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La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat installée 2 rue du Corps de Garde à Saint-Nazaire, intervient régulièrement en droit immobilier et notamment en baux d’habitation, en litiges locatifs et en procédures d’expulsion.
L’avis rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation le 6 novembre 2025 (n° 25-70.018) précise de manière décisive :
comment se calcule le délai de six semaines prévu à l’article 24, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (baux d’habitation), dans sa version issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ;
et surtout si ce délai bénéficie ou non de la prorogation de l’article 642 du code de procédure civile (report au premier jour ouvrable lorsque le délai expire un samedi, dimanche ou jour férié)
C’est un point crucial pour tous les bailleurs, locataires, avocats et greffes qui organisent des audiences d’expulsion.
1. Résumé de l’avis Cass. civ. 3e, 6 nov. 2025, n° 25-70.018
Parties et contexte
Juridiction à l’origine de la demande : tribunal de proximité (juge des contentieux de la protection) de Sucy-en-Brie ;
Type de litige : bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 ; le bailleur a saisi le juge pour faire constater la résiliation du bail (acquisition de la clause résolutoire ou résiliation judiciaire) et obtenir l’expulsion du locataire ;
Question incidente : la régularité de la procédure tient au respect du délai minimal de six semaines entre la notification de l’assignation au préfet et la date d’audience.
Juridiction : Cour de cassation, 3e chambre civile, avis, 6 novembre 2025, n° 25-70.018
Nature de la question de droit
Le tribunal demande à la Cour de cassation, sur le fondement :
de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire (saisine pour avis),
et de l’article 1031-1 du code de procédure civile,
de préciser :
Comment se calcule le délai de “six semaines” prévu par l’article 24, III, de la loi de 1989 lorsque le bailleur demande la constatation de la résiliation du bail pour impayés ;
Si ce délai doit être prorogé en application de l’article 642 du code de procédure civile lorsque son terme tombe un samedi, dimanche ou jour férié ou chômé ;
Et si la référence à la notion de « semaine » impose de se conformer à la norme ISO 8601 (numérotation des semaines calendaires).
Effet direct de l’avis sur la pratique
La Cour :
assimile ce délai de six semaines à un délai exprimé en jours (42 jours), calculé à rebours à partir de la date de l’audience ;
décide que l’article 642 CPC ne s’applique pas : le délai de six semaines n’est pas prorogé quand son terme tombe un samedi, dimanche ou jour férié ;
écarte toute incidence de la norme ISO 8601.
Cela impose une méthode de calcul stricte et sécurise l’interprétation de ce délai dans tous les contentieux d’expulsion fondés sur l’article 24 de la loi de 1989.
2. Analyse détaillée
2.1. Les faits
L’avis ne détaille pas l’ensemble des éléments factuels (identité des parties, dates précises des actes, montants, etc.). On sait seulement que :
un bailleur d’habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 a introduit une action pour :
la constatation de la résiliation du bail (clause résolutoire ou résiliation judiciaire) ;
et l’expulsion du locataire ;
le juge a été amené à vérifier si le délai de six semaines entre la notification de l’assignation au préfet et la date d’audience avait été respecté, et il a estimé que la difficulté d’interprétation de ce délai justifiait une saisine pour avis de la Cour de cassation.
Les éléments minimaux du problème juridique sont donc :
Bail d’habitation soumis à la loi de 1989 ;
Action en résiliation/expulsion sur le fondement de l’article 24 ;
Assignation notifiée au préfet ;
Doute sur le calcul concret des six semaines.
2.2. La procédure
2.2.1. Devant le tribunal de proximité
Le tribunal de proximité de Sucy-en-Brie, saisi en qualité de juge des contentieux de la protection, constate que :
l’article 24, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (dans sa rédaction issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023) impose que l’assignation soit notifiée au préfet au moins six semaines avant l’audience, à peine d’irrecevabilité ;
le texte ne précise pas comment convertir ce délai de “six semaines” :
doit-on le traiter comme un délai de 42 jours ?
ou comme un délai en semaines civiles (avec application éventuelle de la norme ISO 8601) ?
et si, en pratique, il peut bénéficier de la prorogation de l’article 642 CPC lorsque le dernier jour tombe un jour non ouvrable.
Considérant que la question est nouvelle, difficile et susceptible de se poser dans un grand nombre de litiges locatifs, le tribunal décide de saisir la Cour de cassation pour avis, conformément à l’article L. 441-1 COJ et à l’article 1031-1 CPC.
2.2.2. Saisine pour avis de la Cour de cassation
La Cour vérifie d’abord la recevabilité de la demande :
elle rappelle les conditions de l’article L. 441-1 COJ : question de droit nouvelle, difficulté sérieuse, se posant dans de nombreux litiges ;
et celles de l’article 1031-1 CPC : information préalable des parties et du ministère public, recueil des observations écrites.
Elle constate que ces conditions sont réunies et se déclare compétente pour rendre un avis.
2.2.3. Nature de l’avis rendu
Il s’agit d’un avis de la Cour de cassation, et non d’un arrêt sur pourvoi :
il ne tranche pas définitivement le litige, mais oriente l’interprétation du droit pour l’ensemble des juridictions ;
l’avis est publié et intégré à la construction jurisprudentielle sur la computation des délais.
2.3. Contenu de la décision
2.3.1. Arguments et cadre normatif
La Cour rappelle le texte applicable :
Article 24, III, loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (version issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023) :
Lorsque le bailleur demande la constatation de la résiliation de plein droit du bail […] l’assignation est notifiée au représentant de l’État dans le département au moins six semaines avant l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à peine d’irrecevabilité.
Elle mobilise ensuite les règles générales de computation des délais :
Article 640 CPC : le délai a pour origine la date de l’acte, de l’événement ou de la notification qui le fait courir ;
Article 641 CPC : règles de computation des délais exprimés en mois ou années ;
Article 642 CPC :
tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures ;
le délai qui expirerait un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.
Et surtout la Cour se fonde sur une jurisprudence antérieure constante sur le champ d’application de l’article 642 CPC :
Cass. civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11.312, Bull. 2018, III, n° 28 (bail commercial – congé – l’article 642 CPC ne s’applique que si un acte doit être accompli avant expiration d’un délai).
Dans cet arrêt de 2018, la Cour avait déjà jugé que la prorogation de l’article 642 CPC ne s’applique pas à un délai fixé en termes de “six mois avant une date déterminée” pour donner congé : il s’agit d’un délai minimal d’anticipation, et non d’un délai pour accomplir un acte avant son expiration.
2.3.2. Le raisonnement de la Cour de cassation
Qualification du délai de six semaines : un délai d’intervalle, et non un délai pour agir
La Cour constate qu’en exigeant que l’assignation soit notifiée “au moins six semaines avant l’audience”, le législateur a instauré un intervalle minimal entre deux dates :
la date de la notification au préfet,
et la date de l’audience devant le juge des contentieux de la protection.
Ce délai ne se présente pas comme un délai courant à partir d’un événement, mais comme une distance temporelle minimale à respecter en amont d’une date déjà déterminée (l’audience).
Assimilation à un délai en jours (42 jours)
La Cour décide d’assimiler ce délai de “six semaines” à un délai de 42 jours, calculé à rebours à partir de la date de l’audience :
le délai “commence à courir la veille de la date de l’audience” ;
il “expire le 42e jour à zéro heure précédant cette date” ;
la notification au préfet doit donc intervenir au plus tard avant ce 42e jour à zéro heure.
Inapplicabilité de l’article 642 CPC
Se fondant sur ses arrêts de 1998, 2010 et 2018, la Cour rappelle que :
Il est jugé que les dispositions de l’article 642 du code de procédure civile, relatives à la prorogation des délais, ne s’appliquent que lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli avant l’expiration d’un délai.
Or, ici, le délai de six semaines :
ne définit pas la date limite pour réaliser un acte en partant d’un point de départ précis ;
mais impose un écart minimal entre la notification au préfet et l’audience.
La Cour en déduit que l’article 642 CPC ne peut pas proroger ce délai, même si le 42e jour “tombe” un samedi, dimanche ou jour férié : le seuil de 42 jours reste intangible.
Absence d’incidence de la norme ISO 8601
La Cour écarte toute référence opérationnelle à la norme ISO 8601 (numérotation des semaines civiles) :
puisque le délai est traité comme un délai en jours (42 jours) et non comme un nombre de semaines calendaires,
la question de savoir à quelle “semaine” du calendrier on se réfère est sans incidence sur le calcul.
2.3.3. Solution retenue
La Cour est d’avis que :
le délai de six semaines de l’article 24, III, de la loi de 1989 doit être calculé en jours (42 jours) ;
il se calcule à rebours à partir de la date de l’audience :
il court à compter de la veille de l’audience,
et expire au 42e jour à zéro heure avant cette date ;
l’article 642 CPC ne s’applique pas : aucune prorogation n’est possible ;
la norme ISO 8601 est sans effet sur ce calcul.
3. Références juridiques
3.1. Jurisprudence
Avis principal
Cass. civ. 3e, avis, 6 nov. 2025, n° 25-70.018
Objet : computation du délai de six semaines de l’article 24, III, loi de 1989 ; inapplicabilité de l’article 642 CPC ; écart de la norme ISO 8601.
Jurisprudence antérieure citée par l’avis (article 642 CPC)
Cass. 2e civ., 4 févr. 1998, n° 96-13.391, Bull. 1998, II, n° 41
Principe : l’article 642 CPC ne s’applique qu’aux délais pour accomplir un acte ou une formalité avant l’expiration d’un délai.
Cass. soc., 30 mars 2010, n° 09-13.065, Bull. 2010, V, n° 77
Principe : même limitation du domaine de l’article 642 CPC aux délais de procédure.
Cass. civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11.312, Bull. 2018, III, n° 28
Objet : bail commercial – congé – délai de six mois ; refus de prorogation par application de l’article 642 CPC, dès lors qu’il s’agit d’un délai d’anticipation par rapport à une date déterminée.
3.2. Textes légaux
Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs – Article 24, III (version issue de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023)
Extrait pertinent :
« […] l’assignation est notifiée au représentant de l’État dans le département au moins six semaines avant l’audience, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à peine d’irrecevabilité […]. »Légifrance
Code de procédure civile – Article 640
Extrait :
« Lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli avant l’expiration d’un délai, celui-ci a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir. »
Code de procédure civile – Article 641
Extrait :
« Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année portant le même quantième […] ».
Code de procédure civile – Article 642
Extrait :
« Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. »
Code de l’organisation judiciaire – Article L. 441-1
Extrait (repris notamment par plusieurs avis et arrêts) :
« Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation. »
Code de procédure civile – Article 1031-1 (version en vigueur depuis le 1er septembre 2024)
Extrait :
« Lorsque le juge envisage de solliciter l’avis de la Cour de cassation en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d’irrecevabilité. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe […] ».
4. Analyse juridique approfondie
4.1. Nature du délai de six semaines : un délai « d’intervalle »
L’avis consacre clairement une distinction fondamentale :
Délai “pour agir” (classique) : un acte doit être accompli avant l’expiration d’un délai, qui court à partir d’un événement (jugement, notification, etc.) → application de plein droit de l’article 642 CPC ;
Délai “d’intervalle” : la loi impose un écart minimal entre deux dates (ici, notification au préfet et audience), sans que l’on ait un point de départ “classique” au sens de l’article 640 CPC.
Le délai de six semaines de l’article 24, III, est un délai préventif destiné à laisser à l’administration (préfet, services sociaux) un temps réel pour :
analyser la situation du locataire,
rechercher des solutions (accompagnement social, relogement, dispositifs d’urgence),
et éventuellement intervenir auprès du bailleur.
Ce n’est donc pas un délai d’exercice d’une action, mais un délai de protection et de coordination.
4.2. Inapplicabilité de l’article 642 CPC : continuité jurisprudentielle
L’avis de 2025 ne crée pas un principe ex nihilo : il prolonge la jurisprudence déjà posée, notamment par :
Cass. civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11.312 : en matière de bail commercial, le délai de six mois pour donner congé à une date fixe ne peut être prorogé par l’article 642 CPC, car il s’agit là aussi d’un délai d’anticipation par rapport à une date déterminée.
En reprenant la même logique pour le délai de six semaines de l’article 24, III, la Cour :
renforce la cohérence du droit des délais ;
confirme que l’article 642 CPC est d’interprétation stricte et ne s’applique qu’aux délais procéduraux au sens classique du terme.
4.3. La méthode de calcul : un “compte à rebours” de 42 jours
La Cour impose une méthode très opérationnelle :
On fixe la date d’audience (jour J).
On considère que le délai commence à courir la veille (J - 1).
On remonte 42 jours en arrière : le délai expire au 42e jour à zéro heure avant la date de l’audience.
Concrètement, pour que l’assignation soit recevable :
le préfet doit avoir reçu la notification avant le début du 42e jour précédant la date de l’audience ;
en pratique, pour sécuriser, il est prudent de viser un délai supérieur à 6 semaines (par exemple 7 semaines).
4.4. Conséquences pratiques pour les juridictions et les praticiens
Pour les bailleurs et leurs avocats
Une marge de sécurité doit être intégrée à la planification des audiences d’expulsion ;
Une notification au préfet réalisée “en limite de délai” (avec un samedi, dimanche ou jour férié) ne bénéficiera d’aucune prorogation :
si la notification intervient après le “42e jour à zéro heure”, l’assignation est irrecevable sur le fondement de l’article 24, III ;
En conséquence, on évitera absolument :
les assignations avec audience fixée “trop près” de la date de notification,
les calculs approximatifs “six semaines calendaires à peu près”.
Pour les locataires
La solution renforce la protection des locataires en garantissant un délai effectif de six semaines pour :
réagir à la procédure,
solliciter une aide sociale ou juridique,
organiser une éventuelle solution de relogement.
Pour les préfectures
L’avis conforte l’idée que ces six semaines sont un temps utile pour que le représentant de l’État :
prenne connaissance du dossier,
coordonne les acteurs (services sociaux, DALO, associations),
exerce si besoin un rôle de médiation.Légifrance
4.5. Portée de la référence à la norme ISO 8601
En écartant l’argument tiré de la norme ISO 8601, la Cour :
rappelle que la qualification juridique du délai prime sur les classifications techniques de calendrier ;
évite que des normes techniques (numérotation de “semaine 1, semaine 2…”) ne viennent parasiter l’application de règles de procédure – qui, elles, reposent sur les articles 640 à 642 CPC.
5. Critique de la décision
Points forts :
Cohérence avec la jurisprudence antérieure sur l’article 642 CPC ;
Lisibilité pratique : la méthode “42 jours à rebours” est simple à expliquer aux praticiens ;
Protection accrue du locataire et rôle renforcé du préfet.
Point discutable :
On peut regretter que l’absence de prorogation puisse conduire, en pratique, à des irrecevabilités sévères lorsque la notification intervient à la limite du délai et que la date a été fixée par le greffe. Mais cette sévérité est indirectement voulue par le législateur (sanction d’irrecevabilité) et assumée par la Cour.
6. Accompagnement personnalisé par la SELARL PHILIPPE GONET
Dans ce type de dossier (baux d’habitation, résiliation, expulsion, délais préalables), la SELARL PHILIPPE GONET, avocat à Saint-Nazaire, peut notamment :
Pour les bailleurs :
sécuriser le calendrier de la procédure (commandement, assignation, notification au préfet, fixation de l’audience) ;
vérifier le respect du délai de six semaines selon la méthode consacrée par l’avis du 6 novembre 2025 ;
prévenir les risques d’irrecevabilité coûteuse.
Pour les locataires :
contrôler si le délai de six semaines a été effectivement respecté ;
soulever, le cas échéant, les exceptions de procédure adaptées ;
organiser une défense globale (situation financière, relogement, négociation avec le bailleur).
Pour les services sociaux ou les acteurs institutionnels locaux :
expliciter les contraintes juridiques pesant sur la préfecture et les délais utiles pour intervenir avant l’audience.
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