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Uber : pas de salariat sans subordination prouvée – Cass. soc., 9 juill. 2025

Le 03 septembre 2025
Uber : pas de salariat sans subordination prouvée – Cass. soc., 9 juill. 2025
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1. Résumé succinct

Parties : M. [S] [G] c/ Uber France (SAS) et Uber BV (Pays-Bas).

Juridiction: Cour de cassation, chambre sociale, 9 juillet 2025, n° 24-13.504, solution : rejet, non publié 

Nature du litige : Demande de requalification de la relation avec la plateforme Uber en contrat de travail (compétence prud’homale) ; contestation de l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal de commerce.

Effet direct : Confirmation par la Cour de cassation de l’absence de lien de subordination au vu des constatations des juges du fond postérieures aux évolutions issues de la LOM (information du chauffeur sur le prix minimal, liberté de connexion/déconnexion, refus de courses sans sanction, etc.).

2. Analyse détaillée

Les faits 

Contrat : M. [G] conclut un contrat de partenariat avec Uber BV pour exercer en tant que chauffeur via l’application Uber.

Organisation du service (constatations des juges du fond reprises par la Cour) : pas d’exclusivité ni de non-concurrence ; liberté de s’inscrire sur d’autres applications ou d’exercer hors plateforme ; connexion/déconnexion libre (alternance de périodes d’activité et d’inactivité relevée) ; catégorie « chauffeur favori » permettant de développer une clientèle personnelle ; 15 secondes pour accepter/refuser une course ; reconnexion quasi immédiate après trois refus (absence de sanction) ; information sur prix minimal net, distances/temps avant proposition (évolution de l’app depuis juillet 2020 pour se conformer à la LOM).

PV 29 juillet 2022 : mentionné par la Cour comme illustration de courses effectuées hors plateforme / clientèle personnelle.

La procédure

1re instance (prud’hommes) : action en requalification – la compétence prud’homale est discutée (au profit du tribunal de commerce).

Appel : CA Paris, pôle 6 ch. 2, 14 déc. 2023, retient l’incompétence prud’homale au profit du tribunal de commerce, estimant absence de lien de subordination.

Cassation : pourvoi du travailleur ; rejet le 9 juill. 2025. 

Contenu de la décision

Arguments du demandeur (4 branches du moyen)

La géolocalisation, la fixation unilatérale des prix, la désactivation sous certaines notes, les ajustements tarifaires, la déconnexion après refus, l’interdiction de contact hors course et les obligations de comportement caractérisent un pouvoir de direction/contrôle/sanction et donc un lien de subordination.

Le lien de subordination n’implique pas une disponibilité permanente.

Le juge devait apprécier le lien pendant l’exécution des prestations, sans s’attacher aux libertés hors connexion.

La qualification ne dépend ni de la volonté ni de l’intitulé des contrats mais des conditions de fait.

Raisonnement de la Cour

Visa légal :

C. trav., art. L. 8221-6 : « Sont présumés ne pas être liés… par un contrat de travail… L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque… [ils sont] dans un lien de subordination juridique permanente ». 

Définition jurisprudentielle constante (Soc., 13 nov. 1996, Société générale) : le lien est pouvoir de donner des ordres et directives, de contrôler l’exécution et de sanctionner. La Cour le rappelle expressément.

Indice : travail au sein d’un service organisé dont l’employeur détermine unilatéralement les conditions.

Appréciation concrète (adoption des motifs de la CA) :

Liberté d’exercer via d’autres applis / hors plateforme, liberté de connexion/déconnexion (activité discontinue constatée), développement de clientèle personnelle (catégorie « chauffeur favori »). → pas de permanence de la dépendance.

Exécution de la course : faculté de refus (15 s) ; annexe contractuelle : « la société ne contrôle ni ne dirige le chauffeur », lequel choisit la manière d’exécuter la course. → autonomie dans l’exécution ; absence de directives/ordres pendant la course.

Refus de courses : après trois refus, invitation à se reconnecter ultérieurement ; reconnexion presque immédiate ; au regard de C. transp., art. L. 1326-2 (« Les travailleurs peuvent refuser une proposition… la plateforme ne peut pas suspendre/mettre fin pour ce motif »), aucune sanction et aucune rupture liée aux refus n’est établie.


Tarification : fixation du prix par la plateforme prévue par C. trav., art. L. 7341-1 et s. et adaptations LOM 24 déc. 2019 (affichage prix minimal net, distance/temps). → la fixation d’un tarif maximum, ou des ajustements, ne suffit pas à caractériser la subordination. 

Solution : absence de lien de subordination → rejet du pourvoi ; compétence commerciale confirmée. La 2e branche (disponibilité permanente) est déclarée inopérante.

3. Références juridiques

3.1 Jurisprudence 

Cass. soc., 9 juill. 2025, n° 24-13.504, rejet (Uber) 

Cass. soc., 9 juill. 2025, n° 24-13.513, rejet (Uber) 

Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316 (Uber) 

Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079 (Take Eat Easy) 

Cass. soc., 13 avr. 2022, n° 20-14.870 (plateforme VTC « Le Cab ») 

Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187 (Société générale)

3.2 Textes légaux

C. trav., art. L. 8221-6 (version en vigueur au 01/01/2023) :

« Sont présumés ne pas être liés… par un contrat de travail… L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente ». 

C. transp., art. L. 1326-2 (version en vigueur depuis le 08/04/2022) :

« Les travailleurs peuvent refuser une proposition de prestation… La plateforme ne peut pas suspendre ni mettre fin… au motif que ceux-ci ont refusé une ou plusieurs propositions. »

C. trav., art. L. 7341-1 (Titre IV — travailleurs de plateformes) : champ d’application. 

C. trav., art. L. 7342-1 (responsabilité sociale quand la plateforme fixe le prix / détermine les caractéristiques).

4.  Analyse juridique approfondie

Décryptage du raisonnement 2025 (Uber)

La Cour se place dans le cadre L. 8221-6 + Société générale (1996) : la subordination reste le critère décisif. Elle vérifie, en pratique, si Uber exerce un pouvoir de direction/contrôle/sanction pendant l’exécution des prestations.

Or, elle constate (par adoption des motifs de la CA) que les évolutions post-LOM structurent un modèle moins “dirigiste” :

Liberté de connexion et d’organisation, multi-app, clientèle propre ;

Refus de courses sans pénalité au sens du Code des transports ;

Fixation du prix légalisée/encadrée par le Titre IV du Code du travail (information préalable du chauffeur).

Dès lors, les indices classiquement retenus en 2018/2020 (géolocalisation, notation, pouvoir de déréférencement, etc.) ne suffisent pas, pris isolément, à prouver un pouvoir de sanction effectif pendant la course. Conclusion : pas de subordination, donc pas de contrat de travail. 

Mise en perspective – Jurisprudence antérieure

2018 (Take Eat Easy) : reconnaissance du salariat sur la base d’un système de géolocalisation et d’un pouvoir de sanction (désactivation) révélant un service organisé par la plateforme. 

2020 (Uber) : confirmation de la requalification par la chambre sociale, au regard des mécanismes disciplinaires et de l’intégration du chauffeur dans un service organisé (avant LOM / avant refonte applicative 2020). 

2022 (Le Cab) : la Cour rappelle que la requalification n’est pas automatique ; elle censure l’arrêt d’appel qui n’avait pas correctement caractérisé, pendant l’exécution, un pouvoir de direction/contrôle/sanction. 

Lecture d’ensemble (2025) : les arrêts du 9 juill. 2025 (n° 24-13.504 et 24-13.513) confirment une approche au cas par cas, centrée sur l’exécution effective des courses après les réformes LOM et leurs textes d’application (dont l’information préalable sur le prix minimal, la destination et les distances/temps).

Le simple fait que la plateforme fixe le prix n’est plus en lui-même décisif de la subordination. LégifranceOpen Lefebvre Dalloz

Impact pratique

Contentieux prud’homal : pour renverser la présomption L. 8221-6, il faudra prouver, pendant la course, de réelles directives, un contrôle opérationnel et des sanctions effectives (déconnexion/suspension non justifiées par L. 1326-2). 

Plateformes : la conformité LOM (information ex ante + neutralité pendant l’exécution + refus sans pénalité) sécurise le modèle indépendant. 

Chauffeurs : l’autonomie prouvée (multi-app, clientèle propre, choix des horaires/secteur) affaiblit la requalification ; à l’inverse, toute preuve d’un pilotage algorithmique prescriptif et sanctionnable pendant la course (et non uniquement hors connexion) reste déterminante.

5. Critique de la décision

 Analyse : le cœur du raisonnement 2025 est la pondération des indices à l’aune des textes spéciaux (C. transp. L.1326-2 ; C. trav. Titre IV). 
Synthèse : l’arrêt n’affirme pas une immunité des plateformes ; il exige des preuves d’ordres/directives/sanctions pendant l’exécution.

6. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Auditer vos contrats/CGU de plateforme et vos process (prix, notation, déconnexion) au regard de L. 8221-6 et L. 1326-2 ;
Constituer la preuve (logs, captures, notifications, modalités de “pilotage” pendant la course) pour sécuriser votre statut ou pour porter la requalification ;

Plaider en référé et au fond devant les prud’hommes, TJs et CA, et suivre un pourvoi.

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