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Prescription & contrefaçon : chaque acte fait courir 5 ans (Cass. 1re, 3-09-2025)

Aujourd'hui
Prescription & contrefaçon : chaque acte fait courir 5 ans (Cass. 1re, 3-09-2025)
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1) Résumé succinct

Parties
Demandeurs : M. [V] [J], M. [Z] [S] (auteurs/compositeurs du générique Code Lyoko – « Un monde sans danger ») et M. [N] [W] (adaptateur de la version anglaise).
Défendeurs : sociétés d’édition/production/distribution (EMI, BMG, Universal, Interscope/UMG), ainsi que M. [I] [M] [U] dit [A] [P] et Mme [R] [F] dite [X]. La SACEM est intervenue volontairement à l’appui du pourvoi.

Juridiction / formation : Cour de cassation, 1re chambre civile, formation de section, arrêt n° 512 FS-B, publié au Bulletin, pourvoi n° 23-18.669. Cour de Cassation

Nature du litige : contrefaçon de droits d’auteur alléguée à propos du titre « Whenever » (album The Beginning, 2010) du groupe The Black Eyed Peas vs. générique Code Lyoko. Point litigieux : point de départ de la prescription (art. 2224 C. civ.) lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts (reproductions, représentations, diffusions).

Effet pratique / apport : la 1re chambre civile casse l’arrêt CA Paris du 17 mai 2023 et pose que, lorsqu’il s’agit d’actes distincts (et non d’un acte unique qui se prolonge), la prescription quinquennale court pour chaque acte à compter du jour où l’auteur a connu ou aurait dû connaître cet acte. Les actes de diffusion/commercialisation intervenus moins de 5 ans avant l’assignation ne sont donc pas prescrits.


2) Analyse détaillée

Les faits 

10 févr. 2004 : dépôt SACEM de « Un monde sans danger » (générique Code Lyoko) ; version anglaise « A world without danger » (avec M. [W], adaptateur).

2010 : sortie de l’album The Beginning comportant « Whenever ». Les demandeurs estiment que ce titre reprend leur œuvre.

30 déc. 2011 : mise en demeure adressée aux compositeurs et aux sociétés concernées.

6 juin 2018 : assignation en contrefaçon devant le tribunal compétent contre les auteurs/éditeurs/producteurs/distributeurs du titre ; la diffusion et la commercialisation du morceau perdurent encore en 2018.

19 août 2020 : intervention volontaire de M. [W].

La procédure

CA Paris, 17 mai 2023 (RG 21/15795) : fin de non-recevoir pour prescription ; la cour retient que la connaissance des faits (mise en demeure 2011) fait courir le délai de 5 ans, peu important la persistance des ventes/streams en 2018, qu’elle qualifie de « prolongement normal ». 

Pourvoi n° 23-18.669 : 1re Civ., cassation totale et renvoi devant la CA Paris autrement composée. 

Contenu de la décision (Cour de cassation, 3 sept. 2025)

Recevabilité intervention SACEM

Intervention accessoire recevable : ses statuts attribuent au gérant le pouvoir d’intenter/suivre les actions ; en sa qualité de société de gestion collective, la SACEM a intérêt à soutenir le pourvoi.
Fond

Visa : article 2224 du code civil (prescription quinquennale à compter de la connaissance ou de la connaissance « due »).

Principe dégagé :

Lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts (reproduction, représentation, diffusion), et non d’un acte unique prolongé, la prescription court pour chacun de ces actes, à compter du jour où l’auteur les a connus ou aurait dû les connaître.

Censure : la CA avait constaté des actes de diffusion de l’œuvre contrefaisante moins de cinq ans avant l’assignation, mais les a traités comme simple « prolongement ». En jugeant prescrite l’action en bloc, elle viole l’art. 2224.

Dispositif : cassation totale, renvoi, dépens à la charge des défendeurs, 3 000 € au titre de l’art. 700 CPC.

3) Références juridiques 

3.1 Jurisprudence

Cass. civ. 1re, 3 sept. 2025, n° 23-18.669 (FS-B), formation de section — Publié au Bulletin — ECLI: FR:CCASS:2025:C100512.

CA Paris, pôle 5-ch. 1, 17 mai 2023, n° 21/15795 (décision attaquée).

Cass. civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266, publié (rappel de principe art. 2224 C. civ. ; hypothèse d’atteinte « inscrite dans la durée » traitée comme acte unique) — décision citée par rapprochement par la Cour.

3.2 Textes légaux 

Article 2224 du code civil — Section 1 : Du délai de droit commun et de son point de départ — Version en vigueur depuis le 19 juin 2008 (Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008) :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

4)  Analyse juridique approfondie

A – Principe clarifié : actes distincts vs. acte unique prolongé

La 1re chambre civile opère une distinction structurante :

Si la contrefaçon procède d’un acte unique se prolongeant (ex. exposition ininterrompue d’un même objet contrefaisant), la connaissance de la situation illicite fait courir la prescription pour l’action en réparation, même si l’atteinte dure (solution consacrée en 2023). 

Si, au contraire, la contrefaçon résulte de multiples actes autonomes (nouvelles reproductions, nouvelles représentations, nouveaux actes de diffusion/commercialisation, nouveaux uploads, pressages, streams…), chacun est un fait générateur faisant courir son délai de 5 ans à compter de la connaissance (ou connaissance « due ») de cet acte. C’est l’apport décisif de 2025.

B – Portée concrète (pratiques industrielles & numériques)

Exploitation continue d’un phonogramme : pressages successifs, remise en vente, mises en ligne, ajouts à des playlists éditoriales, campagnes de réédition (Deluxe/Remaster), synchronisations, etc., constituent autant d’actes distincts susceptibles d’ouvrir des fenêtres rolling de responsabilité civile pour les 5 dernières années.

Limite : les actes antérieurs de plus de 5 ans demeurent prescrits pour l’indemnisation ; l’arrêt ne dit pas autre chose et ne « ré-ouvre » pas l’intégralité de l’exploitation. (Interprétation découlant du visa de l’art. 2224 et de la cassation fondée sur l’oubli, par la CA, des actes non prescrits constatés.)

C – Articulation avec Cass. 1re, 15 nov. 2023 (n° 22-23.266)

La solution de 2023 n’est pas infirmée mais circonscrite : elle visait un état illicite prolongé considéré comme un fait générateur (exposition durable d’une sculpture déjà reconnue contrefaisante), là où l’arrêt 2025 vise une série d’actes nouveaux (reproductions/ représentations/diffusions successives). Il s’agit d’une mise au point utile pour l’économie des actions en contrefaçon à l’ère des exploitation multi-canaux. 


5) Accompagnement personnalisé

Pour sécuriser vos contentieux en propriété littéraire et artistique (qualification des actes, chiffrage du préjudice par périodes non prescrites, stratégie probatoire – constats, données d’exploitation, streams, ventes), la SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

auditer l’exploitation (physique/numérique) pour cartographier les actes distincts et leurs dates ;
bâtir un calendrier de prescription opposable ;

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