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« Baux ruraux successifs : Cass. 3e civ., (04-09-2025 ) — inopposabilité »

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« Baux ruraux successifs : Cass. 3e civ., (04-09-2025 ) — inopposabilité »
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1) Résumé succinct

Parties : Mme [O] [Z] [H] (demanderesse au pourvoi) c/ M. [W] [J], Mme [E] [J], M. [L] [M], DRFiP PACA & Bouches-du-Rhône (curateur à succession vacante) — intervenants / défendeurs.

Juridiction : Cour de cassation, 3e chambre civile (formation de section), arrêt n° 382 FS-B, 4 septembre 2025, pourvoi n° 24-14.019,cassation partielle (renvoi Chambéry). Cour de Cassation

Nature du litige : Conflit de baux ruraux successifs sur les mêmes parcelles (1991 puis 2014). La cour d’appel avait prononcé la nullité du second bail (2014).

Portée : La Cour de cassation écarte la nullité du second bail : en présence de deux baux successifs, le bail qui a acquis le premier date certaine est seulement opposable à l’autre preneur ; l’autre bail n’est pas nul, mais seulement inopposable au titulaire du titre premier en date certaine.

2) Analyse détaillée

Les faits 

20 déc. 1991 (enregistré le 26 déc. 1991) : bail rural sous seing privé consenti à M. [L] [M] sur diverses parcelles (premier bail).

15 janv. 2014 (enregistré le 1er mars 2021) : [N] [C] consent un bail rural à Mme [Z] [H] sur les mêmes parcelles (second bail).

15 déc. 2016 : décès de [N] [C] ; succession vacante, DRFiP PACA & BdR désignée curateur.

11 févr. 2021 : vente des parcelles à Mme [Y] et M. [V] [M] (par DRFiP ès qualités et consorts [J]) ; vente résolue par acte authentique du 25 mai 2021.

Saisine du TPBR par Mme [Z] [H] pour annulation de la vente ; interventions et demandes reconventionnelles (M. [L] [M] demande la reconnaissance de son bail ; DRFiP/consorts [J] demandent la nullité du bail 2014).

La procédure

TPBR : litige engagé (prétentions rappelées ci-dessus).

CA Grenoble, 13 févr. 2024 (n° 23/02192) : déclare nul le bail rural du 15 janv. 2014 comme portant sur des parcelles non libres (bail antérieur valable de M. [L] [M]).

Pourvoi de Mme [Z] [H] : deux moyens ; intérêt ici au second moyen (nullité vs inopposabilité).

Cassation partielle (Civ. 3, 4 sept. 2025) : annule seulement en ce qu’il déclare nul le bail 2014 ;

Renvoi devant CA Chambéry.

Contenu de la décision

Arguments

Demanderesse (Mme [Z] [H]) : le bail consenti sur des parcelles déjà louées n’est pas nul ; il peut au plus être inopposable au preneur titulaire d’un bail ayant date certaine antérieure ; violation alléguée de L. 411-1 C. rur. (statut), ancien art. 1108 C. civ. (conditions de validité).
DRFiP & consorts [J] / M. [L] [M] : contestent le bail 2014 en nullité et font valoir l’antériorité/validité du bail 1991.

Raisonnement

Visa des art. L. 411-4, al. 1 C. rur. & pêche maritime (écrit obligatoire) et ancien art. 1328 C. civ. (date certaine des actes sous seing privé à l’égard des tiers).

Principe dégagé : s’il existe deux baux successifs sur les mêmes biens, le premier ayant acquis date certaine est opposable à l’autre preneur ; le second bail n’est pas nul pour ce motif, il est seulement inopposable au titulaire du premier titre.

Censure : en prononçant la nullité du bail 2014 au seul motif de l’occupation antérieure, la CA a violé les textes susvisés.

Solution

Cassation partielle : substitution de l’inopposabilité à la nullité ; renvoi Chambéry ; dépens à la charge de M. [W] [J], Mme [E] [J], M. [L] [M], DRFiP ès qualités ; rejets art. 700 CPC.

3) Références juridiques

3.1 Jurisprudence 


Cass. civ. 3e, 4 sept. 2025, n° 24-14.019 – Formation de section — Arrêt n° 382 FS-B — 
Lien Cour de cassation (officiel) :

Cass. civ. 3e, 12 sept. 2024, n° 22-17.070 (Publiée au Bull.) — Baux successifs / date certaine / bonne foi

Cass. civ. 3e, 13 juin 2001, n° 99-16.218 (Inédit) — Baux successifs / date certaine

Cass. civ. 3e, 25 juin 1975, n° 74-10.397 (Publiée au Bull.) — Baux successifs / antériorité & mauvaise foi

Cass. civ. 3e, 30 janv. 1969, n° 67-13.249 (ex. sur l’opposabilité par date certaine, contexte vente)

Remarque : le rapprochement officiel indiqué dans l’arrêt 2025 renvoie déjà à Cass. 3e civ., 12 sept. 2024, n° 22-17.070.

3.2 Textes légaux 

C. rural et de la pêche maritime, art. L. 411-4, al. 1 (version en vigueur — identique sur la période utile) :
« Les contrats de baux ruraux doivent être écrits. »

C. civil, ancien art. 1328 (version du 14 mars 2000 au 1er oct. 2016, applicable aux faits antérieurs à la réforme) :
« Les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics… »


4)  Analyse juridique approfondie

Le principe consolidé

L’arrêt du 4 septembre 2025 stabilise la solution : entre deux baux ruraux successifs sur les mêmes parcelles, la hiérarchie se fait par la date certaine (ancien art. 1328 C. civ.). Le bail premier en date certaine est opposable à l’autre preneur ; le second bail n’est pas nul, il est inopposable au titulaire du premier titre. Ce faisant, la Cour corrige une dérive de la CA (glissement de l’opposabilité vers la nullité).

Continuité jurisprudentielle

1975 : déjà, la 3e chambre civile admettait que l’antériorité de la date certaine n’emporte pas tout : la mauvaise foi du preneur invoquant le titre antérieur peut écarter l’opposabilité. 

2001 : confirmation sur l’exigence de date certaine pour opposer un bail verbal ou postérieur ; à défaut, le second titre ne prime pas.

2024 : précision majeure : le premier en date certaine est opposable même au preneur déjà en possession sous un titre sans date certaine, à condition que le preneur qui se prévaut du titre soit de bonne foi. 

2025 (présent arrêt) : pédagogie supplémentaire : l’instrument de sanction n’est pas la nullité du second bail, mais son inopposabilité au bénéficiaire du premier titre daté. 

Effets pratiques

Pour les bailleurs : la sécurisation passe par l’écrit (L. 411-4) et l’acquisition rapide d’une date certaine (enregistrement, acte authentique, décès…).

Pour les preneurs : un bail « tardivement daté » peut rester valable inter partes, mais sera inopposable au preneur concurrent muni d’un titre plus ancien et certain ; l’issue dépendra aussi de la bonne/mauvaise foi (JP 1975, 2024). 

Pour le contentieux : privilégier des demandes d’inopposabilité plutôt que la nullité lorsqu’il s’agit d’un conflit entre preneurs fondé sur la date certaine.

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