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CJUE C-445/24 : une association peut être « voyageur » (voyage à forfait)

Le 19 décembre 2025
CJUE C-445/24 : une association peut être « voyageur » (voyage à forfait)
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La SELARL PHILIPPE GONET, société d’avocat inscrite au barreau de Saint-Nazaire, assiste les particuliers et professionnels dans des contentieux contractuels et indemnitaires, notamment lorsque un litige implique un intermédiaire (agence), une assurance, ou une difficulté d’exécution/remboursement. Le cabinet intervient aussi en droit immobilier, droit de la famille, préjudice corporel et responsabilité professionnelle, et plaide devant la Cour d’appel de Rennes et les juridictions du ressort. 


1) Résumé de la décision 

En bref : la CJUE juge qu’une personne morale (ici une ASBL) qui conclut en son nom un voyage à forfait pour le compte de ses membres relève de la notion de « voyageur » (directive 2015/2302).

Parties
MS Amlin Insurance SE (assureur)
(W)onderweg VZW (association sans but lucratif)


Juridiction :
CJUE (dixième chambre), 13 novembre 2025, aff. C-445/24, ECLI : ECLI:EU:C:2025:893

Nature du litige
Après la faillite d’une agence de voyages, l’association réclame le remboursement des sommes versées au titre d’un voyage à forfait. L’assureur refuse, soutenant que l’association (personne morale) n’est pas un « voyageur ».

Effet direct (ce que ça change)

La décision sécurise les associations/entités qui achètent ponctuellement des voyages à forfait pour autrui : elles peuvent agir directement pour faire valoir les droits issus de la directive (notamment la protection contre l’insolvabilité), sans obliger chaque membre à saisir la justice individuellement.

2) Analyse détaillée

A. Les faits (chronologie complète)

En bref : une association organise un citytrip pour des membres vulnérables, puis la crise Covid bloque le départ ; l’agence fait faillite ; l’assureur refuse de rembourser.

18 janvier 2020 : (W)onderweg conclut un contrat de voyage à forfait (« citytrip ») à destination de Lyon, incluant train + hôtel, pour la période 21–24 avril 2020 ; paiement : 9 165,14 €.

16 mars 2020 : avec les mesures de confinement Covid-19, demande de report à septembre 2020.

Report impossible ; échanges sur un report à avril 2021 et sur un bon à valoir (voucher).

7 septembre 2020 : mise en demeure de rembourser.

22 septembre 2020 : l’agence est déclarée en faillite ; demande de remboursement adressée à l’assureur MS Amlin (garantie insolvabilité).

MS Amlin refuse : selon elle, seul un voyageur personne physique serait protégé, pas l’association.


B. La procédure (1re instance → appel → renvoi préjudiciel)

En bref : première instance perdue (annulation avant insolvabilité), appel gagné, puis question européenne sur la définition de « voyageur ».

1re instance (Anvers) : rejet, au motif que le voyage aurait été annulé avant l’insolvabilité.

Appel (Anvers) : condamnation de l’assureur à payer 9 165,14 € (+ intérêts et frais).

Cassation (Belgique, Hof van Cassatie) : doute sur la portée du terme « voyageur » ; renvoi préjudiciel à la CJUE (question : une personne morale peut-elle être « voyageur » ?).


C. Contenu de la décision

1) Arguments des parties (tels que la décision les fait ressortir)
En bref : l’assureur veut réserver la protection aux personnes physiques ; l’association veut être reconnue comme titulaire des droits car cocontractante.

Assureur (MS Amlin) : la notion de « voyageur » ne viserait que la personne physique qui voyage ; l’association ne pourrait donc pas tirer de droits de la transposition nationale.

Association (W)onderweg) : elle a conclu le contrat en son nom, a payé, et réclame le remboursement au titre de la protection insolvabilité.


2) Raisonnement de la CJUE (décryptage)

En bref : texte + contexte + finalité = interprétation large : « toute personne » inclut aussi les personnes morales qui cherchent à conclure le contrat.

La Cour procède classiquement en 3 temps :

a) Lecture du texte

La directive définit le « voyageur » comme « toute personne » cherchant à conclure un contrat ou ayant le droit de voyager sur la base d’un contrat déjà conclu. La CJUE souligne l’absence de distinction explicite entre personnes physiques et morales dans cette définition.

b) Analyse contextuelle

Certaines dispositions visent typiquement des besoins « humains » (âge, handicap), mais cela ne suffit pas à exclure une personne morale qui conclut le contrat.


Surtout, l’exclusion du champ d’application pour les voyages d’affaires conclus via une convention générale vise aussi les personnes morales, ce qui confirme que des achats de forfaits par des personnes morales peuvent, en principe, entrer dans le champ de la directive (hors exception).

c) Finalité : effet utile + niveau élevé de protection

La CJUE privilégie une interprétation large :

Exclure l’association obligerait chaque membre à agir individuellement, alourdissant l’exercice des droits et réduisant concrètement la protection.

Cela créerait un vide juridique : un contrat valablement conclu par une personne morale, mais sans possibilité pour elle d’exercer les droits attachés au contrat.

Enfin, la Cour précise que celui qui « cherche à conclure » conserve la qualité de voyageur après la conclusion du contrat (sinon la protection serait neutralisée).

3) Solution retenue (dispositif)

La CJUE dit pour droit : l’article 3, point 6, de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens qu’une association (personne morale) qui conclut un contrat de voyage à forfait en son nom mais pour le compte de ses membres relève de la notion de « voyageur ».

3) Références juridiques 

A. Jurisprudence citée par l’arrêt C-445/24


CJUE, 29 juill. 2024, HDI Global et MS Amlin Insurance, aff. C-771/22 et C-45/23 –

CJUE, 9 nov. 2016, Wathelet, aff. C-149/15 

CJUE, 2 avr. 2020, Condominio di Milano, via Meda, aff. C-329/19

CJUE, 24 oct. 2024, Zabitoń, aff. C-347/23


B. Textes 

L’arrêt reproduit et mobilise directement :

la définition de “voyageur” (directive 2015/2302, art. 3, point 6),
des éléments du champ d’application (art. 2),
et la protection contre l’insolvabilité (art. 17), ainsi que le caractère impératif (art. 23, §2).


4) Analyse juridique approfondie : portée pratique

En bref : la CJUE sécurise l’action “du payeur cocontractant” quand il agit pour des bénéficiaires/membres.

Ce que la CJUE consacre

Le “voyageur” n’est pas forcément celui qui monte dans le train : c’est aussi celui qui conclut le contrat (même personne morale), dès lors que le forfait relève du champ de la directive.

Action directe simplifiée : l’association cocontractante peut faire valoir les droits (dont insolvabilité), sans imposer une cascade d’actions individuelles des membres.

Protection renforcée des publics vulnérables : la Cour insiste sur l’effet concret de la solution dans un cas où les bénéficiaires peuvent être vulnérables.

Les limites à avoir en tête
La question posée porte sur la définition de “voyageur” ; l’arrêt indique que les exceptions de champ d’application (ex : activités occasionnelles/non lucratives) ne sont pas l’objet de la question, la juridiction de renvoi ayant écarté l’exception pertinente en droit national.

En pratique, il faudra donc toujours vérifier : forfait ? champ d’application ? exception ? (et surtout si la structure organise des voyages de manière habituelle).

5) Critique de la décision

Cohérence : la solution s’aligne sur l’objectif de protection effective et sur une interprétation fonctionnelle du terme “voyageur”.

Message central : le titulaire des droits peut être une personne morale cocontractante, même si elle ne “voyage” pas.


6) Conclusion

Cette analyse, centrée sur le droit européen des voyages à forfait et la protection en cas d’insolvabilité, est offerte par la SELARL PHILIPPE GONET. 

Si vous êtes une association / entreprise / comité ayant payé un voyage pour des bénéficiaires (membres, salariés, adhérents) et qu’un professionnel refuse le remboursement (agence, assureur, garant), il est souvent décisif de qualifier correctement le contrat et d’identifier le titulaire des droits à agir.

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