3e, 6 juin 2024, n° 22-23.557.
Principe : la réception tacite suppose des actes non équivoques (volonté de recevoir) ; la seule prise de possession ou l’habitabilité ne suffisent pas. Impact : sécurise le point de départ de la décennale et de la GPA. 

C. Prescription des recours entre constructeurs et sous-traitants

Décision pivot : Cass. civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305, FS-B+R (publié).

Règle : le constructeur ne peut être “inactif” avant d’être lui-même poursuivi au fond ; l’assignation en référé expertise seule ne fait pas courir la prescription ; point de départ = assignation au fond (ou demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision). 
Actualisations 2024-2025 : plusieurs arrêts citent et appliquent la règle (ex. 30 janv. 2025, n° 23-16.768, s/ chantier public : rechercher la date de demande indemnitaire pour le point de départ ; idem arrêts 4 juillet 2024). 

D. Équipements à fonction exclusivement professionnelle (art. 1792-7 C. civ.)

Décision : Cass. civ. 3e, 6 mars 2025, n° 23-20.018 (publié).

Principe : confirmation de l’exclusion de la décennale pour les éléments dont la fonction exclusive est de permettre une activité pro (séparateur d’hydrocarbures d’une station de lavage). Légifrance
Texte : art. 1792-7 C. civ. (version en vigueur). 


E. Nécessité d’un dommage décennal réalisé dans les 10 ans

Décision : Cass. civ. 3e, 26 juin 2025, n° 23-18.306, publié.

Principe : un risque d’apparition de désordres postérieur au délai d’épreuve ne suffit pas ; à défaut de dommage avéré dans le délai (ou d’injonction/interdiction administrative imposant des travaux), la décennale n’est pas mobilisable. Légifrance
Rappel (2023) : antérieurement, la Cour précisait déjà le contour du dommage et citait (14 sept. 2023, n° 22-13.858, publié). 


F. Assurances obligatoires et responsabilité du dirigeant

Décision : Cass. civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 22-19.998, FS (publié).

Principe : le dirigeant peut engager sa responsabilité personnelle pour défaut d’assurance obligatoire (décennale/RC pro) en cas de faute séparable de ses fonctions et lien de causalité ; mais la Cour encadre strictement ce terrain. Légifrance


G. Assureur dommages-ouvrage (DO) : préfinancement & sanctions

Lignes directrices constantes : obligation de préfinancer des travaux efficaces et pérennes ; la sanction des retards/ manquements est limitativement fixée par l’art. L.242-1 C. assur. (intérêts, majorations), pas d’automatisme au-delà. 
Illustrations récentes :
Cass. civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-13.325 : rappel des conditions de lien causal pour engager la DO vis-à-vis de tiers (locataires) ; censure d’une indemnisation de jouissance non justifiée. 
– Jurisprudence de fond rappelée (2009, 2011, 2019, 2021, 2022) sur l’efficacité des réparations et l’étendue du préfinancement DO. 

3) Références juridiques

3.1 Jurisprudence 

Cass. civ. 3e, 21 mars 2024, n° 22-18.694 (publié)

Cass. civ. 3e, 6 juin 2024, n° 22-23.557 (publié)

Cass. civ. 3e, 5 déc. 2024, n° 22-19.598 (FS, publié)

Cass. civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-16.768 (inédit)

Cass. civ. 3e, 30 janv. 2025, n° 23-13.325 (inédit)

Cass. civ. 3e, 6 mars 2025, n° 23-20.018 (publié)

Cass. civ. 3e, 26 juin 2025, n° 23-18.306 (publié)

Cass. civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305 (FS-B+R, publié) (règle « assignation au fond »)

Ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-19.936 (publié) – vices cachés : délai-butoir 20 ans & point de départ à la découverte du vice (et, en récursoire, à l’assignation).

Cass. civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-22.376 (FS-P+B+I) – rappel : délai d’épreuve de la décennale et articulation avec recours.

Cass. civ. 3e, 19 janv. 2017, n° 15-25.283 (publié) – une conduite d’amenée d’eau sur plusieurs km constitue un ouvrage (utile pour distinguer « ouvrage » et « équipement pro »).

Cass. civ. 3e, 11 févr. 2009, n° 07-21.761, et 22 juin 2011, n° 10-16.308 – préfinancement DO : travaux efficaces et pérennes.


3.2 Textes légaux 
Code civil
– art. 1792 (responsabilité de plein droit – délai d’épreuve)

– art. 1792-1 (qualité de constructeur)

– art. 1792-3 (garantie de bon fonctionnement – 2 ans)

– art. 1792-4 (responsabilité solidaire du fabricant – EPERS)

– art. 1792-4-1 (prescription décennale de l’action)

– art. 1792-6 (garantie de parfait achèvement)

– art. 1792-7 (fonction exclusivement professionnelle)

Code des assurances
– art. L.242-1  (délais/obligations DO ; sanctions limitées)

– art. L.124-3  (action directe du tiers lésé)

4) Analyse juridique approfondie (tendances 2020–2025)

Recentrage de la décennale : l’arrêt 21 mars 2024 met fin aux hésitations : la décennale retrouve son socle traditionnel – elle couvre l’ouvrage (et certains éléments d’équipement intégrés) mais pas les insertions sur existant, désormais clairement contractuelles (hors assurance obligatoire). Ce revirement rétablit une lisibilité attendue par les praticiens, en cohérence avec l’art. 1792-7 (2015–2025). 

Point de départ des recours : la ligne 14 déc. 2022 est fermement ancrée (2024–2025) : pas de prescription tant que personne ne demande (au fond) au constructeur de payer/exécuter ; seul un référé expertise ne suffit pas.

Sécurité accrue pour les chaînes de responsabilité et les appels en garantie (y compris en marchés publics). 

Réception plus exigeante : l’arrêt 6 juin 2024 exige une volonté non équivoque ; cette rigueur réduit les contentieux artificiels sur des réceptions tacites “de circonstance” et fige plus nettement le départ des garanties légales. 

Dommage décennal : réalité vs. risque : la Cour (26 juin 2025) réaffirme qu’un simple risque ne suffit pas ; sans dommage dans le délai d’épreuve (ou injonction administrative imposant des travaux), pas de mobilisation décennale.

Alignement avec l’essence d’un régime objectif et temporellement borné. 

Assurances & dirigeants : la Cour (5 déc. 2024) n’ouvre pas une nouvelle voie générale de responsabilité personnelle ; elle la cadre (faute séparable + causalité). Message pratique : le défaut d’assurance obligatoire expose, mais n’implique pas mécaniquement la responsabilité personnelle. 

Droits des tiers / DO : la Cour maintient un équilibre entre préfinancement DO (efficacité/pérennité) et sanctions légales limitées par L.242-1 ; l’arrêt 30 janv. 2025 (23-13.325) rappelle l’exigence d’un lien causal réel pour des préjudices de jouissance de tiers. 

5) Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut :

Auditer vos contrats (marchés, CCAP/CCAG, clauses réception/garanties) et vos polices (DO, RC décennale) à l’aune des arrêts 2024–2025 ;
Sécuriser vos stratégies contentieuses (points de départ de prescription, appels en garantie, articulation décennale/droit commun) ;
Assister maîtres d’ouvrage, entreprises, assureurs, syndics, collectivités, sur toute la chaîne (construction, immobilier, public).

Cette actualité est associée aux catégories suivantes : Droit de la construction