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Preuve d’un harcèlement sexuel et enquête interne : exigence d'une production complète

Aujourd'hui
Preuve d’un harcèlement sexuel et enquête interne : exigence d'une production complète
licenciement pour harcèlement sexuel – enquête interne employeur – preuve en matière prud’homale – Cour de cassation 2025 – RGPD salarié – accès aux données personnelles – article 15 RGPD – messagerie professionnelle et données personnelles

1. Résumé succinct

Contexte : Dans une affaire opposant la société Publicis Sapient France à un ancien directeur licencié pour faute lourde en lien avec des faits de harcèlement sexuel, la Cour de cassation était saisie d’un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris ayant jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La question centrale portait sur la valeur probante d’un rapport d’enquête interne mené par l’employeur et le CHSCT.

Impact principal : La Cour de cassation confirme que les juges du fond apprécient souverainement la valeur de l’enquête interne, laquelle ne peut suppléer l’absence de preuves concrètes ou corroborées. Elle rappelle également, en matière de RGPD, que les courriels professionnels sont des données personnelles auxquelles le salarié peut accéder.


2. Analyse détaillée

A. Les faits

M. [I], engagé en 2001 comme directeur du développement, était en dernier lieu directeur associé. Après des signalements internes pour agissements sexistes et propos déplacés, il fut convoqué à un entretien préalable et licencié le 30 mars 2018 pour faute. Les propos dénoncés incluaient des allusions sexuelles graves, des gestes inappropriés, et des comportements jugés humiliants pour plusieurs salariées.

B. La procédure

Après avoir saisi le conseil de prud’hommes, le salarié a obtenu en appel la condamnation de la société Publicis Sapient France à lui verser diverses indemnités, la cour d’appel de Paris ayant jugé que la preuve des faits de harcèlement n’était pas rapportée. L’employeur s’est pourvu en cassation en invoquant notamment la force probante de son enquête interne et le non-respect du RGPD.

C. Contenu de la décision

Arguments de l’employeur
L’enquête interne, conduite avec le CHSCT, aurait démontré les faits.
La cour d’appel aurait écarté à tort certains témoignages.
Le refus de produire certains comptes rendus serait justifié par l’anonymat souhaité des salariés.
En matière de RGPD, les courriels professionnels ne seraient pas des données à caractère personnel.


Raisonnement juridique de la Cour de cassation

La Cour opère une double analyse :

Sur la preuve du harcèlement et l’enquête interne :

Elle rappelle qu’en matière de licenciement disciplinaire pour harcèlement sexuel, la charge de la preuve repose sur l’employeur.
Les juges du fond doivent apprécier la valeur probante de l’enquête, notamment lorsqu’elle est incomplète, sélective ou entachée de doutes.
Ici, seulement 5 comptes rendus sur 14 étaient versés ; plusieurs comportaient des passages tronqués ou anonymisés sans justification.
Les témoignages n’étaient pas corroborés par d’autres éléments objectifs ; l’ensemble ne suffisait pas à établir la faute.

Sur l’accès aux données personnelles (RGPD) :

Les courriels émis ou reçus par un salarié sur sa messagerie professionnelle sont des données à caractère personnel (art. 4(1) RGPD).
Le salarié peut donc y accéder, y compris aux métadonnées (horodatage, destinataires).
L’employeur ne peut s’y soustraire sans motif légitime. Or, en l’espèce, il s’était abstenu de toute transmission, causant un préjudice justifiant l’octroi de dommages-intérêts.

Solution retenue
La Cour rejette le pourvoi :

Le doute doit bénéficier au salarié (principe classique en droit disciplinaire).

L’absence de preuve complète et probante du harcèlement rend le licenciement injustifié.

L’absence de communication des courriels constitue une violation du RGPD.

3. Références et articles juridiques
Jurisprudence principale :
Cass. soc., 18 juin 2025, n° 23-19.022 

 Jurisprudence antérieure citée :
Cass. soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437, Bull. 2022 (cassation partielle)

 Articles du Code du travail :
L. 1132-1 : Interdiction des discriminations.
L. 1152-4 et L. 1152-5 : Obligations de prévention et sanctions du harcèlement moral.
L. 1153-5 et L. 1153-6 : Dispositions similaires pour le harcèlement sexuel.
L. 4121-1 et L. 4121-2 : Obligation de sécurité de l’employeur.

RGPD :
Article 4(1) : Définition des données à caractère personnel.
Article 15 §§ 3 et 4 : Droit d’accès de la personne concernée (métadonnées et contenu).

4. Analyse juridique approfondie

Raisonnement de la Cour

La Cour affirme que le rapport d’enquête interne n’est pas en soi une preuve suffisante, surtout s’il est partiel ou entaché de défauts de production. Elle donne priorité à l’exigence de preuve complète, loyale, non sélective.

En matière de RGPD, la décision renforce la jurisprudence constante selon laquelle le salarié a le droit d’accéder à l’intégralité des données le concernant, y compris les e-mails professionnels, sauf à ce que l’employeur justifie d’un motif légitime pour en restreindre la communication.

Conséquences pratiques

Employeurs : doivent produire les enquêtes internes intégrales ou dûment anonymisées.

Salariés : peuvent invoquer le RGPD pour obtenir toutes leurs données (dont les e-mails).

Avocats : doivent vérifier l’intégrité des pièces produites, la cohérence des témoignages et la traçabilité des refus de communication.

5. Critique de la décision

La jurisprudence antérieure (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437) confirme la possibilité d’utiliser un rapport d’enquête interne à condition qu’il soit intégralement versé aux débats et respecte le contradictoire.

La Cour consacre ici une position équilibrée : elle n’exclut pas la valeur du rapport interne, mais impose des garanties minimales de transparence, d’intégralité, et de respect du contradictoire.

La décision renforce la protection du salarié tant sur le plan probatoire que sur celui du RGPD. Elle accentue les exigences procédurales en matière de preuve disciplinaire.

6. Accompagnement juridique

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