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« Déserts médicaux : pas d’injonction pour imposer une politique publique »

Le 13 octobre 2025
« Déserts médicaux : pas d’injonction pour imposer une politique publique »
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1. Résumé succinct

Parties : UFC – Que Choisir (requérante) c/ Première ministre et ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé.

Juridiction : Conseil d’État, 1re–4e chambres réunies ; Date : 1er octobre 2025 ; n° : 489511 ; 

Nature du litige : Recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet du Gouvernement, refusant de prendre des mesures « coercitives » pour corriger les déserts médicaux (conventionnement territorial, fermeture de l’accès au secteur 2 aux nouveaux installés, suppression d’aides hors OPTAM) et de prendre le décret d’application de l’art. L. 632-2 C. éduc.

Effet sur la pratique : Le Conseil d’État réaffirme qu’il n’appartient pas au juge administratif de se substituer aux pouvoirs publics pour définir une politique publique ; rejet entier (annulation, injonction, astreinte, L. 761-1 CJA).

2. Analyse détaillée

Les faits 

13 juill. 2023 : UFC – Que Choisir demande aux ministres d’instaurer un conventionnement territorial limitant les installations en zones surdotées (sauf secteur 1 dans quelques hypothèses), de fermer l’accès au secteur 2 aux nouveaux médecins (choix = secteur 1 sans dépassement ou OPTAM), et de supprimer les aides publiques aux médecins ne respectant pas les tarifs Sécu (hors OPTAM).

20 nov. 2023 & 25 févr. 2025 : requête et mémoire en réplique déposés au Conseil d’État.

9 févr. 2024 : le Conseil d’État refuse de renvoyer la QPC soulevée par UFC – Que Choisir.

8 sept. 2025 : audience publique (conclusions de M. Thomas Janicot, RP). Conclusions publiques disponibles. 

1er oct. 2025 : décision lue ; rejet de la requête. 

La procédure

Compétence/voie de droit : recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d’édicter des mesures (politiques publiques et réglementaires) et demande d’injonctions sous astreinte (10 000 €/jour) sur le fondement des pouvoirs d’injonction du juge de l’excès de pouvoir.

Demandes accessoires : injonction de prendre le décret d’application de l’art. L. 632-2 C. éduc., injonctions subsidiaires pour garantir l’égalité d’accès aux soins, L. 761-1 CJA.

Solution : rejet intégral (annulation, injonction, astreinte, L. 761-1).


Contenu de la décision

Arguments de la requérante (UFC – Que Choisir)
Obligation des pouvoirs publics de remédier à la mauvaise répartition des médecins et à l’hétérogénéité d’accès ; inefficacité des mesures incitatives ; seules des mesures plus contraignantes garantissent l’égalité d’accès.

Demande soit de nouvelles dispositions législatives (conditions d’installation), soit de nouvelles modalités conventionnelles (UNCAM/syndicats) intégrant la densité médicale locale.

Raisonnement du Conseil d’État

Office du juge saisi d’un refus d’agir : Lorsqu’il est saisi d’une requête contre un refus de prendre des mesures pour faire cesser la méconnaissance d’une obligation légale, le juge apprécie la légalité du refus et peut enjoindre de prendre les mesures nécessaires… Mais il ne peut se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ni leur enjoindre de le faire. 

Application : Les mesures sollicitées (restriction de la liberté d’installation, fermeture du secteur 2, refonte du conventionnement) modifient des choix de politique publique (conditions tarifaires, liberté d’installation). Le juge n’a pas à enjoindre de telles orientations 

Conséquence : Rejet des conclusions à fin d’annulation, rejet par voie de conséquence des injonctions/astreinte, y compris l’injonction de prendre le décret d’application de l’art. L. 632-2 C. éduc. ; rejet L. 761-1 CJA 

Dispositif

Article 1 : Rejet.

Article 2 : Notifications.

Formation, signatures, séance du 8 sept. 2025, lecture 1er oct. 2025.

3. Références juridiques 

3.1 Jurisprudence 

CE, 1re–4e ch. r., 1er oct. 2025, n° 489511 – UFC – Que Choisir (politique publique santé – office du juge, refus d’injonction)

CE, 6e–4e SSR, 28 juill. 2000, n° 204024, Assoc. France Nature Environnement (obligation de prendre les décrets d’application ; pouvoir d’injonction pour exécuter la loi)

CE, 5e ch. r., 1er juill. 2021, n° 427301, Commune de Grande-Synthe (injonction climatique – obligation de mesures)

CE, Ass., 27 nov. 1964, n° 59068, Dame Veuve Renard (responsabilité de l’État pour carence réglementaire – principe de l’obligation de prendre les règlements d’application)

3.2 Textes légaux 

Article L. 632-2 du Code de l’éducation (accès au 3e cycle des études de médecine) – version en vigueur citée par la décision
« I. – Peuvent accéder au troisième cycle des études de médecine : […] » (extrait pertinent).


4.  Analyse juridique approfondie

L’office du juge de l’excès de pouvoir face aux « carences normatives » et aux politiques publiques
Principe : depuis Veuve Renard, l’exécutif a l’obligation d’édicter les règlements d’application dans un délai raisonnable ; à défaut, responsabilité de l’État et parfois injonction de prendre le texte manquant (FNE, 2000).

Limite : le juge n’arrête pas une politique publique. Il peut ordonner l’édiction d’un règlement prévu par la loi, mais ne peut imposer la teneur de réformes de fond (choix tarifaires, liberté d’installation, architecture conventionnelle). C’est la clé de 489511.

Contre-exemple utile : Grande-Synthe montre que le juge peut, lorsqu’une norme supérieure impose un résultat précis (réductions d’émissions chiffrées), prononcer une injonction finalisée (prendre des mesures d’ici une date). Ici, UFC demandait au juge d’arrêter la politique (fermer secteur 2, limiter installations) : la norme supérieure ne détermine pas ces modalités. D’où rejet. 

Application au dossier « déserts médicaux »
Les mesures sollicitées (conventionnement territorial, fermeture de l’accès au secteur 2, suppression d’aides) emportent :

Atteinte à la liberté d’installation des médecins,

Refonte tarifaire (secteur 2),

Reconfiguration du cadre conventionnel (UNCAM/syndicats).

Le Conseil d’État les qualifie de choix de politique publique, inapte à une injonction de substitution.
Concernant le décret de l’art. L. 632-2 C. éduc., UFC sollicitait une injonction de l’édicter. Le Conseil d’État rejette, faute de démonstration d’une obligation légale précise méconnue dans les termes du litige ; la décision n’identifie ni délai impératif ni contenu déterminé. 

Portée pratique

Contentieux de la carence : l’arrêt trace la frontière entre (i) l’obligation d’exécuter la loi (où l’injonction reste possible si la loi impose l’édiction d’un décret déterminé) et (ii) la définition d’une politique publique (où l’injonction est exclue). Les requérants devront cibler des obligations textuelles précises, assorties de paramètres objectivables, plutôt que de demander une architecture normative globale.

5. Accompagnement personnalisé

La SELARL Philippe GONET (Saint-Nazaire) peut :

Cibler des obligations textuelles réellement opposables (décrets d’application identifiés, délais raisonnables, objectifs quantifiés).

Choisir le bon office : REP, référé mesures utiles, astreintes adaptées, suivi d’exécution.

Concevoir des stratégies mixtes (contentieux + plaidoyer conventionnel/LOMC) pour densifier l’offre de soins localement

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