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Financement illégal de campagne : la Cour de cassation limite l’autorité du Conseil constitutionnel

Le 10 décembre 2025
Financement illégal de campagne : la Cour de cassation limite l’autorité du Conseil constitutionnel
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La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat inscrite au barreau de Saint-Nazaire, est installée 2 rue du Corps de Garde, 44600 Saint-Nazaire. Le cabinet intervient depuis de nombreuses années en contentieux complexes, mêlant droit pénal, droit public, responsabilité et procédures techniques (comptes, expertises, règles procédurales strictes). 

Cette expérience est particulièrement utile dans des dossiers de financement politique, d’infractions économiques ou de contentieux de la responsabilité de l’État ou des personnes morales, où se combinent :

règles pénales (Code pénal, CPP)
droit électoral (code électoral, loi du 6 novembre 1962)
jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. 


Le cabinet peut ainsi assister :

des personnes mises en cause (candidats, responsables de campagne, dirigeants de partis) ;
des parties civiles (Trésor public, associations, victimes indirectes, collectivités).

1. Résumé de la décision

Parties impliquées
Prévenus au pourvoi :

M. [V] [J] : directeur de la campagne électorale de M. [Z] [W] en 2012 ;
M. [B] [T] : directeur général des services du parti [5], formation politique soutenant le candidat ;
M. [L] [E] : directeur de la communication et des nouveaux médias du parti [5], directeur adjoint de cabinet du secrétaire général ;
M. [Z] [W] : candidat aux deux tours de l’élection présidentielle de 2012.

Ils contestent un arrêt de la cour d’appel de Paris (chambre 2-13) du 14 février 2024 qui les a condamnés pour : usage de faux, escroquerie, abus de confiance, complicité, et pour M. [W], financement illégal de campagne électorale.

Juridiction : Cour de cassation, chambre criminelle, formation de section 26 novembre 2025 24-82.486

Nature du litige

Contexte : campagne présidentielle 2012 ; rejet du compte de campagne par la CNCCFP, confirmé par le Conseil constitutionnel.

Infractions poursuivies :

financement illégal de campagne électorale (art. L. 113-1 I, 3° code électoral) ;
escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux, complicité de ces délits.

Effet direct sur la jurisprudence et les pratiques

L’arrêt comporte deux apports majeurs :

Composition des juridictions correctionnelles

L’assesseur supplémentaire désigné sur le fondement de l’article 398, al. 2, CPP est investi, pendant les débats, de tous les droits d’un juge correctionnel : il peut interroger prévenus et témoins, même si les trois magistrats « principaux » ne sont pas empêchés.

Portée des décisions du Conseil constitutionnel sur les comptes de campagne

Les décisions rendues sur le fondement de l’article 3, II, de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 (comptes de campagne présidentielle) ont autorité de chose jugée uniquement pour les dépenses dont le Conseil constitutionnel a effectivement connu.

Le juge pénal saisi du délit de dépassement du plafond (art. L. 113-1 I, 3° CE) conserve son pouvoir d’appréciation sur les dépenses dissimulées (fausses factures, dépenses omises du compte) qui n’ont pas été soumises à la CNCCFP ni au Conseil.

Cette décision affine et limite l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel en matière de comptes de campagne, dans le prolongement de l’Assemblée plénière du 13 mars 2020 et de la décision QPC n° 2019-783. 

2. Analyse détaillée

2.1 Les faits – Chronologie complète

Campagne présidentielle 2012

M. [Z] [W] est candidat aux deux tours de l’élection présidentielle de 2012.

pourvoi_n°24-82.486_26_11_2025

Dépôt et rejet du compte de campagne

Le candidat dépose son compte de campagne auprès de la CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques).

19 décembre 2012 : la CNCCFP réforme et rejette le compte, en estimant que les dépenses réelles excèdent le plafond légal de 363 615 €.

M. [W] forme un recours devant le Conseil constitutionnel, qui, par décision du 4 juillet 2013 (décision n° 2013-156 PDR), confirme le rejet du compte et fixe les dépenses à 22 975 118 €, pour un dépassement de 466 118 € du plafond autorisé.
Révélation des fausses factures et ouverture des poursuites pénales

5 mars 2014 : ouverture d’une enquête préliminaire, à la suite d’un article de presse révélant des soupçons de fausse facturation entre la société [4] (société [3]), filiale de la société [2], organisatrice des meetings, et le parti [5].

Le schéma suspecté :

des dépenses électorales (meetings) assumées par la société [3] puis refacturées au parti [5] par des factures surévaluées ou fictives, censées correspondre à des conventions ou événements internes ;

des factures minorées destinées au compte de campagne, pour masquer le coût réel des meetings ;

l’excédent de dépenses étant supporté par le parti [5], et non par le mandataire financier du candidat.
Instruction

27 juin 2014 : ouverture d’une information judiciaire ;

le juge d’instruction renvoie quatorze personnes physiques et une personne morale devant le tribunal correctionnel pour :

financement illégal de campagne électorale et complicité ;

faux et usage de faux ;

abus de confiance ;

escroquerie et complicité.

Jugement de première instance (30 septembre 2021)

Le tribunal correctionnel :

condamne M. [V] [J] (directeur de campagne) pour escroquerie et complicité d’engagement de dépenses dépassant le plafond ;

condamne M. [B] [T] (DG du parti [5]) pour complicité d’escroquerie, abus de confiance et complicité d’engagement de dépenses au-delà du plafond ;

condamne M. [L] [E] pour des infractions similaires ;

condamne M. [W] pour engagement de dépenses électorales au-delà du plafond légal (art. L. 113-1 CE), à un an d’emprisonnement ;

statue sur les intérêts civils.

Appel

Les prévenus, le ministère public et certaines parties civiles interjettent appel.

Arrêt de la cour d’appel de Paris (14 février 2024)

La cour d’appel (chambre 2-13) :

M. [V] [J] : usage de faux, escroquerie, complicité de financement illégal de campagne électorale

peine : 2 ans d’emprisonnement, dont 18 mois avec sursis, et 5 ans d’inéligibilité.
M. [B] [T] : usage de faux, complicité d’escroquerie, abus de confiance, complicité de financement illégal de campagne

peine : 2 ans d’emprisonnement, dont 18 mois avec sursis, et 5 ans d’inéligibilité.

M. [L] [E] : mêmes qualifications, même quantum de peine.

M. [Z] [W] : financement illégal de campagne électorale

peine : 1 an d’emprisonnement, dont 6 mois avec sursis ;

l’arrêt fixe également les indemnités civiles et prend en compte un dépassement de plus de 19 millions d’euros pour apprécier la gravité des faits.

Pourvois en cassation

MM. [J], [T], [E] et [W] forment des pourvois, articulant de nombreux moyens :

irrégularité de la composition de la cour d’appel (assesseur supplémentaire trop actif) ;

violation de l’autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel (décision n° 2013-156 PDR, décision n° 2019-783 QPC, art. 62 Constitution) ;

illégalité d’un décret de 2009 ;

insuffisance de caractérisation des éléments matériels et intentionnels du délit de financement illégal ;

contestation des qualifications d’usage de faux, complicité, et du quantum de la peine.

Arrêt de la Cour de cassation (26 novembre 2025)

La chambre criminelle rejette tous les pourvois (certains moyens étant non admis).

2.2 La procédure

Phase administrative puis constitutionnelle

Décision CNCCFP du 19 décembre 2012 : rejet du compte de campagne de M. [W] pour dépassement de plafond.

Recours devant le Conseil constitutionnel, qui rend sa décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013, rejetant le recours et majorant le montant du dépassement.

Phase pénale

enquête préliminaire (mars 2014) puis information judiciaire (juin 2014) ;

renvoi devant le tribunal correctionnel pour un faisceau d’infractions financières et électorales ;

jugement du 30 septembre 2021 (condamnations pénales et civiles) ;

appel des prévenus, du parquet et de certaines parties civiles ;

arrêt de la cour d’appel de Paris, 2-13, 14 février 2024 (confirmant et réaménageant les condamnations) ;

pourvois devant la Cour de cassation, chambre criminelle ;

audience publique du 8 octobre 2025 ;

arrêt de rejet du 26 novembre 2025.

2.3 Contenu de la décision de la Cour de cassation

A. Arguments principaux des parties (synthèse des moyens)

Composition de la cour d’appel – assesseur supplémentaire

Les demandeurs invoquent l’irrégularité de la composition : l’assesseur supplémentaire, désigné en application de l’article 398 CPP, aurait participé activement aux débats (questions aux prévenus et à un témoin) alors que les trois magistrats composant la chambre n’étaient pas empêchés. Ils soutiennent que cet assesseur ne pouvait intervenir qu’en cas de remplacement effectif.

Autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Les prévenus soutiennent que, en raison de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel (CNCCFP/Conseil sur comptes de campagne, QPC 2019-783) s’imposent à toutes les juridictions, y compris pénales, de sorte que :

le juge pénal ne pourrait retenir un montant de dépassement supérieur à celui fixé par la décision n° 2013-156 PDR ;

le juge répressif ne pourrait pas caractériser un dépassement fondé sur des dépenses non retenues par le Conseil constitutionnel.

Élément matériel et intentionnel du financement illégal (M. [W])

Ils contestent l’existence d’actes positifs d’engagement de dépenses imputables au candidat, et la démonstration de son intention de dépasser le plafond :

absence d’accord exprès sur chaque dépense ;

complexité de la campagne ;

rôle des collaborateurs et des prestataires.

Usage de faux et complicité (M. [J], M. [T], M. [E])

Sur l’usage de faux, M. [J] fait valoir qu’il n’a pas eu communication de toutes les factures litigieuses, qu’il n’a pas toujours apposé son visa, et qu’il n’existerait pas de fait positif d’utilisation des faux documents qui lui soit personnellement imputable.

Sur la complicité de financement illégal, les prévenus contestent la démonstration d’actes positifs de facilitation et la caractérisation de l’intention d’aider le candidat à dépasser le plafond.

B. Réponse de la Cour de cassation et raisonnement

1. Sur la composition de la cour d’appel et l’assesseur supplémentaire

La Cour rappelle que l’assesseur supplémentaire désigné pour compléter le tribunal correctionnel en application de l’article 398, al. 2, CPP peut être appelé à remplacer à tout moment l’un des magistrats empêché.

Dès lors, pendant les débats, il est « légalement investi de tous les droits que le code de procédure pénale confère aux juges correctionnels », y compris celui d’interroger prévenus et témoins.

La participation active de l’assesseur supplémentaire aux débats n’entraîne donc aucune nullité, même si la composition définitive au délibéré ne fait pas apparaître son remplacement effectif.

Conséquence pratique :

les juridictions peuvent faire intervenir l’assesseur supplémentaire aux débats, sans que les avocats puissent utilement invoquer l’irrégularité de la composition, dès lors que la désignation est régulière et mentionnée.


2. Sur l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel en matière de comptes de campagne
La Cour de cassation s’inscrit dans une construction jurisprudentielle cohérente, en articulant :

Ass. plén., 10 oct. 2001, n° 01-84.922 (autorité des décisions électorales du Conseil constitutionnel) 


Ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609 (comptes de campagne, validation par le Conseil constitutionnel, autorité de la chose jugée) 

Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC (cumul de poursuites et de sanctions pour dépassement de plafond) 
Elle rappelle plusieurs points clefs :

Art. 62 de la Constitution : les décisions du Conseil constitutionnel « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». 

Art. 3, II, loi n° 62-1292 du 6 nov. 1962 :

le Conseil constitutionnel se prononce sur la validité des opérations électorales et sur les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle. L

Art. L. 113-1 I, 3° du code électoral :

incrimine le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales (incrimination pénale autonome). 

Décision QPC 2019-783 :

le Conseil constitutionnel considère que la sanction pénale (art. L. 113-1) et les sanctions prononcées sur le fondement de l’article 3, II, loi de 1962 relèvent de corps de règles différents et protègent des intérêts sociaux distincts. 

Conclusion de la chambre criminelle (points 29–32 de l’arrêt) :

Les décisions du Conseil constitutionnel rendues en application de l’article 3, II, de la loi de 1962 ont autorité de chose jugée, mais cette autorité ne s’impose au juge pénal, saisi sur le fondement de l’article L. 113-1 CE, qu’à l’égard des dépenses sur lesquelles le Conseil a effectivement statué.

Le juge pénal conserve la faculté de connaître des dépenses dissimulées ou omises, qui n’ont pas été soumises à la CNCCFP ni au Conseil, en particulier celles :

correspondant à des fausses factures établies par la société [3] pour des conventions fictives ou des événements surévalués pris en charge par le parti [5], pour un montant de 16 247 000 € ;

relatives à un « certificat administratif » non inscrit au compte de campagne, pour environ 3 500 000 €.

La Cour approuve la cour d’appel d’avoir considéré que ces dépenses dissimulées échappaient à l’autorité de chose jugée attachée à la décision n° 2013-156 PDR du Conseil constitutionnel et pouvaient fonder la constatation d’un dépassement pénalement réprimé.


3. Sur la caractérisation du délit de financement illégal de campagne (M. [Z] [W])

La Cour valide le raisonnement de la cour d’appel sur :

Élément matériel – actes positifs d’engagement de dépenses

La cour d’appel a relevé que M. [W] a dirigé la campagne, décidé du nombre, du format et des lieux des meetings, et a expressément choisi d’organiser « un événement par jour » en fin de campagne, avec des coûts accrus (locations urgentes, logistique alourdie).

Il n’était pas nécessaire qu’il donne un accord individuel et formalisé pour chaque facture : il suffisait qu’il décide et approuve l’augmentation des dépenses, en pleine connaissance du risque de dépassement, ce que la cour d’appel a retenu.
Élément intentionnel – conscience du dépassement du plafond

M. [W] avait une expérience politique et électorale importante (campagnes, fonctions électives, direction du parti [5]) et connaissait le plafond légal.

Deux notes d’alerte (7 mars 2012 et 26 avril 2012), rédigées par l’expert-comptable, l’informaient :

du risque de dépassement, puis du dépassement effectif du plafond pour le premier tour, avec mention détaillée des montants engagés.

Malgré ces alertes, il a maintenu et intensifié la tenue de meetings, demandant un rythme d’un meeting par jour.
La Cour en déduit qu’il a décidé et approuvé les dépenses litigieuses, en a tiré profit (visibilité politique, dynamique de campagne), et a donc intentionnellement contribué au dépassement.

Appréciation du montant du dépassement pour la peine

Les demandeurs invoquaient l’autorité de la décision n° 2013-156 PDR, qui fixait le dépassement à 466 118 €, pour contester la référence à « plus de 19 millions d’euros » dans l’arrêt d’appel.

La Cour de cassation, ayant écarté le moyen tiré de la violation de l’autorité de chose jugée, approuve la prise en compte, pour la gravité de la peine, des dépenses dissimulées et non examinées par le Conseil, dès lors qu’elles ont été caractérisées par les juges du fond.

4. Sur l’usage de faux (M. [V] [J]) et la complicité de financement illégal (MM. [J], [T], [E])

Usage de faux (M. [J])

La cour d’appel a retenu que M. [J], directeur de campagne :

apparaissait comme ordonnateur de fait des dépenses via un formulaire d’engagement de dépenses de l’AFCNS (association de financement) retrouvé lors d’une perquisition ;

avait apposé son visa sur un premier engagement de dépenses pour un meeting du second tour ;

avait ensuite laissé son nom sur les formulaires, même en l’absence de visa manuscrit, ce qui suffisait à entraîner le paiement des factures falsifiées.

Les juges en ont déduit qu’il avait sciemment utilisé un ensemble de factures falsifiées pour un montant d’environ 22,5 millions d’euros, et que la « cellule de vigilance budgétaire » qu’il avait instaurée avait servi de vecteur à l’usage collectif des faux.

La Cour de cassation estime que cette motivation caractérise suffisamment les actes positifs d’usage et l’intention frauduleuse.

Complicité de financement illégal (MM. [J], [T], [E])

Pour chacun, la cour d’appel :

relève une participation active à la conception et à l’exécution du système de fausses factures ;

constate qu’ils avaient une place centrale dans la gestion de la campagne, l’interface avec le parti [5] et la société [3], et une vision d’ensemble des coûts ;

souligne qu’ils auraient pu alerter le candidat ou limiter les dépenses, mais ont au contraire contribué à leur augmentation et à leur dissimulation.

La Cour de cassation valide la caractérisation :

du fait principal punissable (financement illégal par dépassement de plafond imputé au candidat) ;

des actes positifs d’aide et d’assistance (validation de devis, engagements de dépenses, organisation de meetings, maintien

du système de fausses factures) ;

de l’intention de s’associer au dépassement du plafond.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence citée 

Cour de cassation, chambre criminelle, 26 nov. 2025, n° 24-82.486, FS-B

Autorité de la chose jugée des décisions électorales du Conseil constitutionnel

Cass. ass. plén., 10 oct. 2001, n° 01-84.922, Bull. 2001, Ass. plén., n° 11

Comptes de campagne – autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Cass. ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609, publié au Bulletin

Cumul de sanctions – dépassement du plafond de dépenses (QPC)

Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC

Décision sur le compte de campagne de M. [W]

Cons. const., 4 juill. 2013, n° 2013-156 PDR (compte de campagne présidentielle, rejet du recours)

3.2 Textes légaux 

Article L. 113-1 du code électoral (financement illégal de campagne – pénal)

Issu notamment de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990, art. 5.

Il permet de déclarer pénalement responsable le candidat dont le compte de campagne, après réformation éventuelle, révèle un dépassement du plafond des dépenses électorales.

Article 3, II, loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 (élection présidentielle, comptes de campagne)

Le II renvoie aux dispositions du code électoral pour l’organisation des opérations électorales et confie au Conseil constitutionnel la mission de statuer sur les comptes de campagne, avec publication de ses décisions. 


Article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 (autorité des décisions du Conseil constitutionnel)

Dans sa rédaction en vigueur à la période considérée, il prévoit que les décisions du Conseil « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». 

Articles 398 et 398-1 du code de procédure pénale (composition du tribunal correctionnel, assesseur supplémentaire)

L’article 398, dans sa version applicable, prévoit la composition du tribunal correctionnel et la possibilité de désigner des magistrats supplémentaires ; les décisions de désignation sont des mesures d’administration. 

Articles L. 52-11 et L. 52-12 du code électoral (plafond et compte de campagne)

L’article L. 52-11 fixe le plafond des dépenses électorales par catégorie d’élection ; l’article L. 52-12 impose à chaque candidat d’établir un compte de campagne retraçant l’ensemble des recettes et dépenses engagées en vue de l’élection. 


4. Analyse juridique approfondie et mise en perspective

4.1 Décryptage du raisonnement de la Cour de cassation

Sur la composition des juridictions correctionnelles

La Cour confère une portée maximale à la désignation de l’assesseur supplémentaire : dès lors qu’il peut remplacer à tout moment un magistrat empêché, il doit être considéré, pendant les débats, comme un membre à part entière de la formation.

Cela sécurise les pratiques des juridictions, en évitant des nullités fondées sur des interrogations ou interventions d’un assesseur supplémentaire qui n’aurait finalement pas siégé au délibéré.

Sur le champ de l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel

La chambre criminelle adopte une solution d’équilibre :

elle respecte l’article 62 de la Constitution et affirme la force obligatoire des décisions du Conseil ;

mais elle refuse de transformer ces décisions en bouclier pénal absolu pour les candidats, lorsque des manœuvres de dissimulation ont conduit à ce que certaines dépenses n’aient jamais été soumises à l’appréciation du Conseil.

En d’autres termes :

le Conseil constitutionnel a autorité pour ce qu’il a vu ;
le juge pénal reste compétent pour ce qui a été caché.

Sur la caractérisation du délit de financement illégal
La Cour valide une approche finaliste de l’engagement de dépenses par le candidat :

l’acte matériel ne réside pas dans la signature d’une facture, mais dans la décision politique et opérationnelle d’organiser des meetings supplémentaires, en pleine connaissance de l’état des dépenses et du plafond ;
les notes de l’expert-comptable jouent un rôle central pour établir la conscience du risque, puis du dépassement effectif, et donc l’élément intentionnel ;

la responsabilité pénale du candidat ne peut être diluée dans la complexité de l’organisation : il lui appartient de veiller au respect du plafond et, à tout le moins, de ne pas donner d’instructions conduisant au dépassement.


Sur l’usage de faux et la complicité

La Cour renforce la responsabilité des organisateurs et « techniciens » de campagne :

l’ordonnateur de fait (directeur de campagne) ne peut se retrancher derrière l’absence de visa manuscrit si son nom sur un formulaire suffit à déclencher les paiements ;

la qualité de membre d’une cellule de vigilance ne protège pas : lorsqu’elle sert à manipuler des chiffres pour masquer le dépassement, elle devient un facteur aggravant.

La complicité est retenue dès lors que les intéressés ont :

participé à la conception du système ;
disposé d’une vision claire de la dérive financière ;
choisi de faire perdurer les mécanismes de facturation fictive ou surévaluée au lieu d’alerter.

4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Ass. plén., 10 oct. 2001, n° 01-84.922

consacre l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel en matière électorale, en particulier sur la validité des opérations électorales 


Ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609

précise l’articulation entre :

la validation des comptes de campagne par le Conseil ;
les instances pénales, notamment en matière de prescription ;
elle admet que le contrôle du Conseil sur les comptes de campagne a une portée large, mais ne ferme pas la porte à la répression pénale en cas de fraude. 

Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC

admet la possibilité d’un cumul de sanctions (pénale et financière) pour dépassement de plafond, dès lors qu’elles relèvent de règles distinctes et sont proportionnées. 

Décision n° 2013-156 PDR (4 juill. 2013)

statue sur le compte de campagne 2012 de M. [W], rejette le recours et fixe un dépassement modeste (466 118 €). 


L’arrêt du 26 novembre 2025 s’inscrit dans ce paysage en :

confirmant la force obligatoire des décisions du Conseil pour le périmètre des dépenses examinées ;
mais en affirmant clairement que les dépenses frauduleusement soustraites à l’examen du Conseil restent pleinement judiciarisables devant le juge pénal.

C’est une clarification majeure pour les contentieux à venir de financement politique :
les équipes de campagne ne peuvent plus espérer opposer les décisions du Conseil comme un écran généralisé couvrant aussi les frais dissimulés.


4.3 Évolution des pratiques et des interprétations

Les candidats et leurs équipes doivent intégrer que la dissimulation volontaire de dépenses (via des fausses factures, des prises en charge par un parti ou un tiers) expose à une double séquence :

rejet et réformation des comptes par la CNCCFP / Conseil ;
poursuites pénales autonomes, portant sur des montants pouvant être très supérieurs à ceux retenus par le Conseil.
Pour les partis politiques, l’arrêt met en lumière le risque d’abus de confiance et de complicité lorsque le parti finance, en dehors des règles, des dépenses d’un candidat.


Pour les acteurs économiques (agences événementielles, prestataires de communication), la participation à un système de fausses factures peut les exposer à des poursuites pour faux, usage de faux et escroquerie, en plus d’éventuelles sanctions fiscales.

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