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1. Résumé succinct
Parties impliquées : Mme [O] (emprunteuse) contre la Société Caisse d’épargne et de prévoyance Grand Est Europe (successeur de la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Alsace, défenderesse).
Juridiction : Cour de cassation, 1re chambre civile, arrêt du 9 juillet 2025, n° 24-19.647, publié au Bulletin (ECLI:FR:CCASS:2025:C100501).
Nature du litige : Contestation du caractère abusif de clauses contractuelles relatives au risque de change dans plusieurs contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisses, remboursables dans cette devise, souscrits par une emprunteuse percevant initialement ses revenus en francs suisses.
Effet direct : Revirement jurisprudentiel majeur exigeant que, pour les prêts en devise étrangère remboursables dans la même devise, le risque de change soit apprécié non seulement à la conclusion du contrat mais pendant toute sa durée, notamment en tenant compte des évolutions prévisibles des circonstances personnelles de l’emprunteur (travail transfrontalier, domiciliation, revenus). Ce renforce la protection des consommateurs conformément à la directive 93/13/CEE et modifie les conditions d’appréciation du caractère abusif des clauses de risque de change.
2. Analyse détaillée
Les faits
Mme [O], travaillant en Suisse, a souscrit quatre prêts immobiliers (14/10/2005, 13/02/2006, 17/07/2007, 16/12/2010) auprès de la Caisse d’épargne et de prévoyance d’Alsace, libellés en francs suisses, pour financer quatre biens immobiliers en France destinés à la location.
En juillet 2018, Mme [O] a été licenciée et mise en préretraite, perdant ainsi son emploi en Suisse.
Le 21 janvier 2019, elle assigne la banque en justice pour faire reconnaître le caractère abusif des clauses relatives au risque de change, et subsidiairement pour manquement à l’obligation de mise en garde.
La procédure
La cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 3 juillet 2024, a rejeté ses demandes.
Mme [O] forme un pourvoi en cassation, contesté par la banque.
Arguments des parties
Demanderesse (Mme [O]) : Les clauses portant sur le risque de change sont abusives car la cour d’appel n’a pas pris en compte que la perte de son emploi en Suisse et la modification de ses revenus en euros (indemnités chômage, loyers perçus en euros) l’exposaient à un risque de change sur la durée du contrat.
Défenderesse (la banque) : La cour d’appel a correctement considéré qu’il n’y avait aucun risque de change dès lors que Mme [O] avait perçu des revenus en francs suisses à la conclusion des contrats et avait toujours procédé à des remboursements en cette devise.
Raisonnement de la Cour de cassation
Rappel du cadre légal et européen :
Article L. 132-1 du code de la consommation (version antérieure à l’ordonnance 2016-301) transpose la directive 93/13/CEE relative aux clauses abusives.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) impose que les clauses relatives au risque de change dans les prêts en devise étrangère soient transparentes, claires et compréhensibles, permettant au consommateur de comprendre les conséquences économiques pendant toute la durée du contrat (CJUE, 30 avril 2014, Kasler C-26/13 ; 20 sept. 2018, OTP Bank C-51/17 ; 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance C-776/19 à C-782/19).
Pratique antérieure de la Cour de cassation :
La 1re chambre civile avait admis que, pour des prêts en devise étrangère remboursables dans la même devise, souscrits par un emprunteur percevant ses revenus dans cette même devise, il n’y avait pas de risque de change (Cass. civ. 1re, 1 mars 2023, n° 21-20.260).
Revirement et nouvelle solution :
Cette analyse est désormais modifiée. Il faut apprécier le risque de change en tenant compte de toutes les circonstances au moment de la conclusion du contrat et de leur évolution raisonnablement prévisible pendant la durée d’exécution du prêt.
Sont notamment pertinentes la qualité de travailleur transfrontalier, la domiciliation de l’emprunteur, la localisation des biens financés, et la nature des revenus (ex. revenus en euros après licenciement).
L’établissement financier doit donc fournir des informations claires et transparentes permettant à l’emprunteur de mesurer les risques de dépréciation de la monnaie locale et l’impact sur ses remboursements.
Conséquences procédurales :
La cour d’appel a privé sa décision de base légale en ne recherchant pas si Mme [O] était exposée à un risque de change pendant toute la durée du contrat, compte tenu de l’évolution de sa situation (perte d’emploi, revenus en euros).
La Cour casse partiellement l’arrêt et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Metz pour qu’elle statue à nouveau conformément à ce nouveau cadre juridique.
Sur la sécurité juridique :
La Cour rappelle que l’évolution jurisprudentielle fondée sur la directive 93/13/CEE ne porte pas atteinte à la sécurité juridique, car elle était raisonnablement prévisible.
Conséquence sur la mise en garde :
La cassation sur le caractère abusif entraîne la cassation par voie de conséquence du rejet des demandes fondées sur le manquement à la mise en garde pour les deux premiers prêts (14 octobre 2005 et 13 février 2006).
3. Références juridiques
Décision principale
Cour de cassation, 1re civ., 9 juillet 2025, n° 24-19.647
Jurisprudences communautaires citées
CJCE, 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02
CJUE, 30 avril 2014, Kasler et Káslerné Rábai, C-26/13
CJUE, 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C-51/17
CJUE, 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C-776/19 à C-782/19
CJUE, 20 septembre 2017, Andriciuc et al., C-186/16
CJUE, 15 juin 2023, Bank M., C-520/21
Jurisprudences nationales antérieures
Cass. civ. 1re, 1 mars 2023, n° 21-20.260
Cass. civ. 1re, 20 avril 2022, n° 20-16.316
Cass. civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 20-20.826
Cass. civ. 1re, 18 septembre 2024, n° 22-21.976
Textes légaux
Article L. 132-1, code de la consommation, version antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016
Article 624, code de procédure civile
4. Analyse juridique approfondie
Cette décision illustre un revirement jurisprudentiel important en droit de la consommation relatif à la protection des emprunteurs face aux risques de change dans les prêts en devises étrangères.
La Cour de cassation aligne sa position sur l’exigence communautaire de transparence et d’information complète du consommateur non seulement au moment de la conclusion, mais pendant toute la durée du contrat.
Elle déplace ainsi le curseur de l’appréciation du caractère abusif des clauses, qui ne peut plus se limiter à la situation initiale de l’emprunteur.
Cette évolution s’inscrit dans une volonté claire de renforcer la protection du consommateur, particulièrement pertinent dans le cas des travailleurs transfrontaliers et des situations où la devise des revenus peut évoluer.
Comparaison avec la jurisprudence antérieure :
Avant cette décision, la jurisprudence admettait qu’en présence de prêts libellés et remboursables dans une devise étrangère, si les revenus de l’emprunteur étaient dans la même devise à la date de souscription, aucun risque de change ne justifiait une clause abusive.
La nouvelle approche corrige cette interprétation restrictive en intégrant la notion d’évolution prévisible de la situation économique et personnelle, ce qui correspond davantage à la finalité protectrice de la directive 93/13.
Impact pratique :
Les banques doivent désormais être vigilantes et fournir une information étendue et continue sur le risque de change.
Les emprunteurs peuvent contester plus facilement les clauses si leur situation évolue défavorablement, même si au départ tout semblait équilibré.
5. Critique de la décision
L’analyse repose strictement sur les textes légaux en vigueur à la date du litige et la directive communautaire transposée.
La décision est cohérente avec la tendance jurisprudentielle européenne visant à renforcer la protection du consommateur face aux risques financiers complexes.
La motivation est détaillée et s’appuie sur un corpus solide de jurisprudence nationale et européenne.
6. Accompagnement personnalisé
La SELARL Philippe GONET, avocat à Saint-Nazaire, propose :
Une expertise approfondie en droit bancaire et protection des consommateurs, notamment sur les prêts en devises étrangères.
Une assistance dans les contentieux relatifs à la contestation de clauses abusives et au manquement à l’obligation d’information et de mise en garde.
Un accompagnement stratégique dans les procédures judiciaires (référé, fond, appel, cassation)
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