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1. Résumé succinct
Parties : Ben Bradshaw (MP), Caroline Lucas (MP), Alyn Smith (MP) et autres (requérants) c. Royaume-Uni (État défendeur).
Juridiction : Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), 4e section ; arrêt du 22 juillet 2025 ; n° 15653/22.
Nature du litige : Allégation d’atteinte au droit à des élections libres (art. 3 du Protocole n° 1) tirée du défaut d’enquête indépendante sur de possibles ingérences russes lors des élections législatives britanniques de 2019.
Effet direct sur la jurisprudence/pratiques : La CEDH confirme que l’art. 3 Prot. n° 1 impose des obligations positives de protection du processus électoral, mais n’institue pas une obligation procédurale autonome d’enquêter en tant que telle. Une enquête peut être requise seulement si des éléments crédibles laissent penser que des irrégularités ont compromis l’essence du droit garanti. Non-violation en l’espèce.
2. Analyse détaillée
Les faits
12 déc. 2019 : Élections législatives au Royaume-Uni. Des soupçons publics d’ingérences étrangères sont relayés (notamment russes).
22 mars 2022 : Requête à la CEDH (n° 15653/22)
Contexte normatif et institutionnel (sélection) :
Elections Act 2022 (empreintes numériques des campagnes, règles de financement, etc.) ; National Security Act 2023 (incriminations liées aux services étrangers) ; Online Safety Act 2023 (obligations des plateformes). La Cour relève un arsenal de mesures de protection de l’intégrité du scrutin déjà mises en place ou renforcées après 2019.
4 juill. 2024 : Nouvelles élections générales ; la Cour situe l’analyse dans une perspective évolutive des dispositifs de protection.
La procédure interne
12 avr. 2021 : High Court (England & Wales) – rejet de la demande d’enquête (papier, sans audience), considérant que la question touche aux fonctions régaliennes et à l’opportunité politique.
22 juin 2021 : High Court – refus de réexaminer.
27 sept. 2021 : Court of Appeal – refus d’autoriser l’appel.
Contenu de la décision CEDH
Arguments des requérants
L’État aurait manqué à une obligation d’enquête indépendante et effective sur des ingérences russes susceptibles d’avoir vicié l’élection de 2019, violant l’article 3 du Protocole n° 1.
Arguments du Gouvernement
Le Royaume-Uni a pris des mesures substantielles pour sécuriser le processus électoral (cadre législatif, autorités spécialisées, coopération avec les plateformes, cyber-sécurité), de sorte que la protection structurelle du droit de vote était adéquate ; aucune preuve cogente d’une atteinte à l’essence du droit n’était fournie.
Raisonnement de la Cour
L’art. 3 Prot. n° 1 garantit un processus assurant la « libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Il comporte des obligations positives (prévenir/rectifier) et l’exigence d’un système de recours effectif contre les irrégularités susceptibles d’affecter le résultat. Mais il ne crée pas, en soi, une obligation autonome d’enquête sur toute allégation d’ingérence.
Une carence d’enquête peut constituer un élément d’appréciation si les requérants démontrent un risque réel ou des indices plausibles que des irrégularités ont altéré l’intégrité du scrutin au point d’en saper l’essence. À défaut, l’étendue de la marge d’appréciation demeure large en matière organisationnelle et de sécurité nationale.
En l’espèce, la Cour souligne l’existence et l’ampleur des mesures britanniques (réformes législatives 2022–2023, supervision électorale, capacités cyber, coopération inter-agences). Aucun élément probant n’établit que des ingérences aient compromis la sincérité du scrutin de 2019. Conclusion : non-violation.
Solution
Non-violation de l’article 3 du Protocole n° 1.
3. Références juridiques
3.1 Jurisprudence CEDH
CEDH, 4e sect., 22 juill. 2025, Bradshaw and Others v. the United Kingdom, n° 15653/22.
CEDH (GC), 10 juill. 2020, Mugemangango v. Belgium, n° 310/15.
CEDH, 19 juin 2012, Communist Party of Russia and Others v. Russia, n° 29400/05 et al.
CEDH, 8 avr. 2010, Namat Aliyev v. Azerbaijan, n° 18705/06.
CEDH (déc.), 29 nov. 2007, Partija “Jaunie Demokrāti” et Partija “Mūsu Zeme” c. Lettonie, n° 10547/07 et 34049/07.
CEDH (GC), 6 oct. 2005, Hirst v. the United Kingdom (no. 2), n° 74025/01.
CEDH, 19 févr. 1998, Bowman v. the United Kingdom, n° 24839/94.
CEDH, 30 mai 2017, Davydov and Others v. Russia, n° 75947/11.
CEDH, 13 oct. 2015, Riza and Others v. Bulgaria, n° 48555/10 et 48377/10.
CEDH, 11 juin 2009, Petkov and Others v. Bulgaria, n° 77568/01, 178/02 et 505/02.
3.2 Textes légaux
Article 3 du Protocole n° 1 à la CEDH (texte français officiel) :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
Royaume-Uni (cadre cité par la Cour) :
Elections Act 2022 : https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2022/37/contents ;
National Security Act 2023 : https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2023/32/contents;
Online Safety Act 2023 : https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2023/50 — legislation.gov.uk+2legislation.gov.uk+2
4. Analyse juridique approfondie
4.1 Portée de l’arrêt Bradshaw
La CEDH réaffirme la structure de l’art. 3 Prot. n° 1 : il garantit un processus électoral libre et sincère, et impose à l’État des obligations positives de prévention/correction, notamment via des recours effectifs contre les irrégularités susceptibles d’affecter le résultat (ex. Mugemangango ; Petkov ; Riza ; Davydov).
Apport : la Cour écarte la thèse d’une obligation procédurale autonome d’ouvrir systématiquement une enquête indépendante à chaque allégation d’ingérence. Une enquête n’entre en jeu que si les éléments soumis laissent raisonnablement penser que des manipulations ont atteint l’essence du droit.
4.2 Comparaison avec la jurisprudence antérieure
Effectivité des voies de recours post-scrutin :
Mugemangango [GC] : condamnation de la Belgique faute de recours impartial et effectif pour contester le dépouillement ; la Cour exige des remèdes concrets (recomptage, contrôle juridictionnel).
Petkov / Riza : obligation de mécanismes opérationnels pour corriger les irrégularités pertinentes ; un simple recours indemnitaire n’est pas suffisant.
Davydov : manquements russes à assurer un contrôle effectif des irrégularités de dépouillement. hudoc.echr.coe.int
Équilibre “pluralisme/médias/égalité des chances” :
Communist Party of Russia : pas d’obligation de neutralité parfaite des médias d’État si le système de recours du pays permet de corriger les déséquilibres affectant potentiellement l’issue.
Partija “Jaunie Demokrāti” (déc.) : la diversité des systèmes électoraux et la marge d’appréciation tempèrent les griefs lorsque les désavantages ne sapent pas l’essence du droit.
Droits politiques connexes :
Hirst (n° 2) / Bowman : la Cour trace des lignes de proportionnalité sur les restrictions de droits politiques (vote des détenus ; dépenses politiques et expression) — rappels utiles sur l’essence et l’effectivité des droits.
Synthèse : Bradshaw s’aligne sur ce courant : l’État doit protéger l’élection (cadre normatif, cyber-sécurité, régulation des campagnes, voies de recours), mais la CEDH n’élève pas l’enquête autonome au rang d’exigence générale. Le test clé demeure : l’allégation et les éléments soumis montrent-ils un risque réel d’atteinte à l’essence du droit (résultat, intégrité du processus) ? En l’espèce, non.
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