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1. Résumé succinct
Parties :
Demandeurs au pourvoi : Real Madrid Club de Fútbol (RM) et M. [U] [L] (membre de l’équipe médicale).
Défendeurs au pourvoi : Société Éditrice du Monde (Le Monde) et M. [M] [I] (journaliste).
Juridiction : Cour de cassation, 1re chambre civile (formation de section), 28 mai 2025, n° 21-13.519 & 21-13.520 (jonction), arrêt n° 347 FS-B, publié au Bulletin
Nature du litige : Exequatur en France de condamnations pécuniaires prononcées en Espagne pour atteinte à l’honneur (diffamation / réputation) à raison d’un article du Monde (2006).
Question centrale : contrôle, au titre de l’ordre public (art. 34, 1° Bruxelles I), du caractère manifestement disproportionné des dommages-intérêts au regard de la liberté de la presse (art. 11 Charte), sans révision au fond.
Effet direct sur la pratique : Méthode de contrôle consolidée après le renvoi CJUE (C-633/22) :
prise en compte des ressources du journaliste/éditeur et des moyens de l’entreprise de presse ;
interdiction de minorer le préjudice ou d’ignorer la gravité de la faute constatées par le juge d’origine ;
appréciation distincte pour chaque victime et chaque auteur ;
possibilité d’un refus partiel d’exécution. La Cour casse l’arrêt CA Paris (15 sept. 2020) et renvoie.
2. Analyse détaillée
Les faits
7 déc. 2006 : Mise en ligne d’un article du Monde intitulé « Le Real Madrid et le Barça liés au docteur [C] » (doping).
8 déc. 2006 : parution papier avec dessin « Dopage : le football après le cyclisme ». 23 déc. 2006 : publication du démenti du RM.
27 févr. 2009 : Tribunal de première instance n° 19 de Madrid : condamnation solidaire du Monde et du journaliste à 300 000 € (club) et 30 000 € (M. [L]) + publications judiciaires. 18 oct. 2010 : Audiencia Provincial confirme.
24 févr. 2014 : Tribunal Supremo rejette le recours. 11 juil. 2014 & 9 oct./3 nov. 2014 : ordonnances d’exécution en Espagne.
15 févr. 2018 : TGI Paris déclare exécutoires en France l’arrêt du 24.02.2014 et les ordonnances d’exécution espagnoles.
15 sept. 2020 : CA Paris (pôle 1 ch. 1) infirme et refuse l’exécution en France pour contrariété manifeste à l’ordre public international français (liberté de la presse).
28 sept. 2022 : Cass. 1re civ. ordonne renvoi préjudiciel à la CJUE (7 questions) sur les art. 34 et 36 Bruxelles I et l’art. 11 Charte ; sursis à statuer.
4 oct. 2024 : CJUE (grande chambre), C-633/22 : méthode de contrôle « proportionnalité / effet dissuasif » au regard de l’art. 11 Charte ; possible refus partiel ; pas de révision au fond des constats du juge d’origine sur la faute et le préjudice.
28 mai 2025 : Cassation : annulation intégrale des arrêts CA Paris 2020, renvoi devant la CA Paris autrement composée.
La procédure — déroulement intégral
Espagne (2009–2014) → Exécution Espagne (2014) → Exequatur France (TGI Paris, 2018) → Infirmation (CA Paris, 2020) → Pourvois réunis (Cass., 2022) + renvoi CJUE → CJUE 2024 → Cassation 2025 + renvoi. Cour de Cassation
Contenu de la décision (Cass. 28 mai 2025)
Arguments des parties (extraits des moyens)
Les demandeurs au pourvoi soutenaient que la CA Paris :
ne pouvait contrôler la proportionnalité que si les DI étaient punitifs (non) ;
avait révisé au fond le préjudice constaté en Espagne ;
n’avait pas pris en compte la gravité de la faute retenue en Espagne ;
avait mal apprécié les ressources (journaliste/éditeur).
Portée de la CJUE (C-633/22) :
– L’exécution doit être refusée si elle emporte violation manifeste de l’art. 11 Charte (ordre public du for).
– Le juge national examine si les DI (punitifs ou compensatoires) sont manifestement disproportionnés au regard de l’atteinte à la réputation et susceptibles d’un effet dissuasif sur la presse.
– Aucune révision au fond : le juge de l’exequatur ne peut pas minorer le préjudice ni ignorer la gravité de la faute tels que constatés par le juge d’origine.
– Ressources : apprécier la « substantialité » par référence aux revenus (pour une personne physique) ou aux moyens de l’entreprise (pour une personne morale), au besoin par des valeurs de référence (p. ex. salaire moyen).
– Appréciation distincte pour chaque victime et chaque auteur ; refus partiel possible.
Censure de la CA Paris (2020) :
Révision au fond prohibée : la CA a minoré l’ampleur du préjudice en se fondant sur des démentis de presse, contrairement aux constatations espagnoles.
Omission de la gravité de la faute retenue en Espagne dans l’examen de la proportionnalité.
Ressources du journaliste : motifs insuffisants faute de valeur(s) de référence (p. ex. rémunération moyenne du secteur).
Ressources de l’éditeur : critères insuffisants (seulement perte nette et disponibilités) pour établir le caractère « substantiel » de la condamnation.
Cumul interdit : la CA a additionné les condamnations dues à deux victimes (club & M. [L]) au lieu d’une évaluation séparée ; elle devait envisager l’exécution partielle.
Solution
Cassation totale des arrêts CA Paris (15 sept. 2020) et renvoi à la CA Paris autrement composée ; dépens contre Le Monde et le journaliste ; art. 700 CPC : demandes rejetées.
3. Références juridiques
3.1 Jurisprudence
Cass. civ. 1re, 28 mai 2025, n° 21-13.519 et 21-13.520, arrêt n° 347 FS-B — Liberté de la presse / ordre public / méthode proportionnalité
CA Paris (pôle 1, ch. 1), 15 sept. 2020, RG 18/09180 (décision attaquée)
CJUE (gr. ch.), 4 oct. 2024, C-633/22, Real Madrid Club de Fútbol — méthode « proportionnalité / effet dissuasif »
conforme mais indirect (texte non disponible sur Légifrance/Judilibre/Courdecassation.fr à la date de rédaction).
Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-13.303 — Dommages-intérêts punitifs & ordre public international : pas d’incompatibilité de principe ; contrôle de la disproportion
(Autres arrêts de contexte Bruxelles I possibles sur Légifrance, à titre illustratif : ex. Cass. 1re civ., 30 janv. 2013, n° 11-28.829 — exequatur/Bruxelles I). Légifrance
3.2 Textes légaux
Règlement (CE) n° 44/2001 (Bruxelles I) :
Art. 34, 1° : « Une décision n’est pas reconnue si : 1) la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ».
Art. 45 : « … la juridiction saisie … ne peut refuser ou révoquer la déclaration que pour l’un des motifs prévus aux articles 34 et 35. En aucun cas la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. »
Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 11 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression… La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »
4. Analyse juridique approfondie
Méthode désormais contraignante (post-CJUE) pour l’exequatur d’une condamnation pour atteinte à la réputation :
Objet du contrôle : tous DI (compensatoires ou punitifs) au regard de l’art. 11 Charte ; fin de l’argument “seulement si punitifs”.
Paramètres : gravité de la faute et étendue du préjudice tels que constatés par le juge d’origine (intouchables), ressources des condamnés (journaliste / entreprise de presse), standards comparables et valeurs de référence (p. ex. salaire moyen).
Interdictions : pas de révision au fond (ni minoration du préjudice, ni requalification de la faute).
Modalités : appréciation séparée par victime et par auteur ; si nécessaire, refus partiel de l’exécution pour éviter une violation manifeste.
Articulation avec la jurisprudence antérieure (punitive damages) : la Cour de cassation reprend la grille issue de Cass. 1re civ., 1 déc. 2010 (contrôle de la disproportion), mais l’indexe explicitement à l’art. 11 Charte et à l’effet dissuasif sur la presse. On passe d’un contrôle « réparatoire/punitif » à un contrôle ciblé Liberté de la presse — plus structuré et probatoire (références chiffrées requises).
Conséquences pratiques :
Éditeurs : produire des éléments économiques (capacités, marges, ratios, données sectorielles) ; démontrer l’effet dissuasif concret d’une exécution intégrale.
Journalistes : documenter revenus / références salariales du secteur pour objectiver la « substantialité » de la condamnation.
Demandeurs (victimes) : prouver l’ampleur du préjudice (réputation/dignité), la gravité de la faute, et s’opposer à toute minoration post-hoc.
Juridictions d’exequatur : motiver distinctement par victime/auteur ; envisager l’exécution partielle (par ex. seulement pour l’une des victimes).
5. Critique de la décision
La Cour applique « à la lettre » le canevas CJUE (proportionnalité, ressources, non-révision). Censure didactique des erreurs de la CA.
Synthèse : la technique renforce la protection de la presse tout en permettant l’exécution partielle si nécessaire — équilibre plus fin que l’approche 2010.
6. Accompagnement personnalisé
La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :
Auditer vos dossiers d’exequatur (presse/diffamation) avec tableau des risques (proportionnalité, ressources, effet dissuasif, options de refus partiel).
Consolider vos preuves économiques (comptes, ratios, salaires de référence) et rédiger des écritures conformes à la méthode CJUE/Cassation.
Former vos équipes à la grille “ordre public – art. 11 Charte” appliquée par les juridictions françaises.
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