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Exception d’illégalité et accord de branche étendu : Cass. soc., 1er oct. 2025

Le 13 octobre 2025
Exception d’illégalité et accord de branche étendu : Cass. soc., 1er oct. 2025
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1.Résumé succinct

Parties : Fédérations CFTC, CGT Intérim, CFDT Services, CFE-CGC Encadrement Commerce & Services, FO, UNSA & Prism’emploi (demandeurs) c/ SARL Agence d’emploi des métiers de la santé (AGEMS) (défenderesse).

Juridiction : Cour de cassation, chambre sociale (formation de section) — Arrêt n° 913 FS-B, , 1er octobre 2025, pourvoi n° 23-15.627 — cassation partielle, partiellement sans renvoi.

Nature du litige : Recevabilité d’une exception d’illégalité dirigée contre un accord de branche étendu (régime « Intérimaire Santé ») soulevée par l’employeur pour écarter l’application dudit accord dans l’entreprise.

Principe posé (portée pratique) : Tant qu’un accord de branche a été “étendu”, l’exception d’illégalité dirigée contre l’accord lui-même est irrecevable si l’illégalité de l’arrêté d’extension n’est pas elle-même soulevée. Autrement dit : il faut viser l’arrêté d’extension (et non le seul accord).


2. Analyse détaillée

Les faits

2015 : Dans le cadre de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (généralisation de la complémentaire santé), la branche du travail temporaire conclut deux accords 4 juin 2015 puis 14 décembre 2015 sur le régime « Intérimaire Santé », ce dernier se substituant au premier ; avenant n° 1 du 30 septembre 2016 + autres avenants et un avenant interprétatif du 14 septembre 2018. Ces textes sont “étendus” par arrêté ministériel du 20 avril 2017. ;

1er mai 2016 : L’AGEMS met en place, par décision unilatérale, un régime « frais de santé » dérogeant au dispositif conventionnel de branche étendu. Les organisations syndicales assignent l’AGEMS (et Prism’emploi, signataire patronal) en annulation de la décision unilatérale.
Exception d’illégalité : L’AGEMS oppose par voie d’exception l’illégalité de certaines stipulations des accords de 2015.

La procédure

CA Paris (pôle 6 ch. 2), 16 mars 2023 : retient la compétence du juge judiciaire pour apprécier la validité des accords et déclare recevable l’exception d’illégalité visant les accords étendus, puis écarte les demandes syndicales.

Pourvoi des organisations syndicales & Prism’emploi (deux moyens). Dossier communiqué au parquet général ; audience du 3 septembre 2025 ; Mme Ott, conseillère-rapporteure ; avis de Mme Laulom, avocate générale.

Cassation (1er oct. 2025) : cassation partielle, sans renvoi sur la recevabilité de l’exception ; renvoi pour le surplus devant la CA Paris autrement composée.

Contenu de la décision

Arguments des parties 

Syndicats & Prism’emploi : soutiennent l’effet obligatoire de l’accord de branche étendu (art. L. 2261-15 C. trav.) → l’AGEMS ne peut y déroger par décision unilatérale.

AGEMS : conteste par exception la légalité de certaines clauses des accords (4 juin & 14 déc. 2015) pour neutraliser leur application.

Raisonnement de la Cour de cassation

Visa : articles L. 2261-15 (version antérieure à la loi n° 2020-1525 du 7 déc. 2020) et L. 2261-25 (version antérieure à l’ord. n° 2017-1388 du 22 sept. 2017) du code du travail.

Principe dégagé : « Eu égard à l’effet obligatoire pour tous les salariés et employeurs compris dans son champ d’application, l’exception d’illégalité d’un accord de branche étendu n’est pas recevable en l’absence d’exception d’illégalité de l’arrêté d’extension de cet accord » – même si, à défaut de vice propre de l’arrêté, le juge judiciaire est compétent pour connaître de l’exception dirigée contre l’arrêté d’extension.

Appui jurisprudentiel : Tribunal des conflits, 8 juin 2020, n° C4182 (validité d’un accord collectif et de ses avenants sans vice invoqué contre les arrêtés d’extension → compétence judiciaire) ; la Cour rappelle cette clé de répartition des compétences. 

Erreur de la CA : avoir admis la recevabilité de l’exception d’illégalité contre l’accord étendu sans qu’ait été soulevée l’illégalité des arrêtés d’extension. Violation des art. L. 2261-15 et L. 2261-25.

Solution

Cassation partielle :

Dit n’y avoir lieu à renvoi sur le point de recevabilité et déclare irrecevable l’exception d’illégalité de l’AGEMS contre les accords de branche (4 juin & 14 déc. 2015).

Renvoie le reste de l’affaire à la CA Paris autrement composée ; dépens contre l’AGEMS ; art. 700 CPC : 3 000 € au profit des organisations demanderesses.

3.  Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 


Cass. soc., 1er oct. 2025, n° 23-15.627 (FS-B) — Recevabilité de l’exception d’illégalité contre un accord étendu → irrecevable si l’arrêté d’extension n’est pas lui-même attaqué.


TC, 8 juin 2020, n° C4182 — Compétence judiciaire pour connaître d’une question préjudicielle portant sur la validité d’un accord collectif et de ses avenants, sans vice propre allégué contre les arrêtés d’extension.

CE, 13 déc. 2021, n° 433232 — rappel des règles de branche et d’extension (références aux art. L. 2232-5-1, L. 2261-25 C. trav.).

CE, 30 juin 2025, n° 491546 — contrôle contentieux d’un arrêté d’extension (référence expresse à L. 2261-15 et L. 2261-25).

3.2 Textes légaux

Art. L. 2261-15 C. trav. — Version en vigueur du 1er mai 2008 au 1er juin 2021 (antérieure à la loi n° 2020-1525) : principe d’extension par arrêté ministériel et effet obligatoire pour tous les employeurs/salariés du champ.

Art. L. 2261-25 C. trav. — Version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017 (antérieure à l’ord. n° 2017-1388) : **pouvoir du ministre d’exclure de l’extension les clauses contraires à la loi (etc.).

Arrêté d’extension du 20 avril 2017 (accord du 14 déc. 2015 & avenant du 30 sept. 2016 — Intérimaire Santé).

4. Analyse juridique approfondie

Décryptage du raisonnement

La Cour replace la recevabilité de l’exception d’illégalité dans l’économie de l’extension : l’arrêté d’extension est l’acte réglementaire qui confère force obligatoire erga omnes au texte conventionnel (art. L. 2261-15). Il s’ensuit que, pour écarter en justice l’application d’un accord étendu, l’entreprise doit nécessairement viser l’acte qui confère cet effet — l’arrêté — et non le seul accord, à peine d’irrecevabilité. La solution ménage la répartition des compétences dégagée par le TC, 8 juin 2020 : le juge judiciaire peut connaître d’une exception dirigée contre l’arrêté d’extension sans vice propre allégué (lorsqu’aucun « vice propre » n’est invoqué contre l’arrêté, la question de la validité de l’accord relève du juge judiciaire), mais il n’examine pas l’accord étendu isolément. ;

Comparaison avec la jurisprudence antérieure

Ligne constante du CE : l’arrêté d’extension est contrôlé par le juge administratif (excès de pouvoir) au regard, notamment, de L. 2261-15 et L. 2261-25 (clauses contraires à la loi, motifs d’intérêt général…). Les décisions de 2021 et 2025 illustrent ce contrôle. La décision commentée n’empiète pas sur ce contrôle ; elle structure la recevabilité devant le juge judiciaire. 

TC 8 juin 2020, n° C4182 : confirme que sans grief propre contre l’arrêté, la validité intrinsèque de l’accord peut relever de l’ordre judiciaire — mais cela ne dispense pas, lorsque l’accord est étendu, de viser d’abord l’arrêté pour contourner son effet obligatoire. L’arrêt de 2025 opère la synthèse : recevabilité → viser l’arrêté ; compétence → juge judiciaire si aucun vice propre n’est allégué. 

Impact pratique

Employeurs : impossible de neutraliser un accord de branche étendu en attaquant seulement l’accord par exception d’illégalité : il faut soulever l’illégalité de l’arrêté d’extension (et articuler les moyens pertinents).

Syndicats / salariés : la défense de l’effet obligatoire des accords étendus est confortée ; la stratégie contentieuse se recentre sur la légalité de l’arrêté.


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